A.-M. GOICHON
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LA VIE FÉMININE
AU MZAB
ÉTUDE DE SOCIOLOGIE MUSULMANE
PARIS
LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER
• 13 , RUE JACOB, 13
AVANT-PROPOS
Un second séjour à Ghardaïa nous a permis de recueillir de nouveaux
renseignements sur la vie des femmes mozabites. La recherche a été con-
duite comme précédemment dans des conversations qui suivaient un plan
assez large pour laisser toute liberté aux digressions des informatric es
Car il faut glaner ce qui vous est offert, quitte à reprendre plus tard le
sujet primitivement envisagé.
Nous avons recoupé de nouveau ce qui constitue la matière du tome 1.
On retrouvera, pages 49 et suivantes, les notes complémentaires aux in-
dications déjà obtenues ; leur étendue varie de quelques lignes à plusieurs
pages. Afin de les situer à leur place dans l’étude d’ensemble, nous avons
adopté le mode de renvoi aux pages déjà publiées, et leur classement
selon l’ordre de celles-ci. Les quatre premiers chapitres au contraire
traitent de questions neuves ; la première enquête ne nous en avait rien
révélé. Elle ne nous avait même pas laissé soupçonner la réforme reli-
gieuse faite au Mzab voici un demi-siècle ; les Mozabites y attachent
grande importance et en parlent très difficilement. Une enquête menée
auprès des hommes est à désirer sur ce point, car les femmes ignorent
les idées directrices.
Nous exprimons toute notre reconnaissance à M. W. Marçais et à
M. L. Massignôn, qui ont bien voulu revoir les épreuves de cette étude et
aider beaucoup à sa mise au point. Nous avons encore fait appel à l’obli-
geance de M. R. Maire et de M. le docteur 11. Weitz pour identifier plu-
sieurs substances végétales et minérales employées dans les préparations
VI
mozabites ; nous les remercions bien vivement des précisions qu’ils nous
ont données.
M. Louis Massignon a eu la bonté de publier la totalité de ce volume
dans sa Revue des Etudes Islamiques , après avoir déjà accueilli nos pre-
mières recherches dans la Revue du Monde Musulman , à laquelle nous
devons plus d’un cliché de nos croquis. Qu’il veuille bien trouver ici
l’expression de toute notre gratitude pour l’aide et l’encouragement
constants que nous avons trouvés auprès de lui.
Voici les indications bibliographiques des fragments des tomes I et II
publiés dans les différentes revues, grâce aussi à la bienveillance du
R. P Peillaube, de M. G. Hardy et de M. R. Maunier.
Revue du Monde Musulman, vol-. LX1I, 1925, pp. 27-138 :
T. 1, pp- 43-72, 101-139, 131-183, et pl. IV, fi g. 1, 2, 3. 4, pl. V, 3 et 4, pl. VI.
VII, VIII, XV et XVII.
Revue de Philosophie , 1926, n° 1, pp. 91-105 et n° 3, pp. 278-289 :
T. I, pp. 1-23.
Revue d’ethnographie etdes traditions populaires, 1926, n° 26, pp. 105-112 :
T. I, pp. 261-271.
Outre-Mer, 1929, 2 e trimestre :
T. II, pp. 54-36, 72-74, 79-80, 95-98, 123-132.
Revue des Études Islamiques, 1930, cahiers II et IV
T. 11, pp. 1-137.
A.-M. G
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LA VIE FÉMININE AU MZAB
I
LA RÉFORME RELIGIEUSE
Les récits des aïeules laissent encore vivre dans quelques mémoires
le souvenir d’un temps où les pratiques religieuses du Mzab dilléraient
bien de celles d’aujourd'hui.
Ce que les femmes savent à travers les légendes et la poussière des
incidents, les hommes instruits le savent sous la forme historique.
L’écriront-ils ? Il faudrait un profond changement de mentalité. Cet
épisode de leurs chroniques serait beau pourtant, et témoignerait d’une
énergie, d’un esprit de suite, d’une clairvoyance remarquables.
Mais peu leur importe ici de briller, eux qui savent ailleurs si bien se
faire valoir. Cette fois, ils s’effacent devant leur race. Que leur effort soit
toujours ignoré, afin que nulle faiblesse ne paraisse ternir la pureté de
leur lignage islamique ! Il suffit à la gloire de cheikh Atfïes d’avoir pris
place parmi leurs illustres commentateurs et jurisconsultes; point n’est
besoin de le dresser en réformateur. Vivant, il n’a pas voulu de cette
auréole ; mort, que son vœu soit respecté !
Cependant, sous son impulsion un redressement si vaillant s’est
opéré, qu’en le faisant entrevoir selon ce qui nous a été conté, nous ne
1
«
LA VIE FÉMININE AU MZAB
croyons pas livrer une défaillance, mais au contraire donner une page à
la louange des Mozabites.
Jaloux comme ils le sont de leur réputation d’austérité, deleur filiation
khârijite, il leur est pénible de songer que les coutumes berbères
n’étaient pas restées sans influence sur eux.
Lorsqu’ils s’en aperçurent, voici quelque cinquante ans, le mal était
grand. On incline à penser qu’Atfîes fut mis par ses travaux en présence
des antiques modèles de la secte, et retrouva à leur école un culte plus
pur. Mais, sur l’origine de ce mouvement toute précision manque aux
femmes, et les hommes.se gardent d’en donner. L’un d’eux pourtant con-
firma le rôle de leur grand cheikh : « Il dirigeait de haut, dit-il, restait
invisible et mettait en avant les notabilités secondaires. » Les femmes s’y
perdent ; chacune prête à Atfles l’altitude à son sens la plus décorative,
mais sans fournir de croquis d’après nature.
Il leur reste surtout le souvenir de changements portant sur d’innom-
brables détails religieux et sociaux, dont le lien leur échappe. Pourquoi
tout cela ? Parce qu’il vient parfois sur terre do bien étranges gens qui
ne se plaisant qu’à bouleverser les habitudes. Pour expliquer celte bizar-
rerie elles ont recours aux légendes ; plus la femme est impatiente
sous l’austérité imposée, plus ses regrets sont vifs des libertés abolies
et ses invectives énergiques. Voyons donc ce qui se colporte, ce qui s’est
fait, et dans cette mosaïque indistincte, un coup d’œil plus général flaira
par révéler le dessin.
La réforme est devenue manifeste aux yeux des femmes par le change-
ment de la formule du salut, à l’entrée dans une maison. Autrefois, frap-
pant bonnement deux coups à sa guise, on entrait en disant bonjour ou
bonsoir : Çbâhkum! ou AUàhkum ! (pour msâ, par contamination de
ç.'Cth...). C’était la formule réputée mozabite, les Arabes ayant gardé le
monopole du Çbüh l-haïr. Désormais, il fallut frapper deux coups bien
séparés, et dire : Es-salcunu ‘ alaïkum / Le salut soit sur vous (1).
(1) Les Durqawa fie la région de Tlemcen ont essayé sans succès d’obtenir le salâm canonique
au moins entre les femmes, de la confrérie (W. Marçais, Textes arabes de Takrouna, p. 322-323).
LA VIE FÉMININE AU MZAB 3
La laveuse des morts qui régnait avant Manama Slimân introduisit
doucement la prescription, sous forme de conseil à qui passait le seuil
d’un tàleb ; à la fin de sa vie la coutume était déjà assez répandue.
Mamtna Slimân, la première, exigea partout l’observance sous peine de
tebria.
Le nouveau rite reçut de là son nom et fut désigné comme « la religion
du salut », clin es-salâm.
Gela se passait au temps de l’imâna Hajj Ba Bker, un Wargli, qui pre-
nait la responsabilité de ces mesures. La moitié de Ghardaïa tenait pour
les coutumes établies, groupée sous l’ardente opposition de Cheikh
Çâlah. Jusque dan-' la mosquée la scission se maintenait, Ba Bker et les
siens disanL la prière tout en arabe, Çâlah et ses fidèles intercalant au
contraire des niya en mozabitè.
On résolut de faire assassiner celui dont on ne pouvait venir à bout.
Le meurtre fut décidé par les soixanie-dix tolba ralliés à la réforme.
Le jour choisi, comme la nuit tombait, on envoya Dàwud (1), le futur
cadi, alors élève à la Mosquée, prier cheikh Çâlah de venir recueillir le
testament d’une femme en couches, très malade. « J’irai dès que j’aurai
prié », répondit-il. — «Non, viens tout de suite, elle se meurt. »
(1) Ce détail permet de dater approximativement l'événement. Dàwud avait environ 14 ans, car
il priait déjà. Or, il est mort à une cinquantaine d’années, en 1919, assassiné lui aussi. Il « été
poursuivi d’une haine extrême par ses compatriotes, pour avoir signé le décret introduisant le ser-
vice militaire parent les Mozabiles. Très francophile, on disait qu’il ferait tout pour l’occupation
française, et voulait même devenir chrétiea. Resté cependant musulman, « il est mort maudit, un
vendredi, et sans aucun doute Dieu i’a brûlé ». Car par sa faute, des Mozabites portent la tenue
française ; or, tou t > ceux qui revêtent un uniforme ou un costume roumi sont considérés à peu de
chose près comme des inlidèles. Trop tard, puisque la signature était donnée, les francophobes
décidèrent: « Qu’un seul meure et non pas tout le peuple! Comme le cadi venait de monter à
cheval à l’oasis, pour se rendre à sa mkalcma, il fut blessé mortellement d’un coup de fusil et
mourut une huitaine de jours après. Ou s’était ingénié à mettre dans la charge tout ce qu’on
croyait devoir la rendre plus meurtrière : verre, plomb enfilé sur du fil de fer, etc... Le meurtrier
n’a jamab été retrouvé, et pour cause: c’était, dit-on, un S l ambi que l’on a fait disparaître après
l’avoir chargé de l’exécution. Le procédé est, paraît-il, assez employé. Le malheureux cadi Dàwud
était tellement déiestu que certains se sautaient de souhaiter manger sa chair en salade. » Et les
chroniques conserveront tout le mal qu’il a fait. » La rédaction a été établie lors de sa mort. Au
contraire, lorsqu’on voit un cheikh gravement malade, il est d’usage de noter toutes ses bonnes
actions afin que ce rnemento soit achevé a^ant que le corps sorte de la maison. Ou dit que les
partisans de dîn es-salâm s’entr’aident fortement en cas de projet de meurtre, et, lorsque le fait
est accompli, aucune dénonciation ne se produit malgré le -devoir de démasquer le rnal.
4
LA VIE FÉMININE AU MZAB
L’enfant le conduisit dans sine maison àu fond de laquelle une porte
établissait communication avec la maison voisine. L’ouverture de 1 ’ust
ecl-ddr était couverte de tapis. « Pourquoi fait-il si sombre? » dit-il. — « On
a voilé la lumière pour la malade répondit une voix. Mais en même
temps, quelqu’un ferma brusquement la porte derrière, lui en criant:
« On a mis tout cela exprès pour loi ! » Et il se sentit saisi à la gorge. Il
réussit à s’échapper vers la porte du fond, poussant des cris entendus
de la rue. Une femme qui passait voulut appeler au secours, mais, mn er-
Rabb, « par permission du Seigneur », la voix lui resta dans la gorge.
Cheikh Çàlah fut étranglé.
L’opposition était désorganisée. La lutte continua sans espérance, au-
tour du signe visible que constituait la formule de salut.
Tel maître de maison chassait une femme en la maudissant pour avoir
heurté à la nouvelle mode. En semblable occasion, tel cheikh descendait
précipitamment de la terrasse où il lisait, mettre la coupable dehors et
faire fermer la porte. « Pourquoi donc, demanda sa femme, es-salâm mn
er-Rabb , la paix ne vient-elle pas du Seigneur ? » Lui, sans répondre di-
rectement, s’adiesse à une amie venue en visite : « Regardez, Lella
Nqàçi, je les renferme comme des souris dans des trous. Mais ils sorti-
ront comme des tournais. Ils changeront notre religion. »
Ce môme cheikh Baba avait prédit que clin es-salà/n gagnerait au
point que le dernier des ignorants, même un Arabe marchand
d’ustensiles de cuisine et incapable de faire la prière, saurait saluer
du Salâ/nu ‘alaï/cum. Les chrétiens eux-mêmes finiraient par le dire.
Prédiction accomplie par les Sœurs Blanches, remarque-t-on.
La génération suivante se composait presque uniquement de disciples
d’Atfîes, tous partisans de la réforme. Les adversaires, trop faibles, se
rendirent apparemment, mais au moindre prétexte la scission se reforme.
A quoi mieux vaut ajouter que les rivalités de çoïf y suffiraient pro-
bablement.
Cette sourde irréductibilité, affirment les femmes, fut la vraie cause
d’une retentissan i e aventure qui aboutit tout récemment à l’excommuni-
cation du propre successeur d’Ati'ïes Faute de s’être suffisamment
informé de l’apparition de la lune, le cheikh avait achevé son Ramadan
LA VIE FÉMININE AU MZAB 5
un jour trop tôt, et ordonné en conséquence le grand ma l rüf de 1 u îd el-
fitr. A l’oued, lieu du banquet, manquait une grande partie des convives.
Les familles qui avaient envoyé les cadeaux d’usage aux jeûneurs persé-
vérants se trouvèrent fort mal reçues ; un tàlebfit porter à son mulet un
immense chaudron du couscous prématuré, s’exclamant : « Je ne suis
pas une bête pour manger en ramadan! »
Bref, le pauvre cheikh fut mis bel et bien en tabria avec cinquante ou
soixante hommes de son bord, et ne reçut son pardon qu’au bout de
trois mois, avec ordre de s’entourer de plus de conseil à l’avenir. Il y eut
beaucoup de plaintes à Ghardaia, où les bonnes gens ne savaient à qui
entendre et gémissaient que chacun faisait une religion à sa guise.
Entre ce simple incident et l’assassinat de cheikh Çàlah on voit le
chemin parcouru par la réforme. Aujourd’hui il est clair qu’elle domine
complètement et qu’elle compte seule. Voyons comment elle s’est
réalisée.
Les pratiques religieuses semblent avoir été assez réduites vers le
milieu du xix 6 siècle. « Dieu, prétendent certaines femmes, a dit seule-
ment qu’il faut prier et jeûner ; tout le reste est surajouté. » A la place
des prescriptions de pure ligne islamique certaines coutumes berbères,
quelquefois un peu païennes, s’élaient glissées Suppression d’une part,
addition de l’autre, voilà ce que requérait le renouvellement de la ferveur
ab édite.
Les femmes ont paru surtout effarées de ce qui leur semblait des inno-
vations inexplicables. Pour elles, dln es-salâm est devenue dln idalin,
« la religion des choses vertes », c’est-à-dire nouvelles, car les plantes
nouvelles sont vertes. La stupéfaction se peint dans une singulière
légende qui essaye d’expliquer le bouleversement.
Au temps de l’enfance de Mohammed, un grand tàleb nommé IJalîl
avait un fils qui rêvait d’embrasser la carrière paternelle. L’autorité
étant d’un exercice plus aisé, à l’avis du père, hors de la famille, il confia
l’instruction de l’écolier à un confrère presque aussi savant que lui. Mais
le précepteur était jaloux de n’avoir atteint que le second rang ; il entrevit
LA VIE FÉMININE AU MZAB
là une occasion inespérée : « Je vais faire disparaître son fils, et pendant
qu’il passera son temps à le chercher, je travaillerai et deviendrai plus
fort que lui. »
L’enfant tué, le tâleb envieux répondait à toutes les questions du
père : « Je l’ai fait tomber sous les exigences de la loi », atahtü fe s-srVp.
fjalïl finit par deviner la ruse et résolut de se venger en laissant un
livre non conforme à la srVa qui dérouterait toute la science ancienne et
nouvelle du meurtrier. Et il se mit à écrire, au rebours de toute pres-
cription divine et humaine, une loi (1) en deux volumes, l’un défendant
tout ce qui était permis, l’autre permettant tout ce qui était défendu. Ils
contiennent clin es-salüm, qui est tout le contraire de la religion que Dieu
a ordonnée.
On perd la trace de l’ouvrage jusqu’au temps d’Abü Bekr. Mais le
calife, se trouvant un jour dans le minba.r de la Mekke, y aperçut deux
livres couverts de poussière. Intrigué, il allait les ouvrir lorsque
Mohammed lui apparut, nzel . « Laisse-les pour la fin d‘S temps, lui
dit-il, deux ‘Omar viendront qui (les) expliqueront », hallihum fi âhir ez-
zamân, ijlyu ‘ O marin elli ifethü. Soit alors, soit après en avoir pris con-
naissance, Abu Bekr songea à les brûler (2) : < Non, ils sont voulus de
Dieu. La terre a commencé avec des hommes sans religion, tels que des
bêtes, elle finira de même. »
Les deux manuscrits se trouvèrent passer au calife ‘Omar (3), qui les
tint cachés selon une recommandation de Mohammed mourant : « Ne les
montre pas, les Musulmans ne sauraient qu’en faire. » Un beau jour,
l’inévitable arriva : ils furent retrouvés, lûs et copiés. Pourquoi copiés ?
Parce qu’il se trouve toujours quelque calligraphe pour copier un manus-
crit; mais les gens instruits s’accordaient à leur dénier' toute valeur.
(!) Allusion à Sïdi Halïl ; ses opinions juridiques sont opposées à celles des Abâdites.
(2) Tout ceci semble brodé sur des réminiscences Je l'histoire du teste coranique : ‘Omar be»
al-Hattab suggérant à Abu Bekr de rassembler les fragments épars et 'Omar ben ‘Abd al-Azïz
soutenant lîl-Hajjàj pour la diffusion du lexlo othmanien et faisant brûler les autres recensions.
(<*> La conleuse illustra son récit do ces renseignements : Sid ‘Omar était' do Série, ï'âm ; c’était
un ruumi converti é l'islamisme. D’ailleurs la propre tribu de Mohammed, les Qom's. étail roumiyi.
C’est eux qui eurent la religion la plus pure, et les Mozabites, bien entendu, sont Qorcîï, « nous
ne sommes pas mêles, mahlütin, comme les antres. » Le récit concernant ‘Omar ne vient pas delà
même conteuse que . celui de la découverte d’Abu Uokr ; nous avons juxtaposé les déux.
LA VIE FÉMININE AU MZÀB
7
1 * **-**,-
De sommeils en résurrections, les. traités s’acheminèrent vers le
Mzab. Or, ndtis sommes à la fin des temps, car le Prophète a prédit qu’il
resterait en terre 1.500 ans, puis viendrait la fin du monde.
C’est pourquoi Dieu a permis que clin es-salûm fût instaurée. D’ail-
leurs, Mohammed avait prédit des disputes. Deux ‘Omar, deux ignorants
se .trouvèrent en effet, ‘Omar Ta'mizin et ‘Omar Tizernin(l), de-Beni-
Isguen, qui restèrent bouche bée d’admiration devant ce recueil de nou-
veautés, s’écriant : « C’est cela qu’il faut faire ! »
Dans les cinq villes, la réforme fit fortune, mais Berriân et Guera'ra
gardèrent l’ancienne religion (2). La presque unanimité des Arabes suit
‘ tlalïl:
Jusqu’ici, le lien de toute cette histoire avec la vérité n’a pas été mis
au jour. Si tant est que les deux ‘Omar aient existé, ils n’ont très proba-
blement joué que le rôle de prête-nom. On ne cite d’eux aucun trait ;
pour trouver un terrain plus solide il faut venir à deux petites anecdotes
Su r Atfles, les seules précises. Encore parlage-t-il la première avec Ba
Bker ; la seconde, du- moins, est sienne à l’unanimité.
A la première exhortation (3) d’Atfles à la mosquée, il se révéla par-
tisan de clin es-salüm, allant droit contre un usage reçu de tout temps.
Les hommes coupaient librement leur barbe, et les femmes leur frange,
comme aujourd’hui les fillettes. Mohammed ayant dit qu’on pouvait cou-
per la chevelure, on usait donc de la tolérance, mais sous la sauvegarde
d’une aumône. Le poids en or de la barbe ou des cheveux coupés était
distribué aux pauvres; si la fortune était moindre, on offrait seulement
le poids en a'rgent, en laine même si le donateur avait presque plus
(1) Nous donnons ces noms sous toute réservé. Ajoutons que tizarnin signifie prihre.de midi.
(Motylinski, Djebel Nefousa , p. 38 ; Biar^ay, Notes d'ethnographie, p. 22).). Faut-il rapprocher
Ta'misîn de tismsin, prière du coucher du soleil ? (Biaiusay, op. 257.)
{2) Une, femme originaire de Guerara « spécifié que la ra/c‘a, le limlm , le tafyhyyât et la, nïya en
■aozabite sont en effet restés ici ce qu’ils étaient autrefois à Ghardaïa, mais nous n avons pu faire
aucune vérification sur place.
(3) Non pas une hotba,' mais une exportation purement morale, qui peut- entrer dans des détails
de prescriptions où de défenses, wa‘d Atfies.
8
LA VIE FÉMININE AU MZAB
besoin ds recevoir que de donner. « Vous ne couperez plus ni les uns ni
l’autre, ditAtfïes; sauf la moustache au ras de la lèvre, pour que la prière
puisse passer. » Effectivement, depuis lors les femmes ne coupent plus
leur frange ni les hommes leur barbe, sauf quelques insoumis, mais il
n’y a pas d’insoumises. Les scrupuleux continuent à donner aux pauvres
le poids des poils tombés (1).
Ba Bker abrite encore ici le grand cheikh ; une autre version lui
attribue l’interdiction de la coupe, tandis qu’Atfles se sérail accommodé de
la simple aumône réparatrice. Au conlraire, la paternité de la seconde
réforme est indiscutée. Atfïes s’y montre dans son rôle de chef reli-
gieux (2).
L’habitude s’était établie de dire la prière sur le Prophète à toutes les
fois qu’il était rappelé, même en récitant le Coran. « Von, dit Atfïeâ,
dites-la dans la conversation et quand vous lisez ou écrivez quelque chose
venue des hommes, mais ne coupez pas le texte du Livre. Respectez-le,
n’ajoutez rien (3). » Ce fut une terrible levée de boucliers, avec résis-
tance à la mosquée même. On raconte qu’il la fit fermer sept jours et
sept nuits, et qu’il faillit payer de sa vie cette modification prise pour
une impiété.
(1)11 n’y a pas lieu à compensation pour la moustiche coupée, puisqu'il s’agit d’une obligation
et non d’une fantaisie. De même, pour les femmes, il a toujours été défendu, haram, de peser les
poils de l'aisselle et du pubis. puisque t’épilatiou eu est obligatoire: Us sont le jardm de Satan,
jenân esSilun. La prière ne passerait pas si l’aissell - u 'était pas épilée. les autres poils peuvent
rester tant qu ils ne sont pas assez longs pour s'enrouler autour du doigt, ea un tour complet. On
les euiève par une application de cendre un peu chaule ou de chaux. L'orthodoxie recommande
1 épilation et la taille de ta barbe pour le- hommes avait tes prières solennelles. (Commentaires du
Muutaçnr, cf. Khalîl, Précis de jurisprudence, trad. Perron, t 1, pp. 215 et 271. Ces mesures sont tradi-
ü mneiles, cf. Boauarî, trad. Hormis et Mar a s. I. IV. p. 131-122-1 U faut tailler la moustacheet
lai-ser pous-er ta b iroe. Pour les cheveux des femmes, pas de précisions (p. 125). Autrefois comme
aujourd hui, la frange coupée de- miettes n’eutraînait aucune aumône. Les prescriptions n’obligent
qu à 1 âge de la prière, c'est pourquoi ou peut jusque-là adopter ta coiffure que l'on préfère.
\ï) Atfi.-s „ garde toute sa rigidité d’attitude jusqu'à sa mort survenue en 1214. Ses facultés
étaient affaiblies, mus ses sentiments envers l'étranger n’avaient pas changé. Les Pères Blancs
avaient loué à Ben. -U eu n une petite maison sans autre ouverture que celle de l’ust ed-dâr et la
porte, it avait donné l’ordre do les emmurer s ils s’y couchaieut. C’est tuï qui avait mené toute la
résistance contre le général de Seuls.
(’) Cette version nous a paru ta plus exacte ; mais certains racontent le contraire. Les uns
comme les autres motlout \Uies directement eu cause.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
9
La correction est caractéristique. L’effort d’Atfïes et des siens porta
sur un retour aux textes, à ce qui était tradition ancienne et non pas tra-
dition nouvelle. Le dessein se révèle très net dans le mouvement lin-
guistique : retour à l’arabe classique comme langue religieuse et, comme
langue parlée, retour au mozabite avec abandon de l’arabe vulgaire.
Des femmes savent bien qu’il existe sur la religion abâdlya (1) des
livres en mozabite écrits avec des caractères arabes, car le mozabite n’a
jamais eu de caractères propres. Elles disent que l’on a commencé à tra-
duire des ouvrages en arabe au temps où l’on a tout changé. La ‘ aqlcla
fut traduite la première (2). Le Coran n’avait jamais cessé d’être récité
en arabe, aucune traduction mozabite, même partielle, n’est mentionnée.
Au Mzab comme ailleurs, el-furqân désigne le Coran, en tant que livre
dont l’adoption distingue les Musulmans des infidèles (3). Mais furqân el-
abâdlya désigne, d’après les femmes, le Coran plus les commentaires
abàdites, non pas une traduction berbère (4). Cependant l’abandon de
l’arabe en d’autres parties du culte faisait dire fièrement : Les Moza-
bites ont une religion à eux (5). » Il leur a semblé se fondre davantage
dans la communauté en renonçant à ce privilège, ce fut pénible à ceux
qui ne saisissaient pas le véritable motif.
Le retour aux niya arabes a été particulièrement dur, bien que la for-
mule prétendue mozabite, plus courte, soit déjà terminée en arabe (6).
Elle serait encore en usage à Guerara.
(1) Les unes l’opposent à din es-salâni, d’autres les identifient.
(2) Au ix° siècle de l'hégirc, ce qui est de beaucoup antérieur à l’époque assignée par les
femmes, cf. Motylinski, Recueil de mémoires... du XIV e Congrès des Orientalistes , p. 506.
(5) Le vrai sens de ce mot, araméen, est : salut, délivrance.
(4) Sur les essais de traduction berbère du Coran, au Maroc, cf. Henri Basset, Essai sur la lit-
térature des Berbères , p. 64, Alger, Carbonel, 1920 (thèse).
(5) Les Arabes racontent la chose assez irrespectueusement; Cinq personnages se sont dit un
jour : « Nous allons faire une religion >) A la date et à l’endroit convenus, quatre étaient exacts au
rendez-vous. Le cinquième arriva avec un grand retard : < 11 fallait venir plus tôt, dirent les
autres. Nous avons fini, va faire ta religion tout seuil » Ce quM fit. Et voilà pourquoi les Abàdites
sont appelés « b s cinquièmes >>.
16) La nïya actuelle, avec de légères variantes, est donnée pp. 11-12 du Kilàb ‘Asâs at-Ta l 2 * 4 5 ât
tijamï * al-'ibâdât, Alger, 13^2 hég.
10
LA VIE FÉMININE . AU . MZAB.
Autrefois, avant la, rak'a, on disait :
Lhamdu liait, louange à Dieu. Puis la ’nlya suivante :
Je m'approche de loi , ô mon Père , avec mon intention , pour ce
Je te prie quatre rak'a d entre les prières (de midi) (1),
Je donne par la miséricorde, je donne par elle mon visage
A la direction de la kâ‘ba, dans la Mekke cia lieu saint.
[J accomplis'] les obligations que m' d imposées ton Ami
Sous ta [ protection ] et \_ceile] de ton Envoyé.
Mon Dieu, certes, j'ai su ce pour quoi j'ai lésé nlon âme;
Donc pardonne-moi, car toi seul pardonnes mes péchés.
Louange à toi , d Dieu, et par ta louànge que ton nom soit béni,
Que ta gloire soit exaltée . Il n’y a pas d'autre Dieu que toi.
Je me réfugie en Dieu, contre Satan le lapidé. Dieu est grand.
Ensuite la sourate CXI1, Unité de Dieu, en arabe. De nouveau Lhamdu
llâh, puis en mozabite la formule appelée Tahiyyêt, de son premier mot
arabe (2) :
« Les Salutations bénies à Dieu. Prières excellentes [sur Mohammed].
Que le Salut soit sur le Prophète, ainsi que la miséricorde de Dieu et sa
bénédiction. Paix sur nous et sur les vertueux serviteurs de Dieu. Je
témoigne qu’il n'y a de Dieu que Dieu seul, à lui pas d’associé; et que
Mohammed est son serviteur et l’envoyé de Dieu. Je témoigne que
(l’existence du) Paradis est vérité, que le feu est vérité, que la mort est
vérité et le jour de la rétribution vérité. Et l’heure [du jugement] vient,
pas de doute a son sujet devant Dieu et nous ressusciterons de nos tombes.
Salut sur vous, Michel, Isralil, Gabriel, Azraïl. Prière et salut sur tous
les prophètes et tous les anges. »
Ce Tahiyyêt' a été conservé pour la nuit du 15 de Sa 1 2 ban, où il se
récite toutes les deux rak'a.
Autrefois et aujourd’hui pas de différence dans la rak'a elle-même :
(1) Indication qui varie selon l’heure de la prière. Gf. Appendice, texte I, p. 138.
(2) Nous n’dvons pu nous procurer le texte mozabite. Pour le texte arabe, cf. Appendice , texte 11, p.l4$L
dont j’ai
[besoin.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
11
Subhàna Rabbi l'adlm, louange au Seigneur le Magnifique, trois fois,
en inclinant la lêle.
Sami l a Allah liman hamida, Dieu entend quiconque le loue, une fois,
en relevant la tête.
Allâhu akbar, Dieu est grand, en mettant, à terre le front et les mains.
Subhàna Rebbï 1-aHü, louange au Dieu très haut, trois fois, la tête
touchant la terre.
Allâhu akbar, en remettant les mains sur les cuisses.
Le groupe de mouvements depuis le premier Allâhu akbar est répété
trois fois.
Lhaindu liait, en se relevant tout à fait, et là sourate CXII-
Debout on ajoute : Astagferu llâhumma mimnia kàna minnl, je
demande pardon, ô Dieu, de tout [le mal] commis par moi, trois fois, en
ajoutant à la dernière : kull haUyatin Rebbï, g fer U, tout péché, Sei-
gneur, pardonne-moi.
Mais à la fin, on dit simplement aujourd’hui : S ubhàn es-sabïh l-qaddüs
Rebbu ’l-malâllcat wa r-rüh, « Loué celui qui est digne de louange, le
Saint, le maître des anges et de l’esprit », c’est-à-dire des âmes. Tandis
qu’autrefois, on faisait une rak l a supplémentaire après la prière, pour
compenser les erreurs possibles, en disant deu\ fois :
Allahurnma nenwà nïyatï nesjudu sajad Iwahmï wa kamâli çaldtï,
Allâhu akbar!... « O Dieu, je forme mon intention de me prosterner pour
ee que j’aurais pu négliger et pour compléter ma prière. Dieu est grand ! »
La formule ancienne pour clore la prière a été conservée : Es-S aluni
‘ alaïhum wajamva ’l-’anbïya ’l-hafada janiVan , « Le salut soit sur vous
et sur tous les prophètes (et) tous les anges. »
Les attitudes ont aussi quelque peu changé dans les rak'a. L’inçlina-
tion ancienne se faisait les mains sur les genoux, le buste oblique, mais
la tète assez inclinée pour que le cou fût horizontal et « qu’un bu L awd
pût s’y tenir debout ». Dans l’inclination nouvelle, le critérium est une
goutte d’eau posée sur le dos : elle ne doit pas couler à terre tant l’ho-
rizontalité est rigoureuse, les mains, en effet, portent plus bas, sur le
milieu de la jambe. Quelques femmes encore ont conservé la règle
périmée.
•12
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
L’ablution d’eau, wudü’ , ne semble pas avoir varié ; au contraire, l’ablu-
tion de sable, timïm (1), est modifiée. Dès le commencement de la récitation
des niya, on appliquait les mains à plat sur le sable, l’une près de l’autre ;
on les tient maintenant à 10 cm. de terre environ, les appliquant seule-
ment à la fin très légèrement, de sorte que le sable n’atteint même pas le
creux de la paume. L’ablution reste à peu près fictive, tandis qu’elle était
autrefois réelle : au jour du jugement, les adeptes de l’ancienne religion
se reconnaîtront, car « la terre brillera comme des fleurs au creux de
leurs mains et sur leur front
Les gestes suivants sont les mêmes. On élève doucement les deux
mains côte à côte, pour ne pas faire tomber de sable à l’endroit où on l’a
pris, ce qui annulerait la prière. Portant les mains à gauche, on frappe le
côté de la main droite sur celui de la main gauche, puis avec le sable
resté adhérent on fait le geste de l’ablution : les pouces sur l’orifice du
conduit auditif, les deux auriculaires se touchant sur la bouche, les annu-
laires aux narines, les médius aux coins internes des yeux, les index sur
le front. Les mains sont mues de bas en haut, passant sur les cheveux
pour finir (2). On récite la niya Taht el-‘ïd (?).
L’ablution sur les cheveux n’est pas ce simple achèvement de geste;
accompagnée d’une niya spéciale, elle se fait en passant trois fois sur
la tête les mains posées à plat, les doigts écartés. Cela ne se pratique
pour ainsi dire qu’après l’indisposition périodique, si l’on ne fait pas le
grand lavage à l’eau. Mais celui-ci n’est jamais omis dans la purification
après la naissance de chaque enfant.
Après l’ablution du visage, on reprend du sable à terre selon le même
rite, en disant trois fois : Allâhu alibar. Puis on fait l’ablution sur les
(1) Faire l’ablulion pulvéralc se dit derb cl-ümïm ; Faction de taire l’ablution, laïmüm. Chea les
Beni-Snous, laiïïinum [cî. Destaing, Diction . Beni-Snous, p. 31. Sur le mode à observer et les circons-
tances où elle est permise, cf. Khaul, Précis de jurisprudence, trad. Perron, t. I, p. 64-75, et
Bokhabi, t. I, p. 124-132. On la donne comme exceptionnelle et les gesles en sont moins déter-
minés qu'au Mzab. Timïm est un rnasdar de 2 - forme pour une 6”, comme il est courant en arabe
maghrébin : pour layammum, on a (taïmüm) timïm.
(2) Variante ; les mains à plat et les doigts contigus sur le visage, mues de l’intérieur à l’exté-
rieur et de haut en bas, sur le front et les joues, trois fois; sur la bouche, deux fois; tes index
pénétrant dans les narines en tournant, une fois. (Kualil ne donne pas ces détails). A chaque
double geste: Altalui ahbar, autrefois la sahada.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
13
mains, et soi-disant les bras ; mais en réalité on dépasse à peine le
poignet. Pas d’autre ablution.
L’ablution d’eau dans la bouche est rarement faite par les femmes,
tandis que les hommes y sont fidèles. Aux grandes fêtes, elle est obliga-
toire pour tout le monde, avec récitation de la nïya Ma el-fumm.
Si l’on n’a pas perdu l’état de pureté, inutile de recommencer timim
ni wudïC avant la prière suivante.
Le timim peut à volonté remplacer le wudü' ; mais principalement si
l’eau manque ou « si l’on est malade et que l’on ne puisse supporter
l’eau ». Le timim est chose bonne, car il y a trois grands dons de Dieu
qu’il faut faire servir à la prière : l’eau dans le wudu, le sable dans le
timim, la laine dans les rites de l’ensevelissement, janàïz (1).
Voilà donc les données les plus générales racontées par les femmes.
On voit qu’elles entrent tout de suite dans le concret et qu’il ne faut pas
leur demander de dégager les grandes lignes. Cependant on distingue
une réforme dont le motif est nettement religieux, qui porte d’abord sur
la prière, sur la langue réservée au culte, et sur une formule de saluta-
tion. Par là, elle entre dans la vie sociale, où elle ne va pas se montrer
moins active.
Mais dès lors, les tolba ne veilleront pas seuls à l’opportunité des
décisions, il leur faudra des collaboratrices dont le rôle ne sera pas le
moins important.
(1) Cf. infra , p. 126.
II
LA. RÉFORME RELIGIEUSE (suite).
LES LAVEUSES DES MORTS LUTTENT CONTRE LES COUTUMES BERBÈRES
Le plus dur combat allait se livrer contre les innombrables coutumes
dont la vie des femmes était faite. Une prière correcte ne suffit pas; il
faut atteindre à une attitude habituelle digne des austères ancêtres. Le
principe est posé, mais il s’agit d’une réalisation dans le détail, ingé-
nieuse et rigide, patiente et impitoyable.
Les tolba gagnèrent à leurs idées les laveuses des morts. Au début,
il semble bien cju’ils agirent d’autorité, et furent obéis sans grande con-
viction. La réforme féminine s’est effectuée avec quelque dix ou vingt ans
de retard sur les décisions des chefs, et Mamma Slimân, la première, a
la réputation d’être du fond du cœur dévouée à dln es-salâm.
Ici encore les Mozabi les ne pourront que nous raconter de petits faits.
Mais tous ces brins de laine finissent par s’entrelacer en un tissu assez
consistant.
Les souvenirs ne remontent pas au delà de soixante-dix ans. Mamma
Slimân est en charge depuis vingt-cinq ans environ ; avant elle Mamma
bel Hâjj gouverna trente ans, et encore avant, Menna Na'mara. Puis on
ne sait plus.
Au temps des coutumes berbères, le rôle de la présidente des laveuses
existait donc. Il aurait même été sur un pied de plus giande égalité
qu’aujourd’hui avec celui du cheikh, si l’on en croit un bien singulier
récit, que nous donnons sous toutes réserves, n'ayant pu le recouper.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
15
Près du cimetière d’‘Amini Sa‘ïd, à l’endroit où aboutit la route en
-colimaçon récemment construite par les Français, une sorte de concile
se tenait tous les trois mois, ouvert aux cinq villes. On l’appelait le ser-
mon de ce personnage : tisentmusni ‘ Ammi Sa l id. La session était de
vingt-deux jours, y compris les mercredis, réservés aux affaires de justice.
Lors de ces mejlis, selon le terme réservé à la séance du mercredi, les
mécontents pouvaient faire appel des jugements des cadis. .Même accep-
tée, la sentence rendue restait soumise à celle du juge français de Blida
qui généralement confirmait. Dans le mejlis, les femmes n’avaient aucun
rôle ; dans le tisentmusni . il en allait autrement.
Hommes et femmes assistaient, en deux groupes assez rapprochés
pour que la voix de l’orateur fût partout saisie. Le contingent de beau-
coup le plus important était fourni par Ghardaïa. Parmi les femmes,
ü’assistance n’était obligatoire que pour les laveuses, qui devaient pré-
cisément diffuser la bonne parole dans leurs villes respectives. Les
supérieures de chacun des quatre groupes se plaçaient à côté de celle
■de Ghardaïa.
Le cheikh prenait la parole pour une exhortation morale, wci'-d,. Or,
«n cette séance publique, Menna Na‘mara était admise à interroger,
•compléter, rectifier au besoin! Les autres supérieures ne devaient pas
«élever la voix, mais pouvaient communiquer leurs réflexions à Menna
!Na‘mara qui se faisait leur interprète. Les tolba avaient-ils ou non le
droit d’interpellation? Les réponses sont contradictoires.
Si cet étrange récit est exact, on inclinerait à voir une influence
berbère dans cette extériorisation de l’action féminine. En tout cas, le
fait ne s’est plus présenté au temps des deux dernières grandes laveuses.
Incontestablement, les femmes jouissaient alors de libertés et de dis-
tractions plus nombreuses, tristement comptées aux années suivantes à
mesure qu’elles cli - paraissaient une à une.
Les fêtes mêmes étaient plus bruyantes et plus longues. Les yo ,-you
étaient permis pour les mariages, les naissances. La mariée ôtait trans-
férée chez le marié au son des tambours et des chants nègres ; la sœur
du marié venait la chercher, ornée de deux paires de heUtCil, les uns
formant large bracelet, les autres du modèle ras el-hanes. De chez lui à
16
LA VIE FÉMININE AU MZAB
la hajba , le marié était escorté de chants et d’airs de gaîta. La hajba
d’aujourd’hui était réservée aux pauvres, qui ne faisaient fête que trois
jours. Celle des grands mariages était alors une tente, hima (ar.) tahamt
(moz.) (1), dressée dans l’oued, où l’on faisait sept jours de fête et de
musique. On jouait aux cartes. Le marié restait jusqu’à minuit souS la
tente puis rentrait chez lui. A la fin delà septaine, vizirs et marié allaient
s’excuser du bruit nocturne auprès du cheikh de la grande mosquée, qui
répondait avec mansuétude: « Que Dieu vous protège! Qu’il prolonge
votre vie! » Pas d’autre pénitence, ce qui prouve bien que de telles
libertés ne choquaient point en ce temps-là les tolba.
C’était le temps des chants dans les réunions, des tbâg pleins de
cacahuètes, des caquetages et des chansons. On se mettait deux fois
autant de meunières qu’il ! allai t pour moudre plus de blé qu’il n’en serait
mangé. Les femmes pouvaient sortir pieds nus, rester sans le lourd
hambüz (2) ou ksâ de laine dans les jardins : une simple mehêrma suffi-
sait. Les jeunes filles n’étaient voilées que d’un léger tissu qui ne couvrait
pas le visage, et pourtant elles ne se mariaient pas aussitôt qu’aujour-
d’hui.
Adieu les joies simples ! Adieu la gaieté infiltrée dans les maisons
closes! Meifîia Na‘mara est morte, l'avènement de Mamma Bel Hàjj est
celui de la réforme dictée par les tolba.
Les jeunes filles étouffent désormais sous l'épais ksâ. L’usag du
voile est très strictement imposé. Avant clin es-salâm, les femmes étaient
moins souvent voilées, très probablement sous l’influence des habitudes
berbères. En toilette, avec leurs bijoux, elles restaient dévoilées avec les
parents et même les amis de la famille ; tandis qu’aujourd’hui le beau-
frère ne peut voir sa belle-sœur habitant chez lui. Sans toilette, on pouvait
même se dévoiler au marché si l’on rencontrait quelqu’un de connaissance.
Les espèces de papillotes appelées dür, gonflant sur les oreilles, sont
(1) À El-Goléa, les familles d’origine arabe nomade font sept jours de fète et élèvent encore une
tente, détestée des jeunes mariés qui y grillent en été.
(2) Sur l’origine probable de ce vocable (yambuz), cf. YV. Màrçaïs, Textes arabes de Tanger, p. 405.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
il
défendues parce qu’elles s’obtiennent avec des cheveux coupés. Plus d’or
sur la poitrine, quelques petits colliers seulement autour du cou; plus de
«haines sur la tête, plus de bracelets d’or ni d’argent, soit parce que
Juives et Arabes s’en couvrent, soit parce que les pauvres seraient portés
à voler par envie.
Plus de henné arrêté à la paume de la main, il faut l'appliquer jusqu’au
poignet; sinon au dernier jour la coupable serait mise avec le peuple
de Loth, qüm Lüd, dont c’était la coutume. Or, Dieu a brûle ces gens avec
le feu du ciel, « parce qu’ils faisaient toutes espèces d’horreurs ».
Défendues pour le même motif la raie horizontale au safran, joignant les
sourcils, et l’application de henné laissant des intervalles blancs à l’inté-
rieur de la main, en rayures transversales, blanches et jaunes intercalées.
Marnma bel Haj j imposa plus de respect des choses religieuses ; ainsi
pour réciter lùièl, la porte dut être fermée, ou tout au moins remplacée
par un rideau assourdissant un peu h-s'voix. Elle veilla encore à la pureté
de la langue mozabite, non sans quelque violence: une femme qui pro-
nonçait tinserkin le nom d’une sorte de homri , appelée limsebkin , s’enten-
dit maudire et traiter de rûiniya , car c’est bon aux roumis de s’exprimer
pareillement !
On rendait parfois à Mamma Bel Hàjj ses malédictions, et encore les
lèvres n’exprimaient pas tous les ressentiments du cœur: « Que Dieu te
maudisse pour tes sévérités... qu’il te fasse mourir!... » Qui, avait
promis d’égorger une chamelle lorsqu’elle mourrait; qui, d’égorger un
mouton, qui, de faire danser les nègres. Sereine, elle répondait: « Je
mourrai, et celle qui viendra après moi fora encore pis. Vous me regret-
terez. »
Effectivement. Vint Mamma Slimân. Toutes les mailles du filet se
resserrent. Mamma Bel Hàjj avait laissé les iê:es à peu près intactes. Les
femmes pouvaient encore venir aux circoncisions en grande toilette,
brillantes de bijoux. Celles qui étaient par trop dorées, remontaient
prudemment le ksâ sur la poitrine à l’entrée des laveuses, comme on
l’attache pour sortir, et ramenaient un p«n sur leur front, avec modestie,
2
18
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
pour cacher les chaînes et les boucles d’oreilles excessives... Manama
faisait semblant de ne rien voir.
Le soir suivant le mariage, un peu avant la tombée du jour, la mariée
était assise, la clé dans son giron. Sa sœur, en blanc, se tenait debout
derrière elle. De chaque côté, en ligne, toutes les parentes et amies, plus
parées les unes que les autres, resmu , c’est-à-dire s’étaient faites belles
et posaient pour se faire admirer.
« Restez donc assises, cela suffit bien, promulgua Mamma Slimàn;
et ne mettez pas tant de bijoux. » On s’assit, en soupirant le regret des
bijoux défendus. Ce n’était donc pas assez de n’en plus porter hors les
jours de fête !
Passe encore la suppression aux jours de fête, grommelèrent au con-
traire les maris; mais nous sommes las de voir chez nous nos femmes
« habillées comme des bourriques ! » Si bien que les consignes furent
adoucies pour la vie privée ; le statut actuel fut adopté. Pour les réunions
entre femmes une certaine austérité demeura de règle ; mais chez elle,
en présence de son mari, la femme peut mettre un bon nombre de bijoux
tout le jour, en attendant que le soir, seule avec lui, toutes les restric-
tions tombent: bijoux, costume, coiffure, tout sera à son gré, jusqu'aux
tihallüfin et à la metiênna nouée à la mode arabe. Demanderait-il de voir
sa femme vêtue à l'européenne ? S’il le désiraiL elle ne devrait pas refuser.
Cette concession fa, te aux maris, Mamma Slimàn poursuivit sa tâche
avec une patience, une opportunité, un» ténacité vraiment admirab es.
Elle s’arma de la teùria, qui avait bien toujours existe théoriquement,
niais ne fut remise en vigueur que comme sanction de la réforme; elle
en étendit l’usage jusqu'à la punition du plus petit manquement : une
femme se vit excommuniée pour avoir mis sa gandoura à l’envers sans
s’en apercevoir! Eu conséquence, le devoir de la dénonciation prit une
importance toute nouvelle et un» extension considérable. La propre sœur
de la coupable, au besoin, fait connaître le moindre délit. « Si je m’abste-
nais, Dieu me punirait à sa place.
Nous ne reviendrons pas sur les défenses déjà énumérées (1), et le
(1) Cf. t. I, p. 2,11-234.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
19
plus souvent dictées par un souci moral. Ainsi la défense faite aux jeunes
filles de sortir en toilette a pour but d’éviter aux hommes une tentation
qui en avait déjà mené plusieurs au divorce. Probablement, le même
motif a conduit à supprimer une autre coutume qui offrait semblable
danger. Aux temps anciens, lors du concile annuel des laveuses, elles
n’étaient pas seules à accomplir sur les rochers une série de visites
pieuses rappelant celles des hommes pendant la ziyâra : les femmes,
jeunes filles et fillettes suivaient en grande toilette. Toute cette partie
extérieure de la fête n’existe plus (1).
Mamma Slimàn s’est toujours montrée très sévère sur la tenue. C’est
pourquoi elle a poursuivi impitoyablement les chants et les you-ynu.
Elle les a même supprimés en une occasion où ils avaient un certain
caractère d’action de grâces. Au temps de Mamma bel Hàjj encore,
lorsque venait l’oued, les femmes allaient au bord de l’eau chanter leurs
remerciements à Dieu, et pousser des you-you, qui se multipliaient au
seuil de chaque demeure, à l’entrée de l’eau dans le jardin.
Mamma Slimân a-t-elle trouvé à cette coutume un certain parfum de
paganisme, en raison de la cérémonie vraiment païenne par laquelle on
demandait la pluie? Toujours est-il qu’elle a proscrit les deux. Les
groupes sont rares qui vont encore à la rencontre du flot, mais non pas
les you-you devant chez soi restés vivaces autant que joyeux.
Le rite de la demande éta-ît curieux, et l’on y reconnaît celui de tous les
pays berbères (2). Des négresses, seules, n’onl pas cessé de le pratiquer.
Une sorte de poupée était fabriquée avec le megref , grande cuiller
pour la sauce du couscous (3). Fixée en haut d’un roseau, elle figurait la
tête, un bâton lié transversalement formait les bias. Ce squelette était
(1) Cf. t. I, p. 222-224. La sortie des laveuses nous avait été donnée comme simple promenade,
alors qu’elle est en réalité une sorte de pèlerinage. La date est variable selon l'année lunaire; en
1927, le concile était en mai.
(2) On dit que certains Arabes du Mzab auraient conservé la coulume, n’étant pas sous l’obé-
dience des Abàdites.
(3) Autre exemple d’une poupée confectionnée avec «<ne cuiller, à Géryville pour l'ennâyer
(Dgstaung, l* Ennuyer chez les Béni Snous , in Rev. africaine , 1905, u° 253, p. fi4, note fi, et Fêle» et
coutumes saisonnières , in Rev. a/r., 1907, p. 2 4, note 1 1. Iiesparmet donne plus de détails, et le
nom de la poupée Bü Gunja (Cou /urnes, I, p. 88-90). Chez les Rehamna elle s’appe le Târounja
Doutté, Merrakech, p. 385). A Rabat, Taghonja (Burnay, Notes d’ethnographie, p. 141). Ghonja au
LA VIE FÉMININE AU MZAB
vêtu d’un grand morceau de cotonnade blanche, tarbagit , en guise de
robe ; une mehêrma de soie coiffait le megref , et le mannequin était con-
vert de tous les bijoux de la mariée.
On faisait alors un ma l rüf d’orge dans la maison où la poupée avait été
fabriquée, puis une fillette la prenait, et allait la promener dans l’oued,
escortée de toutes les petites Mozabites qui chantaient :
B ü Gunja (1) yatleb rejja (2) ;
Y a Hebbi, begbeg râsü!
Bü Ganja demande V espérance (ce que nous espérons) ;
O Seigneur , mouille sa tête!
Ce jour-là toutes les petites filles avaient une gouttelette de plâtre sur
chaque pommette, une raie depuis la racine des cheveux jusqu’à la base
de la cloison du nez, coupée en croix par une petite raie horizontale à la
pointe du nez.
Chose étrange, une coutume aussi peu orthodoxe que cette procession
subsisterait encore pour demander le vent. Elle est réservée au temps
du vannage et repose sur cette croyance, que le vent se lève dés l’instant
d’un assassinat jusqu’à la découverte du meurtrier (3).
Les hommes jouent la scène presque au naturel. Ils saisissent un
journalier noir, un liammâs , lui cachent le visage dans son sês, serré au
cou à l’étrangler, puis le jettent dans’le tas des épis d’orge, chantant,
clamant qu’il est mort, criant qoul , qouï... ils l’empêchent de se relever.
Maroc en général (Herber, Poupées marocai nés, in Arch . berbères , 1918, p. 69 et surtout 77). Mais
dans le Rif, Ihnstith nurizar , la fiancée de la pluie; la poupée est fabriquée a>ec. la pelle à four
(Biarnay, Elaaes sur les dialectes berbères du Rif, Paris, Leroux, 1917 ; t. LIV des Publ. ^ac. Lettre s
d’Alger , pp. 177-178). En Palestine et au pays de Muab, Umm el-ÿeït (Jaussen, Coulâmes... au pays de
Moab, p. 828-129). La bibliographie complète de la procession de la poupée élc donnée avec
une étude comparali vedes différents rites usités par W. Marçais, Textes arabes de Takroûna, p. 205-208,
c-f. encore p. 197-204.
(1 C’est le vieux nom berbère de la cuiller, aÿunja. On trouve encore gunjâya dans beaucoup
de parlers arabes de Constantine et de Tunis.
(2) i Rejja avec le j doublé et Va bref remplaçant 1*5 long. Rejâ a le sens d’espérance (Beaus-
.3IL.R, 288 ; Dozy, I, 516) ; Desparmet donne la variante : Rü Gunja, yd tâleb ei'-rejâ ( Coutumes , I, 90).
(8) De mémo à l’instant où l’on trouve un enfant illégitime jusqu’à ce que le père ou la mèr«
soient connus.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
.SI
vont jusqu’à s’asseoir deux ou trois sur son dos pour le maintenir. Le
malheureux pousse autant de hurlements que le permet l’orge qui lui
antre dans la bouche. Et cela devrait durer jusqu’à ce que le vent souffle.
Quand on commence à craindre que la viclime n’étouffe pour de vrai, on
la relâche cependant, avec l’espoir que Dieu enverra le vent sans retard,
par pitié pour le hammâs.
Les femmes simulent aussi l’assassinat d’une négresse, mais heureu-
sement se contentent d’opérer sur un cafard ; il doit à sa couleur la triste
gloire de celte substitution (1).
Sur un roseau on enroule un burnous blanc, et on met un lien de
distance en distance pour le maintenir ; puis on plie en long, en quatre
épaisseurs, sept à dix mekêrma de soie, toutes de couleurs différentes, et
on les coud les unes à côté des autres tout le Ions du roseau. A l’extré-
O
mité supérieure, enfin, on attache le cafard dont le cou a été lié, et bien
serré, par un fil. Les femmes s’écrient alors qu’elles ont tué une négresse,
et l’on va dresser le roseau sur la grande terrasse de la maison. U est là
dès le malin et restera jusqu’au soir, les belles mekêrma exposées à
l’admiration des passants. Après l’avoir fixé, l’une des femmes fait tour-
ner une nouvelle mekêrma au-dessus de sa tête, en se plaçant successive-
ment aux quatre points cardinaux, et elle fait des invocations pour
demander le vent.
Les pauvres accomplissent le même rite, et ornent le roseau avec ce
qu elles ont de mieux, soit des mehênna de coton, soit les voiles de laine
plus giands qu'elles portent en fichus. Riches et pauvres mangent le
matin du pain, du lait aigre, du lait frais, des dattes et le soir de l’orge.
Autrefois on etendait des mekêrma sur la terrasse, avec force you-you,
mais Manama Sliniân a réussi à supprimer cet épisode. Il est probable
qu’avec le temps elle viendra à bout de toute la cérémonie et que nous
avons là l’exemple d une coutume en cours de destruction. Les femmes
(1) Le cafard est volontiers maintenu au rang d’esclave dans l’idée populaire. Une négresse
venait d’écraser un scorpion dans un trou de mur, presque aussitôt un cafard s’y précipite :
Mâdemhâl « Son esclave noire! •> ditr-elleen le montrant. A Kairouan, où s’emploie la même expres-
sion : l-hanfü* hâdem el-'agrrb , on explique que le cafard est ainsi nommé « parce qu’il accumule
îes détritus qui attirent les scorpions » (?). Sur hâdem , signifiant négresse », cf. W. Marçais,
Texies arabes de Tanger, p. 277.
22 LA VIE FÉMININE AU MZAB
gémissent : « Elle fait tout cela pour plaire à Dieu, mais elle se trompe
bien ; la preuve c’est qu’autreiois il pleuvait et que maintenant il ne
pleut plus. » « Depuis que Ba Blcer a changé la religion, on a bien
moins d’eau qu’avant », disait une autre Mozabite.
Par une interprétation assez singulière, la peinture, même en simples
bandes horizontales, rouges ou jaunes, serait interdite dans l’ornementa-
tion intérieure des maisons. Mamma Slimân étendrait jusque-là l’inter-
diction de représenter les objets, et verrait en ceci un reste de l’adoration
des statues. N’est-ce pas plutôt par souci d’austérité, au même titre qu’elle
défend de suspendre au mur des assiettes qui, ainsi exposées, feraient
envie aux pauvres? Elle poursuit le luxe au point d’interdire à la femme
l’usage de toute autre vaisselle que le gç'-a ; le mari seul a droit à une
assiette, une cuiller et une serviette de laine.
Elle s’occupe aussi de la réforme linguistique. Comme Atfïes et ses
disciples, elle n’accepte que l’arabe classique comme langue religieuse.
Mais tandis qu’elle en enseigne les éléments aux fillettes pour qu’elles
comprennent un peu la priere, elle se refuse absolument à leur apprendre
l’arabe vulgaire. Autant qu’elle le peut elle détourne les parents de la
tolérance sur ce point: « Cela ne servira, dit-elle, qu’à faciliter les mau-
vaises connaissances. » On a vu que ses conférences religieuses sont
toutes en mozabite.
Autrefois, on parlait beaucoup plus l’arabe, et il y avait assez sou-
vent des mariages entre Arabes et Mozabites. Maintenant au contraire,
ils sont très rares et mal vus. « Une femme qui a du cœur ne se marie
pas avec un Arabe; mais une femme mauvaise peut agir à son gré. »
Pourtant la tradition féminine dit que les Abâdites qui sont venus s’ins-
taller au M/.ab parlaient tous arabe.
En revanche les mots français commencent à acquérir droit de cité, et
sont parfois connus alors que le mot arabe courant ne l’est pas, ainsi
likül s’emploie et non l-medersa. L’adaptation est quelquefois poussée plus
loin, on dit couramment d’un homme qu’il est qawrji, courageux, et l’on se fi-
LA VIE FÉMININE AU MZAB
23
gure employer un mot arabe (1). Ces innovations doivent être assez désa-
gréables à Mamma Slimân ; mais son avis ne nous a pas été donné sur ce
point.
Elle a une extrême méfiance de ce qui est roumi, c’est-à-dire chrétien
et européen; cependant elle rend justice à la vie pieuse et charitable des
Sœurs et des Pères Blancs.
A la mort du R. P. Guérin, préfet apostolique, en 1910, son corps fut
exposé. Beaucoup de femmes indigènes allèrent le voir, par curiosité
mais aussi par vénération. Toutes celles dont Mamma Slimân put savoir
les noms furent dans une tebria majeure, et contre les autres, faute de
mieux, elle prononça sa pire malédiction : « Gela pénétrera en elle comme
Feau dans le sable! »
La mesure était justifiée par l’énorme bi^a que représentait celte
visile. Elle n’implique pas une méconnaissance du rôle des Pères. Un
jour de conférence, la conversation amena leur nom, et quelques femmes
s’apprêtaient aies critiquer. Mamma, qui met impitoyablement à la porte
toute mauvaise langue, les arrêta cette fois par une citation évangélique.
«Ilya dans les livres, dit-elle, que le Seigneur recommande le soin des
pauvres, disant que ce que l’on fait pour eux est fait à lui-même. Il dira
au dernier jour : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif
et vous m'avez donné à boire... » Commentant le passage, elle ajouta:
* C’est ce que font les Pères et les Sœurs, qui viennent au secours des mal-
heureux. Ils ne font pas de mal, au contraire, et vous devriez les imiter(2). »
En toutes les réformes de détail qu’elle impose, Mamma Slimân est
en parfait accord avec les tolba. C’est elle qui est chargée de traduire en
langage pratique les prescriptions générales qui ne passeraient jamais
dans la vie courante, si elle ne les monnayait en minuties concrètes.
Elle a toujours joui d’une grande considération auprès des chefs reli-
gieux. A la mort de Mamma Bel Hâjj, certains disent qu’elle a brigué la
succession ; à coup sur les tolba l’ont nommée en sachant quel auxiliaire
(1) En d’autres parties de l’Afrique du Nord, on rencontre kürâji .
{2) On affirme qu’elle n’a pas lu l’Evangile. Peut-être l’a-t-elle cité d’après quelque conversation
avec une des Sœurs ou quelque lecture dans un livre de morale musulman ; Atliesa reproduit des
textes évangéliques. Nous n’avons pu recouper ce récit.
U LA VIE FÉMININE AU MZAB
fidèle, intelligent et zélé elle serait. Elle jouissait d’une sorte de célé j '
brité, b'en qu’elle n’eût encore instruit que les ] etites filles comme beau-
coup d’autres femmes. Très fréquemment elle est en correspondance avec
eux, une négresse est employée à ce service. Elle est aussi eu rapports
avec les caïds, mais beaucoup moins souvent et sans la même entente.
Voici quelque temps, elle a essuyé un refus dans une de ses deman-
des au caïd. Au jour fixé par lui, autrefois tous les mardis, maintenant
seulement à l’annonce de l’arrivée d’un grand personnage, il y a corvée
de balayage. Chacun doit nettoyer devant chez soi, l’un donne son temps,
un autre prête son âne, un autre ses balais, etc... Quand l’âne a son far-
deau de détritus, on les porte au barrage en amont, dont on répare en
même temps toutes les fissures. Le travail est surveillé par les chefs de
fraction, à raison d'un par famille, chargé de mettre à l’amende quicon-
que se dérobe ou s’enfuit.
Or pour égayer la corvée, les nègres du caïd chantent, jouent de la
flûte et du tambour, à la grande joie de toutes les fillettes qui courent
partout où s’entend la gaïta (1). Si les femmes ne les imitent pas, ce
n’est pas l’envie qui leur en manque, et elles ne se font pas faute d’écou-
ter de toutes leurs oreilles. Mamma vit là trop de frivolité, et réclama la
suppression des chants et de la musique. Mais cette fois le caïd ne voulut
pas se rendre à ses raisons et laissa vivre la pauvre distraction.
Il est rare que la présidente des laveuses n’ait pas gain de cause.
Ramadan 1927 a donné un exemple de l’initiative qu’elle sait prendre et
du soutien qu’elle trouve en haut lieu.
La coutume veut qu’il y ait échange de cadeaux entre la famille du
mari et celle de sa femme. Le 15 de Ramadan la mère du mari doit ap-
porter à la jeune femme six litres de blé pour faire du couscous, avec de
la viande, du beurre en proportion, et aussi des levés.
Cette quanlité n’est pas fixée par les qânün , mais elle est quasi im-
muable tant la coutume l’a consacrée (2) ; les pauvres eux-mêmes se
croiraient déshonorés d’y manquer. Pour 1 "Id eç-çglr, la belle famille rend
(1) Sur l'origine de ce mot, cf. W. Marçais, Textes arabes de Tanger, p. 407.
(2) Cependant, une autre femme dit : « On apporte ce qu'on veut, une febga de cacahuètes, de
pois chiches crus ou cuits, etc... »
LA VIE FÉMININE AU MZAB 25
âmîégralement la politesse, soit lorsque la jeune femme revient chez elle,
jSs elle a passé le mois chez ses parents, soit par un simple envoi si elle
«st restée chez son mari.
Cette année là, le cadeau de mi-Ramadân avait été fait sans incidents.
La fin du mois était proche et la femme d’un pauvre hammâs père de plusieurs
filles rappela à son mari l’imminence des cadeaux à offrir. A force d’in-
sistance, elle obtint en tout six litres de blé et trois ou quatre kilos de
viande. « Que faire de cela ! s’écria-t-elle, c’est à peine ce qu’il faudrait
pour une seule ! » Quelle que fût la bonne volonté du journalier, impos-
sible d’améliorer la situation. « Que veux-tu ! depuis qu’elles sont ma-
riées c’est à leur mari de les nourrir. — Pour qui vais-je passer si je
as’apporte pas ce qu’il faut ! Vends quelque chose, et donne-moi le néces-
saire. — Et quoi vendre ? Je n’ai que mon âne. — Vends Ion âne », in-
sistait sa femme.
Le hammâs s'en fut conter son embarras à Mamma Slimàn. En même
temps, elle recevait la lettre d’un autre pauvre, avec semblables doléan-
ces ; celui-ci venait d’apprendre que sa femme avait engagé chez le juif
son unique bien, un collier, pour avoir en prêt la somme requise.
Mamma Slimàn a un souci constant et touchant des pauvres. Emue,
©lie décida de sa propre autorité que les cadeaux de Ramadan étaient abo-
lis. Pauvres et riches se contenteraient d’acheter du vermicelle pour une
sürba par famille. Le nouveau décret entrerait en vigueur immédiatement
«t dispenserait du cadeau de 1 u ld eç-çgir.
On avait compté sans les maris dont la mère avait déboursé le festin
■4» 15 et n’allait pas rentrer dans ses fonds, sans les jeunes femmes cou-
vertes de confusion qui ne voulaient pas passer le seuil conjugal sans
3e couscous de retour. Bref, les inimitiés tourbillonnaient comme des
mouches sur tout Ghardaïa ; il y eut même des divorces.
Quelques vieux renards croyaient avoir trouvé une solution : « Pas de
cadeau pour Y'id, soit. Eh bien, on fera avant \ u ld un cadeau libre et
aaouveau qui remplacera. » Mais Mamma Slimàn ne se laissa pas prendre
®ïï piège. « Pendant tout Ramadan et tout le mois suivant, répondit-elle,
les cadeaux sont défendus sous peine de tebria. » Fureur des maris, qui
•se promettent de supprimer le cadeau de viande et d’argent envoyé chez
26
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
leurs belles-mères pour 1 u ld el-kblr ; comme représailles prochaines, ils
ne donneront pas un sou à la jeune femme quand elle reviendra avec ses
beaux atours mais sans couscous (1). Ils excitèrent les chefs de fraction
et les du/nmân au point que ceux-ci s’en furent prier Mamma Slimân de
rapporter la décision. Sans se laisser intimider, elle leur raconta l'histoire
du hammâs. Gomment ! un homme serait privé de son âne, son unique
moyen de travail, pour un couscous mangé en une nuit ! Combien de
temps lui faudra-t-il pour réparer cette perte, si tant est qu’il y arrive ?
Non, une coutume qui impose aux pauvres de telles difiicultés ne mér te
que la suppression. Du jour du mariage, le mari doit nourrir et habiller
sa femme. Au lieu de penser à toutes ces chicanes, qu’ils s’accordent
donc entre eux et songent à adorer Dieu ensemble. >
Les chefs s’en retournèrent convaincus; à la place des revendications,
ils n’avaient plus sur les lèvres que des souhaits : Ituwwal Rebbi ‘ omrek ,
« Que Dieu prolonge ta vie! Mais la sanction véritable manquait encore;
Mamma écrivit au cheikh, celui-ci se rendit à ses raisons, se chargea de
faire plier les hommes et confirma la grande laveuse dans son autorité sur
les femmes.
Ainsi apparaît-elle parfois comme une véritable collaboratrice des tolba,
et non dans l’attitude passive d’un simple sous-ordre.
Cependant une évolution se fait au sein de la société religieuse du
Mzab. Le rigorisme d’Atfïes fait place à un certain laxisme. Et là, Mamma
Slimân freine autant qu elle le peut, mais le mouvement prend le groupe
abàdite à la fois par les sommités et par le peuple.
Des chefs ont contracté les défauts européens. Ils restent francophobes
et ne perdent pas une occasion de se soutenir entre eux contre la France,
surtout quand cela peut être fait invisiblement; mais la ferveur purement
religieuse, génératrice d’austérité réelle, ne flambe plus si haut.
Les femmes commencent à s’apercevoir que leur existence n’est pas
(1) Le mari donne habituellement 5 à 20 fr. scion sa fortune et son affection.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
21
celle d’ailleurs (1). A deux ans de distance on trouve des signes nets d’évo-
lution. Le navire fait eau.
Les tolba se sentent moins forts. Ainsi, il est défendu aux femmes
d’acheter dans les boutiques tenues par les hommes. Celles qui sont res-
pectueuses des usages s’abstiennent ; les dissipées vont acheter par la lu-
carne coupée dans le mur opposé à la porte, elles n entreut pas encore, à
moins d’être sur le point de mal tourner. Mais que dit-on ? que les tolba
laissent faire.
Et lorsqu’il s’agit de fautes graves, la tradition des dures pénitences
se perd. Il y a quelques années, la femme qui se repentait de sa mauvaise
conduite devait distribuer aux pauvres ou brûler tous les meubles et
vêtements dont elle s’était servie en ce temps, elle acceptait de jeûner
quarante jours ou deux mois, de donner une assez grande quantité de blé
eu ma l rüf, de passer une nuit seule au cimetière d’‘Ammï Sa‘ld, de faire
le tour extérieur de la ville pieds nus à l’heure de la gâtla, quand le
sable est brûlant, ou de monter au sommet du rocher de Baba Sa'd, qui
surplombe Ghardaïa, en portant sur son dos la meule courante du moulin
à blé, ou encore de monter et redescendre à reculons cette môme pente,
« en pleurant à chaudes larmes », ce qui était la pénitence d’usage pour
la naissance d’un enfant illégitime.
Non, tout cela ne s’accepte plus. Une femme qui avait refusé le porte-
ment de la meule disait : « Eh ! mais en arrivant je serais morte ! — Et
le pardon ? — Bah ! Dieu n’en demande pas tant. » D’abord les avorte-
ments et les assassinats de nouveau-nés se généralisent, et c’est autant
de chances de moins d’être découverte. Or, de tout temps, il y a eu bien
des pénitences qui n’étaient faites qu’à cause de la publicité donnée au
péché. Si la faute restait inconnue c’était affaire entre la coupable et le
Seigneur, beïnhâ u be'Cn Rebbl, à qui elle pouvait demander pardon dans
{1) Sans doute la question de leur sortie du Mzab s’est-elle posée assez vivement ces derniers
temps. Le 28 mars i92<S, la jmâ'a du Mzab, après délibération, interdisait « d une manière géné-
rale et absolue » toute tentative de ce genre. La conséquence en serait notre perte certaine »,
assurent les membres de 1 assemblée. Cf. Mii.liot et Giacobetti, Recueillie délibérations de* Dj'-mâ'a
du Mzab , p. 218-219, in Rev . des Études islamiques, cahier 11. 19 0. Ces documents touchent en beau-
coup de points la vie féminine; leur publication postérieure à la mise en pages de la présente
étude n’a pas permis d'y faire des renvois délaiJlés.
28
LA VIE FÉMININE AU MZAB
son cœur, sans formule ni conditions fixées : ttüb berk. L’aveu et l’accep-
tation do pénitence qu’il implique étaient alors pure question de dé-
licatesse de conscience.
Aujourd’hui, une mère qui ne veut pas tuer son enfant né hors du ma-
riage prévient la laveuse et va ensuite au cheihk, auprès de qui tlüb ;
il la renvoie sans rien exiger. Il fera élever l’enfant dans une famille sur
les fonds des .habous. Cependant, il arrive encore que la femme repen-
tante donne aux pauvres tout ce qu’elle a reçu au temps de sa conduite
mauvaise. La restitution après un vol persiste aussi, et dans des condi-
tions vraiment méritoires, car la coupable rapporte elle-même la somme
ou l’objet au propriétaire lésé, lui avouant sa faute et demandant simple-
ment que la chose reste secrète.
Malgré des signes encore bons, la réforme déjà décline. Peut-être
aussi, pour avoir demandé trop de contrainte aux femmes, va-t-on perdre
le soutien qu’elles seules offrent encore intégralement à l’abàdisme. Les
tolba ont réussi une véritable gageure. Revenant au pur khàrijisme et
pourchassant toute infiltration berbère, ils ont fait de la langue et de la
société mozabite une protection contre les rites orthodoxes. Ils ont fait
servir le berbère lui-même, contre l’arabe, à la garde d’une secte musul-
mane. Ils ont accentué leur isolement. Maintenant que l’occupation fran-
çaise les en a tirés et qu’insensiblement ils font leur vie à l’image des
autres groupes, vont-ils perdre le fruit de leurs sacritices, et de ceux
qu’ils ont imposés aux pauvres femmes? Il est bien à craindre que la crise
ne s’achève pas sans grand détriment moral, à moins que l’on ne puisse
faire pénétrer quelques idées chrétiennes, aussi pures que les leurs mais
autrement plus larges.
En tout cas, ce remaniement de tout un petit peuple, de propos déli-
béré, en moins d’un demi-siècle, est un bel exemple de religieuse et per-
sévérante énergie. Il n’était donc pas inutile de s’y arrêter un instant.
III
QUELQUES LÉGENDES MOZABITES
Sur Notre Seigneur Jésus.
Le récit de l’Annonciation est conforme au Coran Mais celui de l’As-
cension présente quelques différences avec les explications musulmanes
habituelles. C’est le grand prêtre des Juifs et non plus Judas qui est
substitué au Christ et crucilié à sa place.
Des centaines de Juifs le poursuivaient pour le mettre en croix. Ils
l’atteignirent dans une maison au fond de laquelle se trouvait un mahzen
à deux portes. Notre Seigneur Jésus entra par la porte de Vust ed-dâr et le
grand prêtre par celle de l’extérieur, afin de se saisir de lui dans le mahzen.
Mais l’ange Gabriel ouvrit le toit, fit ainsi sortir de la chambre le Messie
qui s’éleva au ciel, « comme un avion », sans que personne le portât.
Simultanément, Dieu changea l’aspect du grand prêtre et le lit à la
ressemblance de Notre Seigneur Jésus. Comme il ressortait par où celui-
ci était entré, les Juifs se méprirent et le tuèrent à sa place.
Les Juifs venus pour crucifier le Christ ne l’ont pas vu monter au ciel,
mais d’autres l’ont vu, ainsi que des hommes de différentes nations. Quant
au grand prêtre, jamais il n’a reparu ; c’est pourquoi les meurtriers ont
compris leur erreur.
On ne peut affirmer d’aucune autre créature qu’elle soit au ciel, mais
on sait que le Paradis était assuré à Notre Seigneur Jésus. Di s chants le
disent; d’ailleurs plusieurs chants mozabites mentionnent le Messie (1).
jl) Nous n’en avons trouvé qu’un: la complainte chantée pour les circoncisions. Mais les mots
s’y succèdent avec une telle incohérence qu’il faut renoncer à deviner le sens.
30
LA VIE FÉMININE AU MZAB
II se mariera au ciel, avec qui lui plaira ; certains disent la coiffeuse
de la fille de Pharaon (1). Le jour de ses noces, toutes les filles non
mariées sur terre se marieront à des hommes, les arbres chanteront, il y
aura mille joueurs de tambours, mille joueurs de zemmâràt, flûte ressem-
blant à la gaita , mille chanteurs et mille chanteuses.
Tout à coup la conteuse baissa la voix, et ajouta avec une crainte
mêlée de respect : « On dit aussi que Noire Seigneur Jésus est mainte-
nant sur la terre, vivant parmi les hommes sans qu’on le reconnaisse... »
Les parents sauvés par les mérites de leur fils.
Un jeune orphelin d’une douzaine d’années vint à mourir ; il avait si
bien récité le Coran, si bien loué Dieu, qu’il alla au ciel où nul ne fut
plus aimé.
Dans sa fierté, il finit par dire : < Peut-être n’y a-t-il pas plus beau
que moi au ciel ! » A quoi les liürât al- ayïiii (sic) (2), femmes que les amis
de Dieu pourront épouser au nombre de soixante-dix chacun, lui répon-
dirent : « Tu es si fier pue cela rt tes parents brûlent en enfer! »
11 n’y pensait pas, étant comme enivré mtgâsl (3). « Mon Dieu, se
mil -il à implorer, donne-moi mes parents ou envoie-moi souffrir
avec eux. »
Dieu ne parle pas aux élus, pas plus qu’il n’est vu d’eux (4) ; mais il envoya
Gabriel porter sa réponse : .. Va chercher dans tous les enfers, et, quand
tu l’auras trouvé, ramène l’un des deux, Ion père ou ta mère, à ton choix ».
Aux hedem en-nâr , anges gardiens de l'enfer mais non pas démons,
ordre fut donné de laisser lefroiilir la géhenne pour qu’il pût chercher.
L’enlant s’avam a. Dans le premier enfer, celui des chrétiens, rien.
( Mon Dieu, je n’ai pas trouvé ! » « Cherche dans l enfer des Juifs »,
0) Cf. t. I, p. 122-124.
(2} Corruption du al-hür al-ïn, les houris.
(3) La conteuse spécifie bien que cela ne signifie pas évanoui. Ce sens est donne par mgah-
Cf. VV. Mahçais, le Dialecte arabe parlé à Ttemcen, p. 312.
(4, Cf. t. 1, p. « et 223.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
31
qui est le second, lui dit-on. Pas plus de succès, ni dans le troisième,
celui des mages, le quatrième, celui des fabula, ceux qui font, sous-entendu
le mal, soit les malfaiteurs en général, soit ceux qui se livrent aux vices
contre nature, le cinquième (?), le sixième, celui des blasphémateurs,
saqqâra. Incapable de supporter la chaleur, cependant atténuée, il tomba
mt'gôÂi. Dieu fit ranimer son courage et l’incita à pousser jusqu’au der-
nier enfer, celui des luxurieux, hawlyn (1).
Là, il trouva sa mère dans une grande misère ; mais lorsqu’il voulut
l’emmener, ellè refusa : « Non, j’ai désobéi à Dieu. » Puis elle s’enquit
du motif de la visite et de la manière dont l’enfant était venu. « Mon fils,
reprit-elle à la fin du récit, va à ton père; plus que moi, il a travaillé et
souffert pour toi. C’est lui qui peinait au soleil, sur les rochers, et qui
gagnait ion pain. Moi. je t’ai seulement tenu sur mes genoux et donné un
peu de lait. Dès que tu as grandi c’est lui qui t’a promené. »
L’enfant alla vers son père, qui était aussi dans le septième enfer,
mais séparé de sa mère. Voici qu’il refuse de même la délivrance : « Mon
fils, va à ta mère. Je suis déjà habitué au séjour de la géhenne, j’ai le
cœur comme du fer. Va à ta mère qui t’a porté neuf mois dans son sein,
qui t’a allaité deux ans, tenu sur ses genoux pour te garder des scorpions
et des vipères. Elle te préservait du froid, et toi, tu l’empêchais de dor-
mir la nuit. »
« Mon père ne veut pas et mère ne veut pas, s’écria le petit voyageur.
Mon Dieu, donne moi mes parents lous les deux, ou laisse-moi souffrir
avec eux ! » Gabriel, de la part de Dieu, lui ordonna : « Demande à tes
parenls ce qu’ils ont fait surterre. »
Il retourna interroger sa mère : « Mon fils, je n’ai pas prié, pas jeûné,
j’ai bu du vin, fumé, été adultère et nejjcisa (qui ne se maintient pas en
état de pureté). Mais je n’ai ni volé ni critiqué, ma nlürns. Son père
1) Sur l’acception de ce mot, cf. t. I, p. 32, note 2. Ces degrés de l’enfer ne correspondent pas
à ceux que distinguent certaines traditions orthodoxes, peu solides d’ailleurs (cf. Sa'ràni, Mahtaçar
taàkiral ai- imam El-Qortobi, pp. 67-63, rapportant une tradition de Dahâk) : 1° jehannam, enfer des
musulmans; 2“ lazâ , celui des chrétiens ;3° el hutamahy,ce lui des juifs ; 4® es-sa‘ïr, celui des sabéens ;
6* saqar , celui des mages; 6 ° rl-jahïm, celui des poly-héislt s, même arabes; 7° el-hâwiyah, abîme
de 1 enfer, celui des hypocrites. On remarque une similiiude de racine entre le nom du 5* enfer
des orthodoxes et le 6* groupe de damnés chez les Muzabites.
32
LA VIE FÉMININE AU MZAB
fit la même réponse. « Mon Dieu, que dois-je faire P » supplia l'enfant.
« Prends tes parents tous les deux, lui fut-il répondu, soixante-dix d©
leurs voisins, et ramène-les avec toi. »
Lorsqu’il arriva au ciel avec ceux qu’il avait sauvés, Dieu lui fit dire s
« J’ai fait cela parce que tu as récité pour moi, ~ala wujhl , et que tu a&
chanté mes louanges (1). »
La lawlawcilt l-grïba.
(L’étrangère imprégnée de bonheur.)
Au pays des Roumis, vivait un Mozabite. Il avait lié connaissance ave©
quelques-uns d’entre eux, en particulier la famille d’une petite roumîya
de douze ans, qui venait parfois chez lui.
11 fit un jour la prière devant elle, ablutions, changement de costume,,
prosternation dans l’endroit pur. « Pourquoi tout cela P dit-elle, éton-
née « Parce que Dieu nous a ordonné de l’accomplir pour aller en
Paradis. — Mais nous, nous ne le faisons pas? — Chez vous, vous avez
du savon impur, il est karàm , la prière ne passe pas. »
La fillette demanda à être instruite, non sans avoir crainte de son
père : « 11 me tuerait, s’il savait... — Qui le lui dirait ? Pas moi. N’aie
pas peur; je ne te battrai pas, mais je l’enseignerai l’Islam. Aujourd'hui,,
il est déjà tard; viens demain et nous commencerons. »
Le lendemain, il lui donne de l’eau pour qu elle se lave tout entière,
puis, lui-même il lui coupe les ongles des pieds et des mains et lui
donne des vêtements purs. L’ayant fait asseoir, il lui apprend le timim
et, après lui avoir indiqué la direction de la Mecque, il lui lait faire la
prière de dolir et celle de 1 n açr, et enfin retirer les vêtements purs. Ren~
(V) Ce conte est de môme nature que celui qui a été rapporté t. I, p 221, note 1. A remarquer
la possibilité de salut pour les damnés, mais leur absence do mérites pjrsonncls, la persistance-
de bons sentiments dans i’ame des damnés, la division des enfers >elon la gravité du châtiment,*
et la punition des mau\ais musulmans au cercle le plus profond, enfin l'absence de \ision de l"eS"
sence divine au paradis, le manque de communicalion directe de Dieu avec les élus, la persistance
d'un bonheur matériel pour ceux-ci.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
33
trée chez elle un moment, elle était de retour pour faire les prières du
magreb et de vêtue comme la première fois. Le matin suivant, à
quatre heures, elle était là pour la prière de l’aurore. Pendant un ou deux
mois son zèle et son exactitude ne se ralentirent pas. (L’histoire ne dit
pas comment la sortie matinale passait si régulièrement inaperçue.)
Mais un jour, elle ne paraît pas. Le Mozabite demande à Dieu pour-
quoi. Le troisième jour, il décide d’interroger les hommes et s’en va
deiriander au père de son élève si sa fille n’avait plus rien à lui acheter.
« Elle est malade », répond le roumi. « Puis-jé la voir ?» insiste l’autre.
« Si tu veux », acquiesce-t-il.
Le Mozabite cause avec elle, l’encourage, lui parle de guérison et
ainsi chaque jour, sur la demande de la fillette, à qui son père permet de
recevoir cette visite. Le sixième jour, elle se sent mourante, et prie son
père de l’enterrer avec son argent. « Tu seras à mon enterrement roumi,
dit-elle au musulman, tu verras où on met l’argent. Puis tu reviendras
ouvrir ma tombe, tu le prendras, ce sera pour te dédommager du temps
passé à m’instruire et acheter ce qu’il faut pour m'ensevelir comme les
Mozabites. » Le septième jour, la petite malade mourait.
Au moment d’accomplir ses dernières volontés, le Mozabite faillit
devenir fou de frayeur : dans la tombe était non pas la fillette, mais le
mueddin de Ghardaïa ! Refermant la tombe précipitamment, il retourne
au Mzab sur l’heure; dès son arrivée, il monte à la mosquée et demande
le mueddin. « Il est mort tel jour, à telle heure », répond le gardien.
C’était l’heure où mourait la petite roumlya. Il se fait indiquer la tombe,
et vient l’ouvrir le lendemain matin. Pas de mueddin. . . mais à la place la
fillette habillée comme une mariée du troisième jour. Elle semblait
vivante. L’argent était là. L’ayant pris, il lave et ensevelit le corps à la
manière abâdite, prie sur lui, le remet dans la tombe, qu’il recouvre.
La nuit, l’enfant lui apparut en songe, disant ; « Le Maître des mondes
m’a donné le jennat el-Ferdüs (c’est le plus beau des cieux) et tu rece-
vras la même récompense que moi. »
Avec le contenu de la petite bourse, il fit faire pour elle de petits
ma l rüfet envoya des tolba lire sur sa tombe.
Quand il eut raconté aux gens du pays ce qui s’était passé, on érigea
34
LA VIE FÉMININE AU MZÀB
une qubba et, plus tard, on l’enterra lui-même tout près, si bien que la
qubba s’élève entre les deux tombes.
La fillette avait été transportée par les jammâlin rahhûla, anges chargés
de grouper d’une part les corps des bons, de l’autre ceux des mauvais.
Un pareil signe de son arrivée au port céleste la fait appeler la tawlawalt,
« celle qui est tout imprégnée » (du bonheur des cieux) (1).
Comment les Musulmans ont eu la permission d’épouser quatre femmes.
Au temps de Mohammed, dans le pays des chrétiens, un roumi tenait
boutique. Une jeune fille, que Mohammed mentionne sous le nom
de Miinüna, alla acheter dans le magasin pendant que le commerçant
dînait. Il lui offrit une part de son repas, qu’elle finit par accepter.
La nuit suivante, dans un demi-sommeil, rgedt ma rgedts, elle vit
Mohammed. Sà‘da u rahma ‘ alîya ! s’écria-t-elle ; a Bonheur et
miséricorde sur moi ! » « Ce n’était pas un rêve, dit-elle le lendemain, je
me réjouis à cause de Mohammed el-Mohtar ».
Son père la crut folle, la fit emprisonner, les chaînes aux mains et aux
pieds, i Même si on m’égorge avec un sabre, sikkîn (2), je n’oublierai pas
ni ne changerai d’idée. Mon amour et ma miséricorde, c’est Mohammed;
mâ nensàs u ma mvellls hebbï t va rahml Mohammed . » Son père la laissa
sans nourriture. « Un coup de soleil lui a retourné la cervelle, dit un
roumi ; ne lui faites donc pas tant de misères. »
Changement de régime; son père essaie de la soigner, de lui donner
des œufs, de la viande, tout ce qui pouvait lui faire plaisir. « Ils m’appor-
tent tout cela pour me faire oublier Mohammed, dit-elle. On m’a fait
cuire du lait sucré et on a dit : il faut la soigner, elle oubliera. Mais c’est
mon cœur qui est malade. Non, mâ nensas u mu nwellls, hebbl wa raliml
Mohammed. »
Pour clore la discussion, son père essaya de la vendre. Dans tous les
marchés il envoya un nègre qui la portait sur ses épaules et criait : u Qui
(1) Tawlawalt parait être tout simplement le mot arabe walïya herborisé.
(2) La conteuse spécifie bien que sihkin ne désigne pas un couteau, même de grande taille.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB 3 1
veut la fille qui a un défaut, lahâ l 2 3 ayb?n «Mon défaut, criait-elle de son
côté, c’est d’aimer Mohammed ! »
Personne ne voulut faire cette étrange emplette, si bien qu’au retour
le père furieux lui fit couper les mains et les pieds, crever les yeux et la
fit porter au cimetière où on l’abandonna. « Mohammed viendra te
chercher tout à l’heure », grommela son père.
Or, le Prophète priait alors à la mosquée de Médine. Gabriel l’avertit :
« Moljammed, voici ce qui arrive à Une Telle, fille d’Un Tel, dans tel
pays. » Monté immédiatement sur Burâq, il emmène ‘Alï monté sur
Sarfràn (1), cheval fort comme quarante chevaux et qui sautait par-dessus
les murailles des villes. Dix Açfiàb les suivent, montés sur des chevaux
ordinaires mais doués pour celte occasion d’une vitesse miraculeuse. A
l’instant même, tous arrivent au cimetière. Mohammed met pied à terre,
prend le pan de sa gandoura de la main gauche, en caresse les mains et
les pieds blessés, pendant que de la main droite il passe un peu de-
salive sur les moignons. Il en passe aussi sur les yeux et guérit la jeune
fille.
Tous les chrétiens viennent la voir, soixante se convertissent à l’Islam.
Elle se met à chanter : « Que toute femme de jolie taille s’habille de soie
jaune et vienne saluer Mohammed ! »
Jusqu’ici, il n’avait encore qu’une femme, ‘Àïsa ; mais il avait grande
envie d’épouser celle-ci. Gabriel survint, pour lui permettre d’en prendre
huit, et accorder à tous les Musulmans d’en avoir quatre.
Le Prophète épousa Mimüna (2).
L'origine de la « mousse de chêne (3) » .
Un vieux mendiant veuf avait sept filles. Comme il se remaria, sa nou-
velle femme exigea qu’il les chassât. Il les fit descendre dans une maison
(1) Gf. t. I, p. 227. Atfïes attribue la propriété de Sarhàn à Mohammed, après avoir pesé l’opi-
nion de ceux qui l’attribuent à ‘Alî.
(2) Une des femmes de Mohammed, en effet, porta ce nom. Elle était belle-sœur d’El-‘Abbâs et
tante de Khàlid ben el Walid (Derme.nghem, la Vie de Mahomet , p. 318).
(3) C’est VEvern ia farfuracea Ach., lichen exploité sous le nom de mousse de chêne; elle s’em-
36
LA VIE FÉMININE AU MZAB
par l’ouverture de la terrasse. Mais voilà que se trouva dans cet ust ed-dâr
un homme pour épouser l’une d’elles.
L’année suivante, un enfant était né. Le vieux, qui n’avait pas revu ses
filles depuis lors, s’en vint un jour mendier à la porte et, du seuil, appela
son petit-fils. La jeune femme reconnut la voix et, faisant sauter le petit
dans ses bras, elle se mit à improviser une chanson : « Tu as six tantes,
et ton grand-père nous a chassées ...»
Le mendiant entendit. De honte et de repentir, il s’abîma sur la terre,
qui s’ouvrait sous lui. Lorsqu’il n’y eut plus guère que sa barbe au dehors,
il l’arracha en criant : "Tiens ! voilà ma barbe ! » Et c’est elle qui a poussé
là où elle est tombée, sous la forme de cette herbe. Voilà pourquoi on
l’appelle « la barbe du vieux », lefyyet es-sih.
ploie conjointement avec VEvernia Prunastri comme parfum « de base ». On la rencontre fréquem*
ment dans la forêt d’Azrou, au Maro'c (Identifiée par M. R. Weitz).
IV
COUTUMES NÈGRES ENCORE EN USAGE
Les nègres sont en assez grand nombre au Mzab. Depuis l’occupation
française, c’est exceptionnellement qu'il en vient d’étrangers au pays,
les Arabes ne pouvant plus les voler au Soudan pour les vendre ici.
Quelques opérations clandestines se font encore cependant; il n’y a pas
deux ans qu’une jeune négresse volée à El-Goléa était vendue dans une
des premières familles de Beni-Isguen, d’où elle s’échappa pour se réfu-
gier chez un nègre affranchi.
En presque totalité, les noirs vivant actuellement au Mzab y sont nés>
de parents soit esclaves, soit affranchis. Iis ont conservé leur langue,
qu’ils appellent la kurïya (ar.) takürit (moz.), la parlent entre eux et
l’emploient dans leurs chants. Tous et toutes savent l’arabe, étant précisé-
ment chargés, dans la famille, du contact extérieur; autrefois, ils en
apprenaient déjà les éléments pendant le traiet, car les rafles étaient
toujours faites par les Arabes nomades. Enfin, beaucoup parlent la moza-
blya, étant la plupart en service chez les Mozabites.
Ils ont une certaine organisation autonome. Leur chef est le qâïd el-
uçfân , « caïd des nègres », noir élu par eux comme le plus honnête et le
plus digne; il est le porte-parole de tous les siens auprès des autorités
mozabites. Il reste en charge jusqu’à sa mort, à moins que l’on ne se lasse
de lui ou qu’il ne vole ses administrés.
Le « caïd > choisit à son tour une « caïda » parmi les négresses âgées,
pieuses et de bonne réputation. Elle a auprès des femmes un rôle ana-
logue. au sien parmi les hommes. La caïda a deux assistantes, dont Tune
lui succédera à sa mort; toutes trois sont appelées « les grandes », el-
38
LA VIE FÉMININE AU MZAB
kubâra. Lors des mariages, circoncisions, ma‘rüf, c’est la caïda qui trans-
met les invitations. Elle préside à la distribution du henné avant le
mariage ; assise devant toute la mouture, elle fait prélever la part de
chaque maison, et la désigne à une porteuse de son choix.
Elle doit exercer un contrôle sur la conduite de toutes les négresses
de Ghardaïa, et sur la manière dont elles sont traitées, avec droit de
réclamation si l’on abuse de leur travail et, parallèlement, droit de leur
faire retirer leurs charges si elles les remplissent mal.
Les noirs ne semblent pas avoir conservé beaucoup de coutumes sou-
danaises, sauf une curieuse séance mi-magique, mi-musicale, et leurs
danses qui n’ont rien de bien intéressant. Ils font aussi à la
demande des Mozabites une mise en scène, à caractère plus ou moins
magique, pour conserver la santé des enfants. Leur pèlerinage patronal
révèle une organisation religieuse faite sous l’influence des Arabes et
non pas des Mozabites.
Le diwân (1) des noirs a pour but de guérir un homme ou une femme
atteint par les jnün. La réunion se tient dans la famille du malade ; c’est
une suite d’opérations magiques, de danses, de chants accompagnés de
gombrï (2), instrument qui tient du violon et delà mandoline. Certains
disent que c’était une coutume de l’ancien temps, pratiquée par les noirs
venus directement du Soudan, abandonnée depuis la mort de ces aïeux;
en réalité cela se fait encore bien qu’assez rarement. Il est probable que
les noirs, comme les Mozabites, dissimulent ces réunions. Au Maroc,
beaucoup plus ouvert cependant, on maintient aussi dans un certain
secret les performances des Gnâwa , qui sont voisines de celles-ci.
L’assistance se compose de la famille du malade et des amis invités.
Les femmes sont admises, en un groupe à part. Celle qui serait indis-
(1) C’est en réalité le diwân des jnün, que l’on verra plus loin appelés ahl ed-diwân. W. Marçais
mentionne des diwân au sens de réunions d’affaires, assemblées, tenues par les saints Üemcéniens
et par les djinns [le Dialecte arabe parlé à Tlemcen, p. 307). Cf. encore un article de Desparmet, in
Rev de géographie d'Alger, 1910 (n. c.), sur les délibérations du diwân clés saints.
(2) Et non gimbrï comme on prononce au Maroc. Sur 1rs différentes prononciations et accep-
tions du mût, cf. VV. Marçais, Textes arabes de Tanger, p. 443, sous ^gmbr.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
.39
posée doit s’abstenir de venir, sinon les nègres devinent son état, viennent
la prendre au milieu de ses compagnes et la font sortir.
Les acteurs sont un groupe de nègres et de négresses. Nous n'avons
pas pu faire préciser si la base de ce groupementestfamilialeoumagique.
La cérémonie débute par l’égorgement d’un coq, ferüj (1) ; les uns
disent un coq blanc, les autres un coq rouge , ce qui signifie de teinte
foncée (2). Aussitôt l’animal égorgé, on le lâche. Comme les nègres l’en-
tourent, en se débattant il saute évidemment sur l’un d’eux : cela désigne
un grand pécheur, qui devra demander pardon à Dieu de sa vie passée et
offrir un mci'rüf en pénitence. On joue du tambour tant que le coq se
débat; il revient enfin mourir à l’endroit même où il a été frappé. Une
négresse le plume immédiatement, on le fait cuire avec un couscous, et
on partage le plat entre tous les assistants. Si quelque noir du groupe est
retenu chez lui, on lui envoie sa part.
La plume, le sang, les viscères sont recueillis; on en fait un tas, que
l’on enterre.
Les nègres commencent à danser et à chanter ; dès lors il y a des pré-
cautions à prendre. Chaque jinn a un chant spécial. Un homme ou une
femme mamlük , c’est-à-dire possédé par un jinn, est entraîné par une
force irrésistible en entendant le chant voué à son possesseur. Où qu’il
soit, il devient comme fou, saute, croise précipitamment ses bras dans
les positions requises pour le salut aux jnün, saisit du feu et l’avale sans se
brûler. Un homme était ainsi connu pour ses crises qui le prenaient dans
la rue, si le chant dangereux s’élevait d’une maison voisine ; il sautait à
bas de son âne et s’engouffrait dans la première porte venue, à la recherche
de quelque braise. En pareil cas, à la séance, une femme autrefois î nam-
lüka, puis guérie, est prise de tremblements mais elle peut rester à sa
place en mangeant force benjoin, jcuvi. Parfois, le palliatif se révèle
insuffisant, elle s’élance au milieu du groupe nègre, tombe à terre. Un
des noirs la relève, la soutient, et elle danse un certain temps, criant et
mâchant du jcuvi.
(1) Au Mzab, on la dit sans rapport avec le jinn nommé Sidi Feruj, cf. t. I, p. 190. C'est en effet
une appellation usuelle du coq. (Cf. W. Marçais, Dialecte arabe parlé à Tlemcen , p. 312.)
(2) Cf. t. I, p. 31Ô.
40
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Pendant les danses on prépare de l’encens en assez grande quantité ;
on l’allume et on fait une fumigation devant chacun des assistants, noirs
ou blancs. Pendant qu’il est encensé, il salue les jnün ; restant assis, il
se tient les avant-bras étendus horizontalement, croisés en croix de Saint-
André ; ou formant la même figure verticalement, les avant-bras appuyés
soit sur la poitrine, soit au contraire sur le dos, et enfin de nouveau sur
la poitrine, mais cette fois les mains posées à plat, le bout des doigts
touchant l’épaule (1). A chaque geste, on s’incline en disant : Ijenâ
meselmln (trois foison a/d ed-diwàn! « Nous sommes musulmans, ô famille
du diwân! % Sans cela on deviendrait fou.
Une période dangereuse est ouverte. Il faut prendre garde si l’on
arrive à ce moment, à ne pas parler avant la fin du chant, à se mettre de
suite les bras en croix de Saint- André et à retirer ses souliers pour
entrer. Autrement, on serait saisi par les jnün.
Un homme ivre qui n’avait pas voulu se soumettre au règlement en
fit un jour la cruelle expérience. Il entra au moment où chantait un nègre
possédé par une jinnlya marine, bahrlya. Pour essayer de conjurer le
danger, les noirs lui coupèrent un morceau de chair à la jambe : avec
l’espoir que les jnün , trouvant la punition humaine, suffisante, n’inter-
viendraient pas directement. Mais non, la jinnlya l’avait déjà saisi. Le
lendemain il souffrait de la tète et commençait à perdre ses idées. Barbier
de son état, il jeta ses instruments hors de sa boutique, au grand effroi
de sa mère. Devinant la vérité, elle courut chez les nègres, avec un coq
et du jdwi. Une grande danse fut organisée sur l’heure, autour du malade
les mains attachées. Tout à coup le joueur de tambour posa le fatal
diagnostic : Tu es perdu, ô pauvre, la jinnlya de la mer te tient ! » En
effet, quelques jours plus tard, fou d’elle, il se jetait dans un puits pour
aller la retrouver. Car l’eau douce est son royaume comme l’eau salée,
peut-être même que les eaux communiquent toutes par-dessous la
terre (2).
(1) Chacun fait-il tous ccs gestes dans cet ordre, ou un seul geste honorant un jinn choisi, pen-
dant que telle autre personne en fait un autre ? Nous n’avons pu obtenir de précision.
(2) Cotte jinnïya n'a pas de nom propre. On ne connaît pas au Mzab ‘Aïsa Qandïsa.
LA VIE FÉMININE AU MZAB H
« Dans cette cérémonie, ce sont les jnün qui agissent. »
Après toutes les fumigations, un nègre se détache du groupe, vient
chanter au milieu de la scène. Au bout d’un certain temps, il est devenu
insensible. Sur les jambes, les bras, le ventre, on lui prélève des lam-
beaux de chair avec un couteau sans qu’il manifeste aucune douleur. Les
assistants lèchent les lambeaux et la lame du couteau.
On passe alors au chanteur une gç'a pleine d’eau; il la tient sur ses
deux mains étendues et se met à danser. Puis, un moment après, il fait
basculer la gç l 2 a de telle sorte que l’eau est lancée sur son visage ; il
tombe à terre comme évanoui. Les autres se précipitent et le fouaillent
sur tout le corps ; quand ils ont épuisé leurs énergies, un noir habile
vient danser autour de lui en tenant semblablement une gç'a, mais il fait
basculer l’eau sur la tête de l’homme étendu à terre. L’eau le « réveille (1). »
On lui fait des fumigations devant toutes ses blessures, les jnün le gué-
rissent et il redevient comme avant la cérémonie — ou, selon d’autres, il
guérit chez lui, après beaucoup de remèdes et plusieurs jours de repos,
malgré les fumigations.
Cette séance a lieu à la demande du malade ou de sa famille, dans un
but curatif (2). Mais il arrive aussi que le groupe noir veut simplement
(1) Les deux épisodes de l’eau manquent peut-être quelquefois. Un Mozabite qui avait vu une
de ces séances est en accord avec les conteuses noires pour, le reste mais n’a pas remarqué le rôle
de la gç { a.
(2) Il n’est pas sans intérêt de rapprocher de ce récit celui de la médication beaucoup moins
farouche des Gnâwa on y relèvera la même croyance au chant de chaque djinn, à l’efficacité des
danses, qui sont d’ailleurs semblables, mais avec quelque chose de plus lourd et de plus sauvage
au Mzab. Les instruments de musique paraissent les mêmes.
« Lorsqu’un malade se montre tourmenté par quelque jinn, son entourage féminin va deman-
der remède à la voyante, suwâfa ; c’est la tbïba des jnün» Parmi les cauries qu’elle remue dans
un panier de jonc, elle lit le nom du coupable: on l’apaisera en vêtant le malade de sa couleur
préférée et en lui offrant la réjouissance d’une « nuit des Gnâwa ».
« Ce sont des musiciens noirs qui savent l'air consacré à chaque jinn , ils viendront jouer dans
la maison atteinte. Autour des demeures de prédilection des jnün , ils dansent en chantant, tandis
que les femmes, qui toutes se supposent plus ou moins affectées de quelque démon familier, leur
lancent à son air favori un fabür noué dans un coin de leur mouchoir brodé.
Le jinn ignore « la lumière des roumis » ; par égards pour lui, on adjoindra donc un gros
cierge portatif au cordon de lampes électriques tendu dans la cour. Aussitôt après la procession
initiale et la prière sur le prophète, les Gnâwa entourent la vasque du réseau de leurs pas glissés,
entrecoupés de sauts ; puis, progressant peu à peu, toujours avec leur cierge, leurs tambours et
leurs castagnettes énormes, ils gagnent la bouche d’égout. Ici, longue station, procession dansee,
LA VIE FÉMININE AU MZAB
danser el « parler » avec les jnün. Il se réunit dans la maison de l’un des
affiliés, où l’on mange des cacahuètes, de la rwîna, etc..., en ma'rüf offert
jnün. Sans cette précaution les adeptes deviendraient imbéciles; ces
agapes se renouvellent, dit-on, une dizaine de fois par an, sans dates
fixes, à l’occasion de quelque maladie d’un des leurs ou de la circonci-
sion d’un noir.
Malgré ces pratiques, il n’y a pas de nègres sorciers ou sorcières de
profession. Ceux-ci se recrutent chez les Juifs, les Arabes et les tolba
mozabites.
Nous n’avons pas vu les danses de la séance magique ; on dit qu’elles
sont les mêmes que celles des jours de fête. Celles-ci se ramènent à une
sorte de sautillement cadencé, que les hommes accomplissent parfois
plusieurs ensemble, côte à côte, et qui rappelle le début des danses col-
lectives des L lsûwa du Maroc. Ils se tiennent les avant-bras repliés sur
les bras, les mains se balançant, et, s’ils sont dehors, ils s’avancent
jusqu’à un point donné assez éloigné. Les femmes qui dansent seules ont
la même attitude, mais avancent et reculent successivement de manière
à rester dans un rayon beaucoup plus réduit ; d’ailleurs leur art ne s’exerce
pas hors de la maison.
tours prenant et laissant alternativement l’égout dans leur tracé; figures à droite et à gauche. Puis
même cérémonie à l’égard du kânün que l’on apporte allumé, et enfin retour vers la vasque.
« Un repos de deux heures, du thé et des gâteaux, puis viendra le second acte.
« Vers une heure et demie, discret bruit de castagnettes qui grandit peu à peu. Les danseuses
noires, jusque-là assoupies, déballent les robes, châles et sebnïya mirifiques qu'elles vont revêtir;
c’est leur tour de « travailler ». Les musiciens restent tous assis ; un solo de guitare amorce
chaque épisode. Une négresse s’avance puis, tandis qu’elle sautille, s’incline, avance, recule, on la
revêt d’une jellâba et d’un long châle blanc. Le voile est ainsi jeté à chacune pendant la danse et
elle le transmet à son tour à la nouvelle arrivante.
Leurs costumes sont différents : caftans superposés ou jellâba de satin noir à bandes rouges,
ou châle blanc ,à bandes vert empire, tout cela au goût du jinn visé. Et elles sautillent toutes
ensemble, toujours du même mouvement monotone et insignifiant. Cela durera sans changement
jusqu’à cinq ou six heures du matin... H faut cela pour le jinn... » ( Rapport de Mission , 1924.)
Ceci se passait à Fô.s. A Marrakech, plus proche du désert, la cérémonie comporte plus de vio-
lence et la malade prend une grande part aux danses. Comparer le récit de Lecey, Folklore ,
p. 110-149. Les crises spontanées provoquées par un son ou un parfum sont mentionnées. La
confrérie des Gnâwa porte le nom significatif de Taïfet es-si/iïn, la bande de Satan ( Id. t p. 15).
\V. Mahçazs donne la bibliographie des Gnawa, p. 205, note 1 des Textes arabes de Tanger.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
:'i3
Les réjouissances nègres accomplies dans l’ouecl ont des hommes
pour acteurs, et, pour spectateurs, des hommes, des femmes, des enfants.
Toute la bande agissante se déplace en sautant, y compris les musiciens.
Mais ceux-ci n’ont pas tous la même attitude, les joueurs de tambour
sautent en étant accroupis, sans cesser de battre leur instrument; et
c’est ainsi qu’ils se rapprochent de ceux dont ils attendent quelque pièce
que l’on doit coller sur leur front en sueur.
Les instruments, outre le gombrî, sont des castagnettes de fer de 25
à 30 cm. environ, qerqabü (ar.), tibaqbaqin (moz.), le tambour de basque,
(bel, et l’énorme bendlr , tambour appelé aussi dindün (1). D’une fête à
l’autre, ils sont en dépôt chez le « caïd des nègres ».
L’oued est la salle des fêtes des noirs. Ils s’y réunissent pour les
ma ‘ rüf destinés à obtenir la pluie, et ils y dansent après le festin.
Ce repas est offert par les Mozabites, lorsqu’ils ont épuisé toutes les
invocations sans que le ciel pleure une goutte d’eau. Ils font alors cette
aumône collective, aux nègres, aux Arabes, aux Mozabites pauvres, à
tous, « parce qu’ils ne savent pas à qui il vaut mieux offrir pour toucher
Dieu ». Il est d’usage que tous les assistants acceptent quelque chose,
ceux qui ne veulent pas manger prennent un peu de sauce au bout de
leur doigt et le lèchent. Parmi les pauvres ou ceux qui veulent faire hon-
neur aux bienfaiteurs, certains ne permettent pas à leur femme de sortir :
ils emportent alors sa part dans une écuelle de bois, gorrâf. Après le re-
pas, les pauvres font vers le ciel le geste de la demande, levant les deux
mains formant la jointée, et ils supplient ; Yü Rebbî bessif jlbennü rahma
lilmâ bas t‘ls halqak ! « O Seigneur, par force (c’est-à-dire : il est de
toute nécessité) apporte-nous une miséricorde pour l’eau, afin que vive
ta créature ! »
D’autre fois, le ma' rüf est exclusivement nègre. Gela arrive surtout
(1) Le dindün se porte suspendu au cou par une courroie, contrairement au tbel. A noter que
la \/ dndl avec variante dndn sert à désigner « toute chose qui pend » (W. Marçajs, Textes arabes
de Tanger, p. 302).
H LA VIE FÉMININE AU MZAB
lorsque les noirs s’avisent un beau jour qu’il n’a pas plu, en effet, de-
puis longtemps, et que l’occasion serait bonne de suggérer une charité
aux Mozabites.
Ils décident une quête à domicile. Trois nègres vont se présentera
toutes les boutiques tenues par des hommes; trois négresses, les kubâra,
aux boutiques tenues par des femmes et dans les maisons particulières.
Pour cette collecte, l’une porte un grand sac, sküra, pour mettre le grain
donné ; l’autre, une sküra pour les oignons, légumes et fruits, fâkya ,
dattes, sel, etc... ; la troisième tient un vase, qüt, pour la graisse. Elles
demandent aussi des bougies.
Depuis le matin jusqu’à onze heures, et de deux heures jusqu’au soir,
elles quêtent pendant trois jours, davantage s’il le faut, allant chez tout
le monde. Il est d’usage de ne jamais refuser, soit en nature, soit en ar-
gent. Quêteurs et quêteuses portent leur récolte au « caïd des nègres »,
qui va demander au caïd de Ghardaïa l’autorisation de faire le festin.
Pure formalité, car la permission n’est jamais refusée. Actuellement, le
caïd prête même son jardin de l’oasis, situé en bordure de l’oued ; depuis
déjà un certain nombre d’années se perpétue cette tradition, établie lors-
que le propre noir de la famille se trouva caïd des nègres et longtemps
en charge.
Les préparatifs commencent ; on moud le blé, on fait cuire la viande
donnée, et l’on complété les provisions en achetant une chamelle et deux
ou trois moutons, mis à bouillir dans un immense chaudron, merjen.
On égorge dans l’oued ; la cuisine se fait et se mange sur place, les
hommes formant un groupe de convives, les femmes un autre. Les Mo-
zabites viennent voir les bombances ; il est d’usage de leur vendre les
restes de dattes et de légumes — la question ne se pose pas pour la
viande. Ils doivent acheter beaucoup au-dessus de la valeur ; c’est une
œuvre pie, une sorte d’aumône pour demander la pluie. On donne ceci
« pour l’année prochaine », en vue du ma'rüf que l’on fera alors si Dieu
ne se laisse pas fléchir dès maintenant. La somme est confiée à un riche
blanc en qui l’on a confiance — mieux vaut ne pas tenter un noir à ce
point. Il la gardera pendant toute l’année.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Les nègres font une collecte semblable pour fêter dignement Sïdi
Blàl. Leur patron est, disent-ils avec grand respect, Vuçif de Sïdnâ ‘Ali,
ce qui montre bien qu’ils ne sont pas Khârijites. Les Mozabites, qui ont
un certain respect pour Blâl, se récrient et le disent uçifàe Mohammed (1).
Mais non, insistent ses fidèles, il est même honoré pour la générosité
avec laquelle il accepta, pour l’offrir à Sïdnâ ‘Alï, la fille d’un grand ma-
rabout que celui-ci voulait lui donner en mariage. Tous les grands
personnages avaient leur esclave noir, celui de LJadîja s’appelait Kanàna ;
celui d’Abü Lahab, Misüra, etc.
Le rocher, but du pèlerinage, est celui ou monta Jïdnâ Blâl, ou Sïdi
Blàl, pour crier l’appel à la prière (2) sur l’ordre de ‘Alï. On s’y rend avec
tout un cérémonial.
Lorsque la quête est achevée, on achète un bouc ou un mouton, que
l’on habille comme une femme, avec une mehêrma , une ceinture, tous les
colliers, agrafes et diadèmes. Les helhâl , qui glisseraient des pattes trop
fines, sont attachés au cou. On lui fait brûler de l’encens avec une braise,
jmàr, sous le ventre et sous la tête, on lui met dans la bouche des cé-
réales, zrâ‘, et du blé mélangés.
L’animal est emmené jusqu’au maqâm de Sïdi Blàl, et après lui en
avoir fait faire sept fois le tour, on l’égorge. Le cortège descend de la
montagne et vient s’installer dans une grande maison ou dans une rue
fermée par un rideau. La chair bien lavée pour qu’il ne reste pas de sang,
(1) Us sont en cela d’accord avec la tradition orthodoxe qui ajoute que Bilàl lui servit de
mueddin. Au Maroc, Blâl passe tantôt pour un saint, tantôt pour un ‘afrit autrefois esclave d’‘Abd
el Qàder el-Jilâni (Legey, Folklore , p 15 et 162). A Tlemcen, les nègres sont groupés en la confrérie
de Sïdi Blâl. Ils font chaque année une fête qui ressemble beaucoup à celle des noirs de Ghardaïa.
C’est un taureau à la tête ornée d’étoffes brillantes qui est sacrifié accompagné d’un bélier et d’un
bouc. On fait brûler du benjoin autour des victimes avant de les sacrifier. Les nègres seuls, et les
musulmans affiliés à la confrérie de Sïdi Blàl peuvent manger la chair des victimes (A. Bel, la
Population musulmane de Tlemcen, in Rev. des éludes ethnogr., 1908, p. 212).
(2) D’après une tradition orientale, ce célèbre appel à la prière aurait eu lieu sur les murailles
d’Odroh, où Blâl aurait été conduit par un jinn, et aurait amené la prise de la ville par le Pro-
phète (Jàusseh, Coutumes ... au pays de Moab , p. 321).
.46
LA VIE FÉMININE AU MZAB
est cuite dans le merjen. Puis on ajoute la sauce et on mange le bouc avec
de la rgida. Le banquet se complète par les dons recueillis dans la collecte ;
souvent les négresses viennent prendre leur part dans un gorrâf et
l’emportent pour la manger chez elles. Le bouc et tout le ma'rüf a la
baraka de Sxdi Blâl, chacun des assistants doit y prendre part, noirs,
blancs, arabes, mozabites, grands et petits.
Si, comme les noirs l’affirment, il n’y a pas de sorcellerie dans la
vente fictive d’un enfant blanc à un nègre, on se demande quelle base
l’opération peut avoir. Pourquoi cet enfant vendu conserverait-il désor-
mais la santé ? Parce que l’on a demandé au Prophète qu’il en soit ainsi ;
c’est le seul motif avoué et peut-être a-t-on oublié ceux qui ont pu s’y
joindre à l’origine.
Lorsqu’un père est soucieux de la santé de son enfant, s’il en a déjà
perdu plusieurs, par exemple, il va prier les nègres de < l’acheter » ;
puis il demande au caïd de Ghardaïa, pour le jour choisi, la permission
de les réunir chez lui.
La fête commence par l’absorption d’une hatlya (20 litres) de cous-
cous et de viande, parfois suivie de cacahuètes et de kllla. Les noirs
boivent ensuite du café, puis font une fumigation de musc, de bois
qomârl, etc..., peu importe le parfum ; et ils s’installent tous en rond.
L’enfant, âgé de deux à cinq ans, sept ans au plus, est revêtu d’un
beau costume, les cheveux coupés de frais ; on lui a appliqué le henné
aux mains et aux pieds. On le remet à un grand nègre, faisant office de
crieur public, qui l’assied dans sa main, l’élève aussi haut que possible,
et le promène ainsi devant les « acheteurs » chantant en kurïya , dansant
et le mettant aux enchères. D’autres forment l’orchestre habituel. Il faut
atteindre 1.200 douros pour un garçon, 600 pour une fille. Quand le chif-
fre attendu a été annoncé, un autre noir élève la voix : « Et moi, je ne l’ai
pas acheté pour de l’argent, mais pour une jrïda et un litre d’orge. »
L’enfant est à lui ; mais on ne donnera ni jrida, ni orge, ni argent. Ce-
pendant, avant de se retirer, les noirs remettront à la mère de l’enfant la
LA VIE FÉMININE AU MZAB
41
moitié (?) de ce qu’ils auront reçu des assistants, chacun donnant de un à
cinq francs. Ainsi, sans qu’il en coûte rien au nouveau propriétaire, on
peut dire cependant qu’ils ont acheté l’enfant.
Celui-ci s’appellera désormais uld el-uçfün, l’enfant des nègres. Tous
les ans, jusqu’à son mariage, son noir viendra avec d’autres danser et
jouer du tambour devant chez lui, récitant des fâtlia (1), souhaits de
bonheur, de longue vie, et de jouissance du paradis. Les parents donnent
un ou deux douros aux trouvères d’heureux présage, plus un mouton
égorgé et mangé séance tenante, avec un bon couscous ou de la dsisa,
dont le petit a sa part.
A leur tour, lorsqu’ils ont quelque réunion musicale, ils viennent
chercher leur « fils » et le font danser avec eux. Pour le ma‘rüf de Sïdi
Blâl, on n’oublie jamais de lui porter son écuelle bien pleine. Lorsqu’il
se marie, ils lui fqnt une dernière aubade de tambour, reçoivent en re-
tour tout un chaudron de henné, et ce sera fini de leur lien mutuel.
L’achat pour une jrlda est expliqué de bien curieuse manière, par
une légende créée en marge de l’histoire de Joseph. Jeté dans un puits
par ses frères, il supputait combien le vendrait celui qui l’aurait trouvé,
lui si beau. En punition de sa vanité, Dieu le changea en nègre, si bien
qu’il fut vendu en Egypte pour une simple jrlda et un litre d’orge. Dans
la prison où il resta quatorze ans pour des racontars de la femme du roi,
Dieu lui rendit sa blancheur, mais on ne le reprit plus jamais à s’enor-
gueillir de sa beauté.
Dans l’ensemble, ces survivances de coutumes soudanaises sont carac-
téristiques ; mais elles sont réservées à des jours exceptionnels et ne pé-
nètrent pas intimement la vie des Mozabites.
(1) Sur celte expression et son emploi en divers pays, cf. W. Marçais, Textes arabes de Tanger,
p. 165, note 3, avec bibliographie, et Dialecte arabe parlé à Tlemcen , pp. 247-249 et note.
SUPPLÉMENT AU TOME I
II
NAISSANCE
Fête du troisième jour (1).
La niche tapissée d’une natte ne se fait que pour la naissance d’un
garçon. On établit un divan dans un angle de la pièce, recouvert de tapis
rayés, où le rouge domine autant que possible. Le le s a rouge recouvre la
jeune femme comme une couverture.
Elle a des points de tekkâya sur le visage, sur les cheveux un ban-
deau orange agrémenté en avant d’un dessin. Au milieu du bandeau est
piquée une aiguille, dont la pointe ressort, un brin de laine rouge s’en-
roulant autour de l’aiguille. Le but de cette laine reste très mystérieux,
personne ne veut ou ne peut le dire: « C’est notre coutume », sïretna;
pas d’autre réponse. Une négresse confesse que c’est une précaution
contre les jnün, ce qui est très probablement la vérité. Le bandeau se
met le premier jour du neuvième mois, se quitte le lendemain pour
être repris au moment de la naissance et gardé sept jours.
Le septième jour, on enlève le divan, la natte, et tout droit au repos
est aboli.
L’enfant est dans un berceau recouvert d’une mousseline immaculée.
(1) P. 27. Les indications de pages sans référence sc rapportent au t. I.
4
50
LA VIE FÉMININE AU MZA.B
S’il s’agit d’une fille, on se contente souvent de la rouler dans une
étoffe sale et de la poser à terre. La mère n’a d’autre lit qu’un tapis.
Berceau. Remède aux larmes (1).
En plein été, une couche de sable remplace l’étoffe placée en guise
de matelas au fond du berceau ; c’est plus frais et cela simplifie le lavage.
Lorsqu’un enfant pleuie trop, isebb‘ü sur lui avec du sel, que l’on
jette ensuite dans le puits, en disant : L'aïn fel l aïn , « l’œil dans la source ! »
Car le puits est considéré comme communiquant avec une source.
Lien du maillot (2).
Le lien du maillot est de préférence une cordelette en poil de cha-
meau, plus souple que le galon. On la prépare avant la naissance, et
c’est souvent à l’un des bouts, et non au cou de l’enfant, que l’on attache
le nouet contenant la cendre et le sel. Fréquemment l’enfant a de plus
une pochette de cuir renfermant des amulettes et des fragments de ses
premiers vêtements.
But de la succion de la datte (3).
La datte donnée en sucette a pour but de fortifier l’enfant.
Coupe des cheveux et des ongles (4).
Il ne faut pas attacher les cheveux de l’enfant avant le septième jour, il
deviendrait mahbv.l; on les maintient avec un chiffonnoué autour de la tête.
Ceux des garçons doivent toujours être courts ; ceux des filles, courts
ou tressés ; dans les premières semaines on ne. les tresse pas, cela gêne-
rait l’enfant. Avant un an, il ne faut jamais couper les cheveux aux
ciseaux; s’ils sont épais et longs, on les imbibe d’eau et on les scie au
couteau, sur le front et au besoin tout le tour de la tête. Dans certaines
familles on abandonne cette méthode peu pratique, et on use des ciseaux
(1) P. 33.
(2) P. 36.
(3) P. 37.
(4) P. 39.
IA VIE FÉMININE AU MZAB 51
en déplorant la nécessité. La mère de l’enfant fait une maglüga et la
donne ainsi qu’un vêtement à la personne qui a scié la chevelure; per-
sonne choisie au gré des parents, sans aucune règle. Les cheveux sont
jetés le jour même, ou plus tard en même temps que d’autres, sur un
rocher au nord-est de Ghardaïa, réservé à cet usage.
A un an, on peut raser la tête des filles entièrement, celle des garçons
garde la tastult. Ce jour-là, comme le septième jour, on peut conserver
quelques cheveux, que l’enfant portera en guise de protection contre les
jnün, dans un nouet où le sel et la cendre sont accompagnés de h,armel,
de soufre, kebrit, de rue, faljel, et de coriandre, kuzber.
Sur la fontanelle antérieure, on met du kohl, qui augmentera l’intel-
ligence, 'aql, et donnera une bonne vue.
Le ma'-rüf offert se compose de fèves et de dslsa.
Les ongles ne doivent pas être coupés avant un an, cela rendrait fou
et voleur (1) ; dé un à sept ans, cela rend seulement voleur. Les nourris-
sons griffent parfois cruellement leurs mères; « heureusement > ils
jouent dans le sable, où ils se râpent et cassent les ongles.
Mohammed a dit cependant que l’on peut couper les cheveux et les
ongles pourvu que l’on enfouisse les déchets (2). S’il y a lieu d’agir
ainsi, on creuse quelque trou pour les ongles dans un coin de la maison
ou simplement sur le sol s’il est en sable battu, on recouvre à peine, et
on enlève au prochain balayage, sans autre soin.
Les rognures d’ongles et les cheveux d’enfant ne sont jamais employés
en sorcellerie.
Date de la fête pour l'heureux avenir de l'enfant (3).
A la naissance d’un garçon, on fait parfois cette petite fête, plus sou-
vent réservée à son premier ou second anniversaire.
(1) Même tradition en Lorraine et dans certaines régions de l’Angleterre (R. Basset, les Onyle's,
iA Rev. des traditions populaires , 1894-95, t. IX, p. 703; t. X, pp. 603-604).
Bokharî rapporte qu’ii est traditionnel de se couper les ongles mais n’indique aucune condi-
tion (t. IV, pp. 121-122). Les juifs, au contraire, enfouissent les ongles et les cheveux coupés.
Biarnay, Notes d'ethnographie, p. 65, donne deux dictons de Tanger désapprouvant la dispersion
des rognures d’ongles.
.(3) P. 41.
III
ENFANCE
Remède contre le mauvais œil (1).
On ne se contente pas pour l’enfant de la protection générale demandée
à la 'ayyâsa. S’il y a lieu de craindre particulièrement le mauvais œil à
quelque moment, on dessine quatre raies se coupant en carré dans la
main de l’enfant, avec un couteau, mais sans entamer la peau. Puis en
mettant du sel sur la première raie, on dit : El-keff ma inebbets , « la
paume ne fait pas pousser (de poil) » ; sur la seconde : wul-mlef. ma
tenbets, « et le sel ne pousse pas » ; sur la troisième : wuV-aïn ma tetbets,
.1 et l’œil ne prendra pas » ; sur la quatrième enfin : fe flâna benl
flâna , « sur Une Telle fille d’Une Telle ». Et Ton jette le sel dans le puits.
Circoncision (2).
Dans la famille d’un tâleb, la toilette de l’enfant donne lieu à une petite
fête la veille au soir. Au débat de la nuit, les autres tolba viennent ; le
père, à son défaut un oncle ou un grand frère, habille l'enfant en leur
présence. Ils disent Ibiêt pendant un moment, puis se retirent. Arrivent
alors les laveuses, qui appliquent le henné à l’enfant. Déjà réunies les
parentes, amies et voisines resteront après leur départ. Sur les tempes
de l’enfant, celles-ci mettent d’un côté une goutte, neqta, de plâtre, de
l’autre une goutte d’huile de la lampe. Elles complètent la toilette par
(1) Pp. 47-48.
(2) Pp. 49-E2.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
83
un petit collier ou une broche. Puis, auprès de Penfant endormi, elles
disent Ibièt jusqu’au matin.
La circoncision se fait le matin de bonne heure. Un peu avant l’heure
fixée, on apporte dans un couffin d’Alger, des œufs duis et de la viande,
cuits dans la marmite. Les œufs entiers et la viande en assez gros mor-
ceaux, sont placés sur une tebga avec laquelle isebb‘ü sept fois dans un
sens, sept fois plus une dans l’autre (1), au-dessus de l’enfant, qui tient
un œuf d’une main et de l’autre un tibia de mouton, geçba (ar.) tamsult
(moz.) (2). Il mangera l’œuf après la circoncision. Les femmes cassent les
œufs et coupent la viande en petits morceaux, mêlant le tout sur la tebga ,
puis elles partagent entre elles et les enfants présents.
Les remèdes sont préparés avant l’arrivée des opérateurs. Sur une
tebga sont placés un demi rtel d’ « huile de tortue » ou d’huile ordinaire,
50 gr. de meswâk et 50 gr. de hemmün ; car le cumin entre dans le panse-
ment au même titre que l’écorce de noyer.
Les noirs s’en vont après le pansement ; ils reçoivent comme salaire
au moins cinq francs pour eux deux, certaines familles donnent jusqu’à
cinquante francs. Avant de partir, ils mangent du rfls et des fèves.
Aussitôt après leur départ, on coiffe l’enfant du cemblr noir; on le
laisse étendu sur son « lit » toute la journée, recouvert d’une belle zer-
blya.
Les laveuses viennent dire Ibiêt dès la fin de la gàïla ; et l’on distri-
bue ensuite les dattes et les fèves, sans les jeter en pluie sur les invi-
tées comme cela se faisait au temps de Mamma Bel Hâjj. Simplement,
on les passe dans des serviettes, menâdïl , et on en met une petite poi-
gnée dans la jointée de chacune des assistantes.
Chantant alors la complainte de la coiffeuse de la fille de Pharaon,
on peigne l’enfant ; on lui verse un peu d’huile sur la tête, au-dessus
du front; sur le sommet, on étend une pâte parfumée, au safran et aux
roses séchées. On lui saupoudre la poitrine du parfum appelé ifulian (3).
(1) Los femmes n’ont pas pu expliquer pourquoi la seconde série comprond un geste de plus.
(2) Nous avons déjà rencontré tamsult désignant un roseau et un cubitus (t. I, pp. 135 et 211).
Le sens est donc : tout os en forme de roseau et contenant de la moelle.
(3) Cf. Appendice, parfum n" 1. Ifahhan désigne les parfums en général (Bllrsay* Dialecte... de
Oaargla, p. 406).
34 LA VIE FÉMININE AU MZAB
A ce moment seulement, on lui fait la tresse entremêlée d’anneaux.
L’ensemble des bagues, hâtem, est dit el-hüç. Cette quttâya n’est pas une
tresse, au sens propre du terme ; voici comment elle est obtenue : toutes
les bagues sont enfilées sur une to'ma, brin de laine noire qui est fixé à
la racine des cheveux. Cheveux et to L ma font un mouvement de torsade;
après trois bagues, une to‘ma verte lie la laine et les cheveux; second
mouvement de torsade entraînant trois autres bagues, nouveau lien
vert, etc..., jusqu’au bout. Au lieu d’un pompon de laine, on achève plutôt
par deüx nouets contenant des parfums, l’un en étoffe rouge et l’autre
jaune.
La tcirba'-il désigne un petit collier, qui peut être d’or ou mieux de
coquillages blancs montés sur une ganse de laine noire, ce qui forme le
collier commun des fillettes, sous le nom de tarba l 2 it l-uda' (ar.) ou
tarbait izazaren (moz.). On peut mettre au cou du petit circoncis le collier
de menus motifs d’or, mains ou croissants, appelé hannâga, ou simple-
ment une bezlma. Il n’y a aucun inconvénient à ce que la tarba‘it soit
prêtée s’il ne s’en trouve pas dans la maison.
La bande d’enfants s’en va très souvent faire la collecte vespérale sans
aucune négresse pour mentor. Ils peuvent frapper à toutes les portes,
môme à celle des familles sans relations avec le héros de la fête. Les œufs
et l’argent sont donnés au garçonnet, les perles aux fillettes ; les
cacahuètes, etc., indifféremment.
fletmat el-Qurün (1).
Les écoliers qui achèvent le Coran 1 ne font plus la quête dans les mai-
sons comme autrefois : les Mozabites s’estiment trop riches personnages
pour cela et laissent aux Arabes cet appel à la collectivité. Eux font une
fête, la Krûmet el-Qurân, dont ils tiennent à honneur d’acquitter tous les
frais. Elle a lieu un lundi ou un jeudi, mais pas le vendredi, lorsque
1 enfant a récité trois fois le Coran devant les douze grands tolba assem-
blés sur la demande de son fqïh (2).
(1) P. 53.
(2) Une erreur doit s’être glissée ici. Il s’agit du Coran récité trois fois au cours des études, ce
qui rend peu vraisemblable la convocation des douze tolba.
LA VIE FÉMININE AU MZÀB BS
A la maison, on moud la farine nécessaire à 1.200 pains, hubza.
quantité obligatoire, ferçl. Après avoir mélangé farine et sel, on porte le
tout dans des sacs, skdir, à la boulangerie, küsa. Là, le pain est pétri et
cuit, dès la veille au soir.
Le jour de la fête, de bonne heure, aux alentours de six heures, toutes
les amies et voisines s’entassent dans le rez-de-chaussée,' débordant de
F ust ed- dâr dans la tizfrii et les mahzen.
Les hommes seront reçus sur la terrasse. On prépare pour eux six ou
sept gerbci d’eau (pluriel : gerb), suspendues aux seddcit de la terrasse.
Au-dessous de chacune est l’immense verre de famille, nommé jarra par
opposition au kàs, le petit verre à thé individuel. Chez les favorisés de la
fortune, on offre du petit-lait, Iben, dans de grands chaudrons, merjen , ou
dans la petite outre des Arabes, sekwa. La terrasse est toute couverte de
nattes et de tapis, soit des zerblyat , soit des hanabel (1).
Les préparatifs achevés, on fait avertir les fqih des cinq petites écoles
de Ghardaïa, puis ceux de la grande mosquée.
Les petites écoles viennent les premières, professeurs et élèves, Lune
après l’autre 1 . Chaque homme apporte en cadeau un petit mendil rempli de
dattes; ils montent sur la terrasse, versent toutes les dattes ensemble sur
une grande natte ou un grand mendil étendu à terre. Puis ils récitent du
Coran pendant un quart d’heure environ, (ont <c les petites prières
eç-çgdr (ar.), idlilen (moz.), c’est-à-dire celles qui ne comprennent que les
sourates les plus courtes (2). Ils achèvent par les souhaits de bonheur
d’une fâtha, que les enfants accompagnent de tous leurs Laümmamïn ,
les mains tendues vers le ciel en jointée pour demander le bonheur de
leur camarade et peut-être bien des dattes présentement pour eux-mêmes
— car ils sont venus dans l’intention de faire un bon goûter.
(3) Sur Zerbïya, cf. W. Marçvts, Textes arabes de Tanger, p. 318, et sur hanabel , id., p. 269.
(2) On récite dans les idlïlen les sourates CX, l'Assistance ; XGII, le Soleil; XXXVt, Yâ Sïn ou
XXXV1Î, les Rangs; ou LXVII, Tabârak ; CVIIÏ, le Kawtar, ou GIX, les Infidèles; ou XCII, le Pou-
voir; ou XC11I, ed,-4oha \ ou CXI1, l’Unité de Dieu ; ou LXXXÏX, l’Aurore. Ces petites prières sont
habituellement celles des rak'a sunna , par opposition aux rak'a fard . Autrefois, on ne récitait
presque jamais d’autres sourates, a mais maintenant, tout le monde veut faire le grand savant;
on ne dit les idlïlen que lorsqu’il ne convient absolument pas de réciter les plus longues prières,
et encore on trouve moyen d’ajouter quelque chose après ».
LA VIE FÉMININE AU MZAB
56
Après la prière, on mange des dattes en chœur, on boit l’eau fraîche
ou le lait ; le maître de la maison enfin s’approche, suivi d’un noir por-
tant un couffin rempli de pains; il en donne un à chaque enfant, trois ou
cinq à chaque homme, les plaçant dans la serviette qui enveloppait les
dattes. Le fqlh chef de l’école en reçoit davantage; le maître de l’écolier
fêté s’en voit attribuer quinze à vingt.
Lorsque les cinq petites medersa ont ainsi défilé, viennent le mueddin
de la grande mosquée, le slh , les i ‘azzaben appelés « les douze chaînes
de la mosquée » et l’imâm. Le fqlh lhebir qui les accompagne, apporte
un grand mendïl de dattes arajem , prises sur les habous de la mosquée.
Ils sont accompagnés des etudiants, les imesorda qui savent le Coran par
cœur mais n’expliquent pas la loi, sur a 1 (pour sari 1 a), et des ihwàn qui,
eux, expliquent la loi et ont fait leurs études de grammaire, nahü (1). Le
cérémonial de la réception est le même que précédemment, mais
dans les grandes familles, on offre en plus aux cheikhs de la grande
mosquée et aux ‘ azzâba une belle gç'-a de couscous. On leur donne aussi
des pains, et si quelque enfant s’est glissé à leur suite, il en reçoit un
comme les écoliers.
Devant les professeurs de chaque école, le héros de la fête récite
quelque fragment du Coran. S’il décide de continuer ses études en fai-
sant 7iahü, il se trouve à la veille de passer dans les ihwân.
La hetma n’est pas la seule occasion pour le fqlh d’orner la planchette
de son élève. Il renouvelle plusieurs fois cette récompense au cours des
études, pour la parfaite récitation de tel fragment ou de telle sourate,
bien qu’au Mzab les divisions habituellement fêtées semblent passer ina-
perçues. Mais il se contente d’un petit dessin dans la partie alors inuti-
lisée de la planchette.
Punition abolie (2).
La punition des pointes de feu aux mains de l’enfant voleur est
aujourd’hui abandonnée.
(1) Matïïma Siimàri a fait nultû avant (l’avoir achevé' la récitation (lu Coran
(-’) 1 ‘- 54 .
LA VIE FÉMININE AU jVIZAB ST
Éducation des fillettes (1).
Une fillette n’est jamais laissée seule avec une toute jeune femme, de
crainte qu’elle ne lui apprenne « toutes sortes de bêtises ». Mais on lui
permet d’aller voir une amie mariée s’il y a d’autres personnes dans
la maison.
L’arabe classique chez les fillettes (2).
Rares sont les petites Mozabites qui apprennent l’arabe classique. La
grande majorité ne sait que réciter sans comprendre des fragments du
Coran. Très peu savent le lire, et moins encore comprennent ce qu’elles
lisent. Quand elles saisissent à peu près le sens, elles ne peuvent pas
l’expliquer en arabe, ni même rendre simplement l’idée sous une autre
forme. D’ailleurs, Manama Slimân explique toujours en mozabite (3).
Elle prend les fillettes le soir, tous les deux jours.
Règle du Sïg (4).
Dans le jeu du sig , le nombre de cliyàr ne varie pas au gré des joueurs,
mais il est proportionné à leur nombre : 8 pour 2 joueurs, 10 pour 4,
12 pour 6.
Nom du jeu de la cavalcade (5).
Le jeu de la cavalcade s’appelle kimenna, ou ‘ a la laïlüs, des premiers
mots delà chanson qui l’accompagne. Faut-il voir là une corruption de
l-wâsül, les enfants ?
Deux autres jeux d'enfants (6).
Mus uzgar, « le chat du désert ». C’est la ronde du chat et de la
souris. Au début, les deux joueurs désignés sont au milieu de la ronde,
(1) P. 55.
(2) Pp. 56-57.
(3) Cf. supra , p. 22.
(4) P. 61.
(5) Pp. G7-C.i|
(6) P. 7u.
58 LA VIE FÉMININE AU MZAB
puis la souris frappe sur une main là où elle a choisi de s’échapper, la
ronde s’ouvre et se referme, tandis que le chat doit passer par-dessous
les mains jointes pour se mettre à la poursuite. Quand il a réussi, tous
les enfants s’écrient : Mus uzgar yehrwal ! « Le chat du désert s’est
sauvé! » S’il rattrape la souris, victoire ! il reprend place dans la ronde
et un autre devient chat. S’il échoue, il essuie les quolibets et le jeu est à
recommencer, la souris ayant retrouvé sa place.
l Ayig{ moz.) hot { ar.). Tous les joueurs s’assoient en rond et prennent
un nom d’objet, d’animal, de plante, etc... Celui qui est désigné par le
sort — la courte-paille au petit morceau de bois mouillé — est mis à
l’écart. Le mo'altem lui propose, en énumérant les noms choisis : « Veux-
tu la bague en or? veux-tu le mulet? veux-tu la menthe ? » etc... jusqu’à
acceptation. Il faut alors aller chercher le joueur que le pseudonyme a
désigné, le ramener à califourchon sur son dos et prendre sa place dans
le cercle. Le jeu continue avec celui qui se trouve alors sorti du cercle.
Rupture du jeûne (1).
A leur premier ramadan, les fillettes comme les garçons reçoivent des
fèves le soir, pour la rupture du jeûne, ainsi que des gâteaux appelés
zerêza (2).
U) P- u.
(2) Gf. Appendice , recette n° 2, p. 133.
IY
MARIAGE
Préparatifs pour les grands mariages (1).
Ils s’échelonnent sur quatre jours et présentent quelques différences
avec le récit fait précédemment ; nous ne répétons pas ce qui est
identique.
Les noirs vont prévenir les hommes qui aideront aux préparatifs,
pendant que les négresses vont prévenir les femmes. On sort les grains,
^ra‘, des greniers du marié et, si besoin est, on achète ce qui manque.
Les proportions sont variables selon le nombre des invités, mais un
quintal de blé, un ou deux quintaux d’orge sont une honnête moyenne en
dépit de la tebria.
Les noirs vont chercher des moulins supplémentaires chez les amis
et les apportent dans la maison du marié, où les invitées des deux familles
viennent moudre; les jeunes femmes emploient leur vigueur à tourner la
meule, les vieilles qui ont encore de bons yeux, iferzu, trient les pierres,
les poussières, mêlées au grain ; celles qui n’y voient presque plus passent
la farine au tamis. La journée suffit à peine; le travail s’interrompt tout
juste pour le repas, mohammça , Iben, et dattes le matin, couscous le soir.
A la nuit, les femmes rentrent chacune chez elle, sauf les toutes jeunes
à qui on évite le plus possible les sorties.
Le lendemain est réservé aux nettoyages. Les négresses vont jeter les
balayures dans l’oued, les nègres rapportent les moulins prêtés ; le mo-
bilier et les ustensiles sont astiqués, les tapis battus. Les femmes prépa-
rent la chambre nuptiale. Le plat du jour est la dslsa.
(1) Pp. 76-78.
60
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Quant au henné, il n’est pilé dans la mdagga que si l’on prépare une
petite quantité. Pour les mariages, on le moud comme le blé, mais la
nuit, tandis que le gros travail de la mouture des céréales se fait le jour.
Les voisins et voisines viennent toujours cette nuit-là s’ils sont parents ;
sinon ils peuvent venir ou s’abstenir à leur gré. La distribution du henné
est faite par les négresses sous la présidence de leur qâïda (1).
Le surlendemain, les femmes parfont la préparation de la farine gros-
sièrement et incomplètement tamisée le premier jour. On la passe dans
des linges fins ; la :leur est mise à part immédiatement dans des sacs ; le
reste de chaque tamis est déposé à mesure dans des tbâg , et mis en sac
à la fin, pour faire la dslsa. Quand les cuisinières sont à pied d’œuvre,
elles font la répartition : tant pour la mofyammça, tant pour le couscous,
tant pour le cenîf, etc... Et présentement elles mangent de la kernâsa.
Le quatrième jour, qui s’achèvera par le transfert de la mariée, est
absorbé par la cuisine. Iwâsu, « on cuisine », on roule le couscous, les
négresses le font cuire dans les keskès, mais ce jour-là la marmite ne
contient que de l’eau et la viande est cuite à part, dans de grands chau-
drons, par les soins des uçfân qui font aussi des décalitres de sauce.
Nouvelle kernâsa pour les invitées.
Les jerld secs sont le combustible des petites noces; dans les grandes,
seuls figurent le sder et le rtem, les palmes vertes sont en très petit
nombre à la fyajba.
tiajba et vizirs (2).
La Ifajba ne se fait que pour le premier mariage du jeune homme, s’il
épouse une jeune fille (3).
Le nombre des vizirs varie de trois à quatre jusqu’à douze et même
vingt-quatre.
-{1 ) LL supra, p. 38. Cf. Màthéa Gaudrï, la Femme chaouïa de l’Aurès, p. 79. Paris, Geuthner;
1929. Dans cette étude, un grand nombre de points permettraient dos rapprochements intéres-
sants avec les questions traitées dans le t. I de la Vie féminine au )lzab, Nous ne pouvons ici qu’y
renvoyer d'une manière générale.
(2) Pp. 78-79.
(3) Sur la hujba des temps aruiem, cl. sapta, p. lti.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
61
Signification de substantifs (1).
Signification des noms donnés aux différentes parties de la jerbîya .
tisred (moz.) signifie ligne, hett (ar.) ; fêhl, un homme « dégourdi », tra-
duit la Mozabite en employant le mot français.
Coutumes de la veille du mariage (2).
Le dernier repas de la mariée chez ses parents doit comprendre du
couscous et des choux.
En ce même soir, on égorge un mouton, et la mariée saute sept fois
par-dessus. On coupe alors la tête, qui sera portée chez le marié. Le len-
demain matin, lorsque la mariée, sortie de la chambre nuptiale, aura
rejoint les femmes, elle s’assiéra, les jambes écartées. La tête de mouton,
posée dans son giron, est alors brisée à coup de pierres ; toutes les jeunes
femmes, prenant de la cervelle sur leur doigt, poursuivent les jeunes
filles pour leur en passer sur les dénis, en criant : « Toi aussi, tu te ma-
rieras (3) ! »
Toilette et transfert de la mariée (4).
Les différents voiles de soie posés sur la tête de la mariée dans
l’ordre indiqué sont maintenus par trois ou quatre points de grosse laine
verte, achetée dans le Nord, lo‘ma entâ‘ d-dara. La hazzâmtya retournée
en arrière est fixée à son tour par un point.
La melahfa serait toujours d’étoffe blanche unie.
Lorsque la mariée est habillée, pendant qu’une négresse chante :
Dieu est grand, Madame la mariée!
une autre tient la lampe à huile au-dessus de la tête de la jeune fille.
(1) Pp. 81-82, note 2.
(2) P. 83.
(3) Autres cérémonies accompagnant l’égorgement, le soir du départ de la marie®, cf. Wis^sn-
mabck, Mariage au Maroc, p. 189.
(4) Pp. 84-87.
62
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Puis vient le souhait :
Que les crins du cheval protègent toujours {ta) maison!
C’est là une coutume ancienne qui semble poursuivie par la réforme.
Menna Na'mara et Mamma Bel Hâjj la disaient elles-mêmes à l’oreille de
la mariée. Quel est au juste le rôle de Mamma Slimàn, qui blâme cette
habitude? On dit qu’elle le fait encore chez les grands personnages, et
que ceux qui tiennent à ce souhait sont des fanatiques; ailleurs, les
paroles seraient prononcées par une négresse, en présence de Mamma
Slimàn; d’autres affirment que cette chose qu’elle abhorre n’est jamais
faite devant elle... Ne concluons pas ; mais nous sommes tentés de croire
qu’elle travaille patiemment à la détruire.
C’est bien elle au contraire qui passe la pâte au petit-lait sur les dents
de la mariée en disant: ‘ Agüb ‘ alïk bas Lezüji < Vienne ton tour de te
marier ! »
Elle défend les lumières pour le transfert, sans succès généralement;
certaines familles ajoutent même des lampes à carbure aux jerïd enflam-
més. Pourtant, d’autres font acte d’obéissance, et s’avancent à la lueur
d’une simple lampe à huile qu’une grande négresse tient au-dessus
de la tête de la mariée. Autrefois, c,’était bien une autre gaieté; avec le
flamboiement des palmes, les you-you fusaient de partout, et des né-
gresses — jamais d’hommes — suivaient en jouant du tambour et des
castagnettes.
Le chant ancien, évocateur d’un mar l üf ou d’un sacrifice pour obtenir
la pluie, est remplacé par des invocations plus orthodoxes :
Èismillâh ! yallâh ! ya-Rahmân er-R.qh.hn ! yallàhu ! rahma !
Au nom de Dieu ! ô Dieu ! ô Clément et Miséricordieux ! ô Dieu !
Miséricorde !
Encore une coutume vaincue (1).
A l’arrivée à la maison du marié, on jette entre les jambes de la
(1} Aux noces arabes, le transfert ne se fait pas à. califourchon , la mariée occupe la position du
cavalier, dans le jeu de la cavalcado (Cf. t. I, p. 67-68). Ce sont les deux assistantes de la qâida des
négresses qui font de leurs ipains les étriers. On leur donne 5 fr. pour elleè deux. La qâïda n'agit
que comme maîtresse des cérémonies.
LA VIE FÉMININE AU MZAB 63
négresse portant la mariée une grande jarra d’eau dans laquelle sont
délayés du plâtre et du henné. Après ce rite, seulement, la négresse se
renverse en arrière et dépose la mariée dans le giron de sa belle-mère.
Elle la reprendra un instant après pour la porter aux lieux d’aisances, et
l’amener à la chambre nuptiale. Là sur le seuil une grenade est posée;
elle représente la tête du marié, la mariée doit la faire éclater sous la
pression du pied.
Souliers du marié (1).
Autrefois, non seulement le marié chaussait complètement ses sou-
liers, mais il avait de beaux souliers hauts, bien attachés sur le cou-de-
pied. C’est din es-salâm qui a changé cela comme tant d’autres choses.
L’indication est intéressante; car au Maroc, par exemple, la précaution
des contreforts relevés est évidemment superstitieuse (2). Mais le Mzab a
jusqu’ici conservé la coutume parallèle de ne pas laisser la mariée tou-
cher terre.
Annonce de la consommation du mariage (3).
Lorsque le marié a pénétré dans la chambre nuptiale, toutes les
femmes, et non seulement les vizirs, se tiennent dans 1 ’ust ed-dâr. A
l’annonce de la virginité de la mariée, elles poussent force you you.
Mamma Slimàn n’a pas encore réussi à les faire remplacer par des batte-
ments rythmés sur de vieux bidons à pétrole, plus que suffisants, dit-elle.
L’instrument de musique n’est pas si étrange qu’il parait : il sert déjà à
l’accompagnement de nombre de chansons.
Si la mariée n’est pas vierge, le marié, en sortant, la renferme à clé
dans la chambre nuptiale.
S’il est marbüt, rendu impuissant par une sorcellerie, il sort, la mariée
vient rejoindre les femmes- Il lui fait présent d’une paire de msârif en
' (1) P. 89.
(2) Gf. t. 1, p. 89, note 3, avec renvoi à Westermàrok, Mariage au Maroc, p. 109-110, etc...
(3) Pp. 90-91. 1
64
LA VIE FÉMININE AU MZAB
plus dos bijoux promis et s’en va à la hajba. On fait venir un tâleb qui
récite sur lui des formules, écrit quelque amulette et isebba‘ sur lui avec
le Coran.
Dans le cas contraire, la mariée reste dans sa petite chambre ; dès
que le marié est sorti pour se rendre à la hajba, toutes les jeunes femmes
entrent, restent jusque vers huit heures, causent avec la mariée, bas ma
tar'ebs, pour qu’elle ne s’effraie pas, et elles l’instruisent de tout ce qui
peut lui être utile à savoir dans cette nouvelle période de son existence.
La négresse qui passe sept nuits à la porte de la chambre reçoit pour
cela cinq francs.
L’œuf à la coque que le marié prend à son premier repas doit être
presque cru ; on le met dans l’eau très chaude, mais non bouillante.
Cadeaux culinaires . Réceptions (1).
Le rfis du matin ne comporte pas de viande : elle ne convient pas à la
pâtisserie qu’est le rfls. Pour la mère du marié, chacune de ses sœurs et
de ses proches parentes, il y a une bdgiya de cette friandise, mais les
autres femmes ont un grand plat commun.
Le soir, le couscous fait chez le marié serait envoyé le premier, et
celui qui vient de la mariée serait au contraire le cadeau rendu. Il est
cette fois accompagné de viande, d’œufs et de légumes.
Dans cette journée, Mamnia Slimàn a fixé à trois seulement le nombre
des amies qui peuvent rester avec la jeune femme. Personne ne se sou-
met, chacune invite selon ses relations, jusqu’à une vingtaine.
A la hajba , il est d’usage de jouer au Sig le jour seulement. La nuit
on boit du thé et du café en écoutant de la musique. Tous doivent boire,
jusqu’à ceux qui ne feraient qu'entrer un instant. Le lendemain du ma-
riage, on apporte, en effet, des tiftitin de chez la mariée ; mais le surlen-
demain, vient un plat de mohammça et la dsisa le troisième jour seu-
lement.
(1) Pp. p2-9S.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
G.”
Collecte et frais de la noce (1).
Le montant de la collecte du baiser est, en effet, remis aux vizirs, mais
non pas pour couvrir les frais de la noce. Ils ont mission de choisir
quelques cadeaux agréables à la mariée, tels que des bonbons, des allu-
mettes, des perles en quantité jusqu’à deux livres, une lampe à huile
de modèle européen, avec verre, un vêtement, etc... Quelquefois ils
remettent un ou deux douros à la jeune femme.
La famille du marié, si elle est riche, prend tous les frais à sa charge.
Si elle est pauvre, mn ez-zawaliya , la tribu les supporte. Les vizirs n’ont
pas un rôle aussi coûteux qu’on l’avait dit ; il est vrai, ils ajoutent ce qui
se trouve à manquer, mais à un mariage où les crédits excèdent les
dépenses, ils partagent le surplus entre eux et rentrent dans leurs fonds.
D’ailleurs chaque fraction, 'asira, apporte à la hajba sa part de consom-
mation, thé, cacahuètes, etc...
Au dîner qui suit la collecte, la mariée est servie la première, mais on
ne lui envoie qu’une mesure, çcc : de cenlf , pour elle et sa négresse. Le
grand plat de six litres est envoyé chez ses parents pour être partagé entre
toute la famille.
Préservatif s contre le mauvais œil dans la coiffure de la mariée (2).
En coiffant la mariée avec les lihallüfin , on lui suspend dans les che-
veux un caurie et un morceau de soufre. Cela garde du mauvais œil. On
laissera le préservatif jusqu'au septième jour inclus, sans préjudice de
la queue de chacal (p. 99).
Pains en cadeau (3).
Les pains envoyés le septième jour comprennent encore dix galettes
pour la sœur du marié. S’il a de nombreuses sœurs, on met seulement
deux pains pour chacune d’elles.
(1) Pp. 95 - 97 .
(2) P. 97.
(3) P. 99.
5
66
LA VIE FÉMININE AU MZAB
La jeune femme nourrie par sa mère (1).
Pendant sa première année de mariage, la jeune femme reçoit sa
nourriture de chez ses parents. Mais sa mère ne se charge du transport
que dans les familles pauvres ; dans les autres, il incombe à une négresse
et la mère vient seulement voir sa fille très fréquemment.
(1) P. 100.
V
JEUNES FEMMES
Quelques gestes (i).
Il est bien inutile, quand on est debout, de se baisser pour ramasser
un petit objet tombé à terre : on le saisit doucement avec les orteils,
sopples comme des doigts, et, pliant le genou, on l’élève jusqu’à la hau-
teur de la main, qui le cueille sans que le buste s’incline.
A quoi bon les bras d’une partenaire pour dévider un écheveau de
laine? Lorsque l’on est assise par terre, les pieds ne sont-ils pas là dres-
sés tout exprès ? Les jambes écartées à la mesure de l’écheveau, le fil est
on ne peut mieux tendu.
Avec moins d’efforts que sur son genou, la négresse casse les jerîd
pour allumer le feu en les appuyant sur sa tête ; des deux mains elle tire
vers le bas les extrémités de la palme. La tête est chose solide.
Vocabulaire et psychologie (2).
Une question de vocabulaire qui fait pénétrer dans la psychologie : le
mot jmàm désigne toute mesure de grain, farine, etc..., mesurée exacte-
ment, en passant la main à la surface pour faire soigneusement tomber le
surplus. C’est la manière de compter des Mozabites, par opposition à
celle des Arabes, ça‘. Eux comptent pour une mesure le récipient empli
avec tant de générosité que le contenu s’élève en cône au-dessus du bord (3) .
(1) P. 105.
(2) P. 107.
(3) En Tunisie, jmâm signifie complètement plein; en Oranie la mesure débordante se dd
bessâsïya.
68
LA VIE KÉMIN1NE AU MZAB
Superstition relative au mset (1).
La laine laissée dans le mset quand on ne travaille pas rend le voyage
désagréable à l’excès pour le voyageur, et le détermine à rentrer chez lui.
Port du voile (2).
En visite, une femme ne quitte pas le liawli ou hambüz de crainte que
l’un des hommes de la maison ne survienne. Elle desserre seulement les
plis, et le laisse glisser en arrière jusqu’au sommet de la tête ; au moindre
bruit, le voile est ramené.
Les personnes de la famille ou les amies venues pour la journée se
débarrassent du hambïiz, car les hommes, prévenus de leur présence,
s’abstiendront d’entrer. Les Arabes, s’asseyant un instant dans une bou-
tique féminine, se permettent de retirer le voile ; de leur part, cela
n’étonne ni ne scandalise, mais ces détails contribuent à creuser le fossé
entre les deux races.
Entre amies ou parentes, on s’entr’aide au tissage. Afin de ne pas
interdire la porte aux hommes de la maison pendant plusieurs jours, on
tend un rideau devant le métier ; ainsi peuvent-ils circuler librement dans
le reste de la pièce.
Le beau-frère ne doit même pas voir sa belle-sœur. Or, il arrive assez
souvent qu’une jeune femme dont le mari est absent passe un assez long
temps chez sa sœur mariée. Le maître de maison, en ce cas, n'entre
jamais, et, s’il souhaite parler à sa femme, il frappe pour l’appeler sur la
terrasse, ou dans quelque petite cour close, ou bien il avertit de sa venue,
et sa belle-sœur se voile. La nuit, elle couche en bas, lui sur la terrasse
avec sa femme, ou inversement.
(1) P. 10!).
(2) P. 112.
LA VIE FÉMININE Aü MZAB
60
Coiffure (1).
La raie faite sur le milieu de la tête pour séparer les cheveux de cha-
cun des kenàbis est faile avec une épine de palmier, serba.
Boucles d’oreilles (2).
Meserfa , grande boucle d’oreille, a deux pluriels, meserfat et rnsürif.
Les femmes âgées ne sont pas les seules à avoir les oreilles abîmées
par les msàrif. Une délicieuse petite mariée, de dix ans à peine, était toute
couverte de perles d’or, dans sa robe rouge rosé comme une toile de
Jouy. De la laine noire passant sur la tête maintenait des fils de perles
tombant jusqu’à la taille, et d’autres plus courts fixés aux kenàbis ,
d’autres encore à la kambüsa. Le kambüs portait une bezimct au milieu,
des cauries, des mains de Fàtma, une belle queue de chacal. Où prendre
en tout cela la place des chaînettes pour les boucles d’oreilles ? Par sim-
plification, les anneaux de quatre paires d’immenses meserfat passaient
dans la chair ; le pavillon de l’oreille, retombant sous le poids, se tendait
tout déchiré parmi les perles.
Cas d’ annulation de la prière (3).
« La prière n’est pas acceptée » faite par une femme qui porte des
bijoux en imitation d’or, d’argent ou même de corne « comme en ont les
européennes ». Conservée par inadvertance, une aiguille piquée sur la
melahfa ou dans les cheveux produit le même résultat.
Les hommes peuvent garder au doigt une bague d’argent, mais non
pas d’or. S’ils avaient les dents soignées avec de l’or, la prière serait
abolie également.
(1) P. 121.
(2} P. '129.
(3) P. 133.
70
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Occasions de toilette (1).
De temps en temps, en dehors des fêtes où la toilette est de règle, la
mère vient habiller sa fille pour la joie de son gendre. La jeune femme se
montre avec sa melahfa des grands jours et ses bijoux ; c’est une sorte
d’épreuve de l’amour du mari. S’il l’aime, il lui donne une petite somme
à cette occasion, jusqu’à trois ou quatre douros, selon sa fortune. S’il ne
l’aime pas, il l’en informe en ne lui donnant rien ; ni la jeune femme, ni
surtout la belle-mère ne sont disposées à prendre la chose en douceur,
ausqi la journée du lendemain est-elle fortement orageuse.
(1) P. 137.
VI
RÊVES MATERNELS
Pas de nouveaux renseignements.
VII
LES JOIES ET LES PEINES
Premier retour au pays (1).
Mamma Slimân a aboli l’usage d’aller en corps au-devant des voya-
geurs. La cérémonie d’autrefois rappelait celle de la procession de la
poupée pour obtenir la pluie (2).
ici, le roseau portantle turban de soie est en réalité une sorte de poupée
proche parente de Bü Ganja. Ce mannequin s’appelle agennün. Le corps
est formé par un roseau du métier à tisser ; mais cette provenance importe
peu, dit-on : les roseaux sont rares à Ghardaïa, et chaque famille possé-
dant ceux du baétier, il est tout simple d’en user. Une hazzamlya forme
la coiffure ; un morceau de tcirbagit , étoffe commune de coton blanc,
figure la robe et se trouve retenue au milieu pur une sorte de ceinture en
étoffe, amliyani. Il n’y a pas de branche transversale figurant les bras.
Le helhal enfilé au bas de la tige est du modèle râs lianes (ai.), ob'gêm
(moz.).
Chose curieuse, cette poupée fabriquée dans la famille du voyageur
devait être portée au-devant de lui jusqu’à l’oued. Mamma Slimân a ob-
tenu qu’elle ne sorte plus ; mais elle est encore employée à la maison.
La fête du retour se fait de plus en plus rarement pour les hommes,
car ils sont déjà partis tout jeunes avec leur père et c’est le premier
voyage qui est solennellement fêlé.
A l’arrivée, le soir, on fait entrer chez lui l’enfant, au milieu des
(1) Pp. 153-164.
(2) Cf. supra, pp. 19-20.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
73
femmes formant cercle ; celles de la famille proche sont placées les pre-
mières, puis les enfants ; enfin les autres femmes emplissent le fond de
1’ ust ed-dâr. Après cette réception on lui applique le henné à l’intérieur
des mains et sous la plante des pieds. On prend bien garde à n’en pas
mettre sur les ongles, cela ferait dire que le voyageur est paré comme une
femme ; car à partir de la circoncision (1) on ne met jamais de henné
sur les ongles des garçons.
S’il s’agit d’un jeune homme, l’assistance féminine est réduite à la fa-
mille. C’est toujours sa mère qui lui applique, rbef , le henné, que sa
femme doit avoir apporté à la maison de la mère, ainsi que les tapis où
l’on va le faire étendre, iferresü. Auprès de lui, des grenades coupées
en quatre sont dans une tebga ; il en mange le premier quelques grains
et en offre à tous ceux qui viennent le féliciter après le départ des
femmes.
La grande fête est pour le lendemain matin, lorsqu’il est reposé. On
mange du bersüses ; puis arrivent les invitées. Elles se groupent en cercle
comme la veille, mais viennent plus nombreuses. Le petit voyageur,
une bezima d’or sur la tête, se place au milieu d’elles ; s’il est trop grand
pour voir les femmes sans voiles, un enfant vient jouer son rôle. On lui
met dans la main 1 ’agennün, et une femme chante quelques couplets ré-
servés à cette circonstance ; toutes reprennent au refrain, iseddu : Çalli
‘ ala n-nabl habïbï Djeùril, « Prie sur le prophète, mon ami Gabriel ! »
Puis elles disent Lbièt.
Autrefois, des hamriydt venaient chanter, jouer du tambour, des cas-
tagnettes ; les nègres parfois rehaussaient la fête. Aujourd’hui le cérémo-
nial est simplifié ; quelques personnes font encore venir des négresses
qui frappent la derbüka, mais c’est plutôt mal vu. Le chant du retour dis-
paraît aussi, on ne le dit plus dans toutes les maisons. Cependant il est
encore la spécialité de trois femmes de Ghardaïa (?) qui seules le disent.
Lorsque plusieurs voyageurs reviennent à la fois, elles se rendent d’abord
dans la famille qui la première les a demandées ; le désir d’être les
premiers servis poussait certains Mozabites à aller frapper à leur porte
(1) Au cas où la circoncision aurait été retardée, la règle doit être appliquée à la septième
année.
V
LA VIE FÉMININE AU MZAB
en pleine nuit, à l’annonce de la caravane, pour prendre rang sans retard.
Les courriers étant remplacés par l’auto postale, les nouvelles n’arrivent
plus à des heures aussi indues.
Après Ibièt et la prière sur le prophète, une femme dont le teint co-
loré donnera une bonne santé à l’enfant, prend un keskês plein de dattes
sèches, d’excellente espèce, telle que des deglet nür, des akerbus ou des
uld kebbâla. Elle les verse sur la tête du petit, et tous les enfants qui
n’ont pas encore été en voyage se précipitent pour les ramasser. Le
geste est symbolique et signifie : « Que cet enfant verse ainsi l’argent
en abondance sur tous les siens ! » C’est-à-dire : Qu’il rapporte tout son
gain à la maison !
La mère, en grande toilette, regarde la scène mais n’agit pas. Théori-
quement, elle pourrait verser les dattes, si son teint répond à la condi-
tion requise, mais l’usage confie plutôt cette mission à la grand’mère ou
à une tante.
On apporte alors des dattes communes dans des couffins ; toutes les
femmes en mangent, puis se retirent.
L '‘âsüra (1).
L u âsüra est un anniversaire particulièrement béni. Il se trouve à la
fois commémorer :
le jour où Dieu fit paraître la terre aux yeux de Noé et de ses trois
enfants, Sâm, [Jâm, Yâfet, après le déluge. C’était le 10 e jour de rjeb (ar.)
ajaiz (moz.) qu’il était monté dans l’arche, sfina , avec sa famille, car Dieu
leur avait dit : « Tous ces gens ne veulent pas m’adorer, je vais les noyer » ;
la délivrance d’Abraham échappant au kàfir Nemrün ;
celle de Joseph sortant de prison ;
la rencontre de Jacob et de Joseph ;
le triomphe de Moïse sur (le) Pharaon ;
la mort de Pharaon ;
la sortie de Jonas du ventre du poisson, hüt ; c’était le jeudi de
\’ l dsüra ;
(1) Pp. 156-157.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
75
l’ascension au ciel de Sïdnâ'fsâ, Notre Seigneur Jésus.
Dans la vie de tous les prophètes, il y a eu quelque miracle ou quel-
que événement à cetle date. Aujourd’hui encore. Dieu fait la grâce
d’exaucer toutes les demandes qui lui sont adressées en ce jour.
Abianu est le nom mozabite de 1 u âsüra (1). Les Arabes vont le matin
souhaiter la bonne année aux Mozabiles en criant devant leur porte : Ya
abianu dliül el l âm etâm , « 0 abianu, que l’an introduise l’an ! » Pour
leur peinerais reçoivent des fèves. Car les Mozabites en font cuire dès le
matin et en échangent entre eux une petite écuelle. Les Arabes ont ainsi
leur part.
Le premier jour, on mange des côtelettes, tigardisïn , du mouton
égorgé pour l’ l ld el-kblr , et le 9° jour, on jette dans la marmite un de
ses osselets, ka‘ba. Il a la baraka.
Par contre, la coutume se perd de faire passer la nuit sous la gç l a à
un os teint au henné. C’était l’omoplate, lüh (2), de ce même mouton.
Chez les nomades, elle est pendue à l’entrée de la tente, chez beaucoup
de Mozabites encore, sur le fil au-dessus du métier pour suspendre les
amulettes.
Là aussi sera le plâtre délayé le premier jour de V‘àsüra ; le morceau
conservé doit avoir la forme d’une galette et porter une croix.
Le mouton tué pour cette fête n’est pas consommé en entier, l’épaule
droite, séchée au soleil et dans un courant d’air, est conservée jusqu’à
l’année prochaine comme baraka.
Emploi du mouton de P‘ïd el-kbïr (3).
La peau est conservée salée. Le sel employé à cet usage jouit de la
propriété de détruire les sortilèges.
Les poils aident à guérir le typhus. Avec le bhür es-südün, le bhür
en-nabi (4), la résine, U mm en-nâs , le benjoin, jâwi, et la crasse ac-
(1) De même à Ouargla, où Biarnav trouve « la fête de Lalla Babiianou » avec la cuisson des
fèves et beaucoup d’autres réjouissances plus carnavalesques. ( Eludes sur le dialecte . .. de Ouargla ,
pp. 212-214).
(2) Lüh. se dit pour l’animal, ketfa pour l'homme.
(3) Pp. 159-160.
{4) Très probablement racine du thapsia.
76
LA VIE FÉMININE AU MZAB
cumulée sur le cadre d’un miroir, çdàr el-miràya ou ferj Allah (expression
qui signifie : « Que Dieu délivre du souci! que Dieu exauce! » ou simple-
ment : « Voilà tout! ») ; quelques poils du mouton entrent dans la com-
position d’un parfum médicamenteux. Le malade est d’abord frictionné
à l’huile et au vinaigre, pour accroître la transpiration. Puis on fait une
fumigation avec le mélangé tout près de lui, sous un pan de sa gan-
doura, de manière à l’envelopper tout entier d’une fumée qui se glisse
sous les vêtements et ressort par l’encolure. Le traitement se fait les
nuits impaires, avec une efficacité merveilleuse : le malade transpire et
guérit le matin s’il a été traité le soir, le soir s’il a été traité le matin.
Arabes etMozabites mangent en famille le gigot droit du mouton
égorgé, mais les Arabes le consomment le jour-même, tandis que les
Mozabiles le conservent pour le premier jour de V'âsüra.
On nomme k/,i‘a( 1) toute viande conservée, aussi bien les rillettes que
les grands morceaux de viande séchés et gardés dans la peau de l’animal
tué. Ges morceaux servent, entre autres occasions, pour le plat de viande
séchée servi le septième jour après le mariage. Les conserves ne se font
pas exclusivement pour 1 u ld el-kbïr, mais aussi au printemps, sans l’oc-
currence d’aucune fête.
Curdest, pl. licurdasin, désigne exclusivement une sorte de sau-
cisses.
Ez-ziyâra (2) .
Le pèlerinage des hommes présente une étrange cérémonie qu’ils
tiennent secrète avec un soin extrême. Le matin de la ziyâra , on les voit
partir armés de bâtons pour visiter les tombes et les rnaqâm de leurs
cheikhs, où l’on rappelle en quelques mots les grandes et bonnes ac-
tions de ceux-ci. Soi-disant, c’est une simple canne qu’ils tiennent à la
main, un authentique bâton du pèlerin pour grimper sur les escarpe-
ments rocheux ; ou une longue faucille, menjel , qu’ils portent en effet
souvent à la main, surtout à l’oasis, et dont les emplois sont multiples. A
(1) 0E3TA.INO, Diction. Beni-Snous, p: 360, donne : « viande séchée, ichli'a ».
(2) P. 164.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
77
chaque station pieuse, ils s’en servent pour tuer tous les scorpions et
tous les cancrelats qu’ils aperçoivent — comme ils le font, à vrai dire, fré-
quemment — affectant d’agir par hasard, tout en les traitant de hârej
ed-dln , « sorti de la religion ». On se souvient que hârej est le qualifi-
catif dont s’est servi ‘Ali pour désigner les rebelles « sortis » de son
commandement, d’où le nom de Kharijites, harijlya , donné à leur secte.
Or l’injure, dans leur bouche, s’adresse à ‘Alï, et le massacre des ca-
fards et scorpions le vise, car les Mozabites craignent qu’il revienne sur
terre caché sous cette forme. La ziyâra n'a pas lieu, en effet, comme ils
le disent, à l’anniversaire de la circoncision de Mohsmmed, mais bien à
celui du meurtre d’‘Alï.
Voilà le récit des Arabes. Pas un Mozabite n’en convient. Cependant
deux recoupements partiels permettent de conclure à la vérité du fait.
Un Mozabite qui nia avec la dernière énergie le meurtre des cafards et
l’injure à ‘Alï dit cependant que tous ses compatriotes trouvent exagéré
le culte des Arabes pour "Alï. Dieu l’avait prévu, et avait ordonné en
conséquence à Mohammed que lorsque ‘Alï mourrait, il faudrait faire lier
son corps sur une certaine chamelle née le même jour que lui et lâcher
la chamelle. Car si on l’enterrait, les hommes adoreraient son tombeau
plutôt que Dieu même. Ainsi fut fait, et comme nul ne sait ce qu’il est de-
venu, on se demande s’il ne revient pas sous forme de cafard ou de scor-
pion. Mais tuer ceux-là le jour de la ziyàra , quelle fable (1) !
Or, une femme mozabite originaire de Guerara, vivant à Ghardaia, a
confirmé la vérité du massacre, aperçu d’ailleurs par quelques Européens ;
mais elle disait n’avoir jamais entendu dire qu’‘Àlï fût visé en cela. Peut-
être, en effet, les hommes le taisent-ils.
Les diverses tribus mozabites ont une attitude très différente
envers ‘Alï. La moitié serait extrêmement hostile, jusqu’à faire suivre son
nom de la malédiction : Yiharqü Allah ! « Que Dieu le brûle ! » Un quart
(1) Une cruelle coutume des Imazir’en (région de Marrakech) se rapproche de celle-ci. Le Jour
du Mawied, les hommes et les enfants armés de bâtons et de gourdins garnis de clous en fer
tuent tous les chiens trouvés courant ou endormis sur le chemin ; le massacre dure jusqu'à la
tombée de la nuit. Le récit indigène n’en donne aucun motif. (Saïd Boulifa., Textes berbères, en
dialecte de l'Atlas marocain, pp. 173-174. Paris, Leroux, 1908 ; t. XXXVÏ des Publ. de fa Fac . des
Lettres d'Alger.)
78
LA VIE FÉMININE AU MZAB
serait indifférent, et le dernier quart considérant qu’on n’a jamais en-
tendu dire de mal de lui etqu’il n'en a pus fait au Mzab, ir ait jusqu’à dire :
Yirhamü Allah ! « Que Dieu lui fasse miséricorde! >
Le prénom de Ba‘AlI n’est pas rare parmi eux ; mais il est surtout fré-
quent dans la tribu des ‘Afâfra, que l’on traite de demi-mozabite. On plai-
sante sur leur nom, disant qu’il dérive de l cifrit, qui désigne une espèce
de jin n .
D’assez nombreux biêt nomment ‘AIT, mais laissent toujours la pre-
mière place à Mohammed. On peut se demander s’ils ne sont pas d’im-
portation étrangèr e ; c’est au moins le cas de l’un d’eux, chant de Tunis,
apporté par une Tunisienne mariée à un Mozabite(l).
Le mïlüd (2).
La fête est préparée par douze nuits de chants, pour les hommes et
pour les femmes; mais la veillée, où Tondit Ibiêt, n’est pas aussi univer-
selle que dans la nuit du Milüd elle-même. Celle-ci est la seule où l’on lise
les mo'jizàt , « miracles » de Mohammed. Excepté chez les grands per-
sonnages, l’illumination se fait à peu de frais ; dans les maisons où Ton
se réunit, on se groupe pour léchant de la prière sur le prophète et des
biêt dont elle est le refrain. Toutes les femmes s’assoient en cercle sur
une zerbiya, au milieu est posée une petite caisse renversée, sur laquelle
on colle de petits cierges verts et rouges en rangées; une lampe à car-
bure peut achever une ou deux rangées. Sa clarté n’est pas inutile.
Le lendemain matin, jour du Milüd, on mange du maçdüd. A l’au-
rore, les femmes poussent quelques you-you en disant : En-nabi zàd fi
dârnâ, « le Prophète est né dans notre maison ».
On n’omet pas de placer des cierges dans les cabinets. Cette coutume
avait été rapportée au xvt» siècle par'Diegode Haedo (3), à qui on l’expli-
quait par une singulière légende : Mohammed, par humilité, avait voulu
(1) Notons cette infraction a la coutume qui oblige les Mozabites à n\i>ir une femme de leur
race.
(2) Pp. 162-165,
(3) Diego de IIaedo, Topographie et histoire générale d'Alger, in lire, africaine, 1871, p. 215.
Despahmet y renvoie, Ethnographie de la Meltidja, in Bcv. afric., 1919, p. 76.
LA. VIE FÉMININE AI) MZAB 79
naître dans cet endroit peu honorifique alors qu’il pouvait naître dans un
riche palais.
La coutume existe encore, mais il semble que la légende soit oubliée
— ou dissimulée. « Mohammed, dit-on, est né dans une chambre, tandis
que Gabriel s’était placé devant la porte comme un rideau. Trois jours
après, l’ange le présenta au ciel tout entier et, plus tard, il lui ouvrit la
poitrine, lui lava le cœur, enlevant ce qui était noir. Le prophète est né
chez les Qoreïs. »
Fête pour le 15 du mois de sa" b cm (1).
Tout le monde achète de la viande et mange une côtelette de mouton
le 14 au soir. Dans les familles riches ou celles qui le désirent par piété,
on égorge, sans que cela soit obligatoire.
Le mouton se mange avec un couscous soigné où n’entrent cependant
ni piment doux, felfla , ni oignons, ni saucisses, curdest. Pas de piment
parce qu’on en donne très peu dans les boutiques pour beaucoup d’ar-
gent ; si l’on en mangeait ce jour-là, les denrées seraient chères toute
l'année, — « chères comme poivre » dirait-on en province de France (2).
Pas d’oignons, ils amèneraient des disputes et des maladies. Pas de sau-
cisses, elles empêcheraient la pluie — on n’explique pas pourquoi.
Chacun doit manger cent bouchées, luqma (3), de couscous. On
achève le repas avec de la gltda (4). Le lendemain sera jour de jeûne
« pour préparer ramadan », mais probablement aussi comme pénitence
appuyant l’intercession.
Celle-ci s’exprime en une prière de cent rak‘a, que l’on prolonge
toute la nuit. Après les grandes ablutions, les hommes vont veiller à la
mosquée, les femmes chez Marnma Slimân. Les ra/c'a se comptent de
(X) Non mentionnée t. I.
(2) En divers pays berbères on ou te les aliments épicés le premier jour de l'Ennâyer, afin que
l’année ne soit pas brûlante. (Destaing, Ennâyer, Rev. africaine , 1905, n° ‘256, p. üS, note 11.)
(3) La luqma ne désigne une bouchée qu’indircctemcnt. Au sens propre, c’est ce qui tient dans
la main formant spatule et roulant la quantité de couscous ainsi recueillie en une boulette que l’on
lance dans la bouche.
(i) Cf. Appendice, recette n° 1,. p. 132.
80
LA VIE FEMININE AU MZAB
différentes manières ; les uns mettent un noyau de datte après chaque
çallu , c’est-à-dire toutes les deux rak‘a / d’autres les comptent sur un cha-
pelet de cinquante grains, deux rak'a par grain, ou un tahiyyêt (1), ce
qui revient au môme ; d’autres encore tracent à l’avance cent raies verti-
cales dans le sable, et à chaque rah'-a mettent un point sur l’une d’elles.
Pourquoi tant de prières cette nuit-là ? C’est que le sort de toutes les
créatures vivantes est alors fixé pour un an. Dieu fait inscrire l’heure de
la mort de « tout ce qui a une âme (2) » et doit mourir dans l’année, « les
musulmans, les chrétiens, les juifs, les arabes, les nègres, negroàt , les
ânes, les chevaux, tout, ga‘ jusqu’aux cafards... ».
Quatre anges écrivent : Mikaïl,Djebril, Azraïl, Israfil. Sur la première
ligne, est le nom du premier être qui doit mourir; sur la seconde ligne,
le deuxième et ainsi de suite.
Mais les hommes ont un privilège. Au paradis se trouve un arbre dont
chaque feuille vit par une âme humaine qui demeure sur la terre ; elle
est verte quand l’homme va bien, jaune quand il est malade, et elle
tombe quand il meurt. Or, le ma‘rüf, les prières et la pénitence de cette
nuit importante ont pour but d’obtenir que la feuille reverdisse si elle
était jaunie.
En toutes ces fêtes, il serait de très mauvais goût qu’une femme dont
le mari est absent s’habillât; de même, en une certaine mesure lors des
mariages. Plus elle est pauvrement vêtue, plus elle prouve son amour
pour son mari.
Exercice de la médecine (3).
Certaines femmes mozabites, appelées tubibclt, sont spécialisées dans
la médecine. Elles l’ont apprise à l’école des Arabes : « Ils ont beaucoup
de remèdes, et ne sont pas comme les Français, qui ne font que laver
avec de l’eau. Ces doctoresses sont peu nombreuses, quatre, dit-on, à
(1) Cf. supra, je 10.
(2) Piafs est pris au sous <lc principe vital du corps animé ot non pas nécessairement âme raison-
nable. C’est bien ainsi que l’entendaient les philosophes anciens.
(3) Pp. 160 et 165-106.
81
I
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Ghardaïa, une à Béni Isguen, et une à Mélika. D’autres, qui n’exercent
pas avec la même autorité, ont un certain nombre de notions qui peuvent
être assez précises. Voici comment l’une d’elles explique le traitement
des fractures :
On réduit d’abord la fracture, par traction. Puis on applique un appa-
reil fait d’une pâte de henné et de cresson alénois, abersa (moz.) frabb
er-resâd (1) (ar.). Un linge d’abord, puis une bande par-dessus, main-
tiennent la pâte, qui est en contact direct avec la peau. Une couche de
coton, ou à son défaut, de farine, isole le membre des attelles. Celles-ci
sont en roseau, sauf pour les fractures de jambes et de cuisses, où deux
piquets de tente sont préférables. Un grand linge enveloppe le tout.
Le bras est mis en écharpe, un coussin sous le bras, l’avant-bras
replié amenant la main au niveau de l’épaule opposée ; mais la main est
en contact avec l’épaule par le bord extérieur, au lieu de reposer à plat.
On emploie plutôt le plâtre pour les appareils de bras ; pour les jambes,
tantôt le plâtre, tantôt la pâte de henné et abersa.
Cette femme connaît le recueil attribué à Es-Soyutï, le Kitâb er-rahma
fi’t-tibb, le Livre de la miséricorde en la médecine (2), mais elle ne sait
pas le lire elle-même. Il appartient à la bibliothèque de son frère, qui lui
lit au besoin les passages utiles.
Usage de la ventouse (3).
La grande ventouse n’est pas abandonnée pour le traitement des
coliques.
Le chat et le chien dans le traitement des rhumatismes (4).
Il est bon pour les rhumatismes de manger de la chair de chat et de
(1) Identifié avec le Lepidium (ou JVasturtium salivum) par M. R. YVeitz. Ibn el Beithab, n 653,
dorme « graines de cresson alénois ».
(2) Le Caire, 1322 hég. Huguet en « trouvé au Mzab une édition antérieure. Les femmes n’ont
pas cité les autres ouvrages médicaux, qu’il mentionne. Celui d’Es-Soyütï serait au contraire assez
connu, des Mozabites comme des Arabes. (Cf. Conditions ... de la vie au Mzab , in Bull, el Mém. de la
Soc. d'Anthrop. de Paris, 1903, p. 244). Il est d’ailleurs très répandu dans tonte l’Afrique du Nord.
(3) P. 166.
(4) P. 167.
82
LA VJE FÉMININE AL MZAB
chien. La graisse de chat est efficace aussi comme pommade. En voyant
le malheureux élaborateur de cet onguent, on devine tout de suite qu’un
produit aussi rare doit être doué de merveilleuses propriétés; il n’y a
pas plus maigre que le chat du Mzab.
Il faut prendre garde à ne pas le tuer, ni le battre après la tombée du
jour, car la nuit le chat est un jinn (1).
La chair du chien s’emploie dans le même cas, et pour « empêcher
d’avoir des boutons (2) ». En ce cas, il doit être assaisonné d’une abon-
dance de piments, « comme si on mangeait du feu ». Aussitôt le médica-
ment absorbé, on se couche deux ou trois heures sous plusieurs couver-
tures, pour transpirer le plus possible. « La sueur qui vient, c’est la
saleté de l’estomac qui sort, i
Chien et chat sont mangés assez souvent sans prétexte médical, pour
l’unique raison que la bourse est vide et que ce plat est tout offert. Quel-
quefois simplement parce qu’on en a envie. On mange plus souvent
son chien que sa poule, plus rare et précieusement conservée pour
les œufs.
Le chien, cependant, est un animal impur ; on ne le consomme pas
dans la paix de la conscience. Au moment de la mort, dans le testament
propitiatoire, on donne une certaine somme aux bonnes œuvres, pour
chaque chien mangé, y compris ceux qui ont été pris comme remède.
Une femme enceinte, quoi qu’il arrive, ne mange pas de chien ; elle
serait privée pendant quarante jours des anges qui forment l’enfant
en elle.
C’est aussi un animal mystérieux, à l’anatomie compliquée ; il a sept
foies tout petits, groupés en une seule agglomération. Certains croient à
tort qu’il a aussi sept cœurs. A coup sûr, il a sept âmes (3). Quand on
(1) El Hiba, s'enfuyant de Marrakech en 1912, fit publier dans la ville « La veille du vingt-
septième jour du Ramadan, évitez de faire du mal aux chats et aux chiens... : ce sont des diables
qui prendront cette forme pour aller tuer les soldats français dans leurs camps. « (Lesbt, Fol-
klore, p. 11.)
(2) L’action fortifiante et le pouvoir fébrifuge attribués à la chair de cliicn ont été signalés par
Hucuer, Conditions... de la vie au Mzab, in Bull, et Mém. Soc. (FAnthrop., 1903, p. 221 et 225.
(3) Au Maroc, il en „ 77, c’est le chat qui en a sept. (Legey, Folklore, p. 55 et 163). Cf. encore
BiaRHAT, Notes d'ethnographie , p. 59. Cette opinion se rencontre aussi au Mzab et à Tunis .
LA VIE FÉMININE AU MZAB
83
l’égorge, elles sortent toutes à la fois, mais s’il meurt de sa belle mort, il
fait : Rrouah... sept fois, et à chaque soupir une âme s’en va.
Quelques remèdes (1).
L ’incttin qui figure t. I, p. 167, comme remède pour les rhumatismes,
a été identifié (2) avec le Cleome arabica L. ; on l’appelle inettil ou en-ntil.
Les otites sont soignées avec une pâte assez claire composée d’un
gramme de la menthe employée dans le thé, un gramme de clous de
girofle et un gramme de citron séché, pilés très finement et délayés avec
une quantité suffisante d’huile. On verse le mélange dans l’oreille.
Les panaris se sont pas la seule inflammation traitée. Au contraire il
y a des remèdes pour tous les degrés du tiyàb. Lorsque la peau est
rouge, tendue, mais sans formation d’abcès, on applique en cataplasme
du laurier-rose et de l’aloès, morr u çber , des dattes de gars et du beurre.
Gela suffit quelquefois. Mais si le tiyàb augmente, « qu’il vienne de l’eau
dedans, il y a beaucoup de remèdes. On les essaie les uns après les
autres jusqu’à ce que l’on ait trouvé le bon, parce que tout le monde n’a
pas la même chair ».
D’abord la meççaça, cataplasme de fèves mâchées, farine de blé,
oignons et sel, pétris avec du beurre; son nom lui vient de ce qu’il « tire
la saleté de la plaie ».
Si l’abcès tourne au phlegmon, on fait flamber du drïn (3), et on en
délaye la cendre avec de l’huile. Le mélange, chauffé dans une cuiller, est
posé sur la plaie et maintenu par un chiffon. Ce remède ne s’emploie que
si la plaie n’est pas sur le point de s’ouvrir, car la cendre risquerait de
pénétrer à l’intérieur. En cas d’insuccès, on essaie le chou pilé délayé de
même avec de l’huile et chauffé ; puis « un remède français » le cata-
plasme de graines de lin, zerrl'et l-kittân, maintenu dans une étoffe fine.
N'a-t-on pas trouvé le bon remède après toutes ces expériences? On
appliquera sur la chair récalcitrante un mélange de tous ceux que l’on
(1) Pp. 167-168.
(2) Par M. R. Maire.
(3) Arthraterum pu'igens, Raïnaud, Études sur V hygiène... au Maroc, p. 19. J. Bouquet» Matière
médicale indigène, in Bull, des Sc. pharmacologiques , janvier 1921, p. 28
84
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
connaît, plus du safran, ancien selon les unes, de teinture selon les
autres, de l’huile provenant de la cuisson des parfums, zïL l‘abu, un sel
appelé ei-mleh el-hayy , le sel vivant , employé dans la fabrication de la
poudre de chasse, un peu de caméléon appelé Ibüya, diya i 2 ou tata —
presque toutes les femmes en ont une tête séchée dans un nouet sus-
pendu à leur lise'gnest — de l’amande du noyau d’un abricot, quelques
clous de girofle (d’autres femmes les évitent et ajoutent à la place de la
graisse) le tout est bien pilé et pétri avec du beurre. On chauffe la pâte,
on applique sur la plaie, cela joue le rôle du bistouri des Français, l’abcès
s’ouvre de force, besslf.
On presse fortement pour vider l’abcès aussi parfaitement que pos-
sible, puis, comme en tant de campagnes de France, on applique une
toile d’araignée trempée dans l’huile.
Lorsque la plaie commence à guérir, si l’on veut hâter la cicatrisa-
tion on étend un mélange chauffé d’huile et de henné, qui fait sécher les
tissus macérés.
Aux plaies souillées et ensanglantées, est réservé la hiyâta, mais c’est
un vieux remède, presque abandonné « parce qu’il colle trop la plaie ».
Si la plaie s’est fermée sans être vidée complètement et garde un
point de suppuration, on la fait ouvrir de nouveau avec une application
chaude d’armoise, sefert Mericm (1), et de graisse.
Les panaris connaissent encore les cataplasmes d’oignons, de pain
trempé dans le lait, de coloquinte, kajja (pour hadja), séchée et pilée,
et pétrie avec un corps gras. Il y a aussi de prétendus remèdes qui, avec
un peu de persévérance, finiraient par guérir le malade de tous ses maux :
un cataplasme de piment, sur une plaie de la main, amena un tel
phlegmon que la victime faillit mourir.
La variole, tazerzaïl, se soigne aussi avec de l’armoise, alâla (2).
(1) L’échantillon a été identifié par M. te docteur Weitz avec l’-Artemisia arborcscens L. Raykaüd
donne Artemisia absinlhium (absinthe), p. 160 de V Hygiène au Maroc. Id. J. Bouquet, op. cit. Bull,
des sc. pharmac janv. 1921, p. 34. Mais J. Gaitbfosmé donne Artemisia arborescens L., avec chiba
pour synonyme. (Les plantes dans la thérapeutique indigène, p. in Notice ir 10 des Travaux de
L'Office national des matières premières végétales.)
(2) Alala signifie feuille; alala n-tfsnak, feuille de carotte, traduit Biarïsaï, Notes d’ethnogra-
phie , p. 245. G’ est un collectif désignant des feuilles de plantes horbacées, id., p. 254. Au Mzab,
LA VIE FÉMININE AU MZAB
83
Pour les rages de dents, il y a un remède qui doit mettre en jeu des
adjuvants psychologiques, tels que l’application et la distraction : piler au
mortier sel, armoise et tekkâyc i, tamiser avec une étoffe fine, prendre
une pincée de cette poudre, la garder dans la bouche une heure en ayant
bien soin de la faire passer partout — la rage de dents est finie. Cette
poudre peut être préparée à l’avance et conservée dans une boîte.
Remède opérant plus rapidement : une gorgée de pétrole gardée un
quart d’heure dans la bouche et avalée ensuite...
Remède pour faire revenir le lait(l).
Autre remède pour avoir du lait : des graines de carottes avec du
bon bouillon.
Emploi de l’eau de roses ( 2).
L’eau de roses est connue depuis longtemps pour soigner les maux
d’yeux.
Prophylaxie de la tuberculose (3).
La tuberculose est maintenant considérée comme contagieuse. Autre-
fois, on disait : « Cela vient du Seigneur ! « Mn er-Rabbl (sic), et l’on
trouvait impie de prendre des précautions. Celles que l’on estime aujour-
d’hui permises et utiles sont encore bien élémentaires.
Encore quelques remèdes (4),
Pour la syphilis, el-fransi, on évite le sel dans tous les aliments, ils
sont messüs( 5), sans sel ; et on mange des fruits — autant qu’on le peut au
Mzab.
on prononce avec un a long. M. R. Maire a identifié notre échantillon avec 1 ’Artemisia campeslrii
L. [sensu lalo) probablement ssp. glutinosa (Gay) Batt.
(1) P. 169.
(2) P. 170.
(3) P. 171.
(4) Pp. 172-173.
(B) Le sens habituel est « fade, insipide » à Tanger, et en Algérie « pas assez salé » (W. Mar-
36
IA VIE FÉMININE AU MZAB
Une femme syphilitique ne prie pas au môme endroit que le reste de
la famille. En visite, elle emporte un sac sur lequel elle s’assied.
Les indigènes disent qu’il n’y a jamais d’insolation mortelle, mais
parfois « un coup de soleil », derb es-sems ou beqla, peut donner un fort
mal de tête.
Sur les tempes, le milieu du front et la nuque, on applique un peu de
Iblha (1). C’est un mélange de mesw&k. , « deux grains » hebbïn , de clous
de girofle, drirîya, plein le creux de la main de café, des oignons, très
peu de henné, le tout pilé et délayé avec une bonne quantité de vinaigre.
Un turban maintient la pommade. La malade se couche dix ou quinze
minutes, « sent la chaleur lui sortir de la tête », et tout est fini. Elle se
lave avec soin la partie enduite, au jus de citron et au vinaigre.
Veuvage (2).
Lorsque la veuve se fait coiffer au premier jour de la retraite légale,
elle touche du plâtre, du henné, du kohl, quelque bijou et de l’huile.
Sans cela elle ne pourrait toucher ces objets qu’après son deuil fini.
Pour ne pas cesser de se mettre du kohl pendant cette période, les
femmes ont réussi à persuader aux tolba que cette abstention rendait les
maux d’yeux inévitables; par pitié, la tolérance est accordée.
Le deuil d’autrefois était beaucoup plus strict; certaines femmes en
prennent maintenant tellement à leur aise qu’elles mettent du meswâk,
et abandonnent jusqu’au petit voile noir, \ u adda (3), auquel les vieilles
sont fidèles. Les mauvaises langues disent que sa commodité pour cacher
la calvitie fait ici tout son succès. La coutume de fixer le bord de V'-adda
par le bandeau noir appellé cembîr est déjà complètement perdue.
ij.us, Textes arabes de Tanger , p. 466). La précaution d’éviter le sel est générale dans toute l'Afrique
du Nord quand on suit un traitement. Si cela est spécifié comme soin de la syphilis, c’est peut-
être parce que des médecins roxjmis È’ont interdit pendant les traitements à base de mercure.
(1) La recette a été partiellement donnée à Huguet, Conditions... de la vie au Mzab, in Bull, et
Mém . Soc. cfAnthrop., 1903, p. 240.
(2) Pp. 176-177.
{3) L 'adda n’est pas autre chose qu’un belinüg noir, mais le terme bchnüg s’emploie pour les
voiles de couleur seulement. La forme berbériséc, tabehnuht y esf restée pour désigner V'adda en
moaabite.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
87
Au temps du cemblr, la première fois que la veuve soriait ainsi coiffée,
pour aller au cimetière porter la marque sur la tombe de son mari, une
négresse l’accompagnait, la main sur l’épaule, criant: tamawdit tella!
« Voilà celle qui porte le deuil! » Des femmes suivaient. Et tous les
hommes sur son passage da se voiler le visage, qui avec son sês, qui avec
le pan de son burnous, jusqu’à ce que le cortège fût passé (1). Car le
regard de la veuve porte malheur (2).
Autrefois, on disait encore que les femmes qui marchaient pieds nus
pendant la retraite légale marchaient sur le cœur de leur mari. Elles ne
quittaient même pas leurs souliers la nuit. Puis elles les ont quittés
quand il n’y avait personne, les mettant tout près d’elles. Enfin on a
oublié la légende et perdu cette habitude gênante, qui persiste encore
chez certains Arabes du Sahara.
Le lendemain des funérailles, la famille éloignée recommence à tra-
vailler en revenant de porter la marque sur la tombe.
Lorsqu’il s’est produit plusieurs morts de suite dans une maison, on
craint que les personnes décédées portent malheur. On vend ou on loue
la maison afin d’aller habiter ailleurs, mais il n’y a ni sacrifices ni sorti-
lèges pour essayer de conjurer le sort.
(1) C’est au passage d’un enterrement que reniant marocain doit relever le capuchon de sa
jellâba et s’en recouvrir le visage, sans quoi il deviendrait teigneux et aurait des vomissements
(Lbi,by, Folklore , p. 168).
(2, Le jeune homme qui « perdu sa femme suit l'enterrement avec le capuchon, gelmüna, de
son hurnous baissé sur le visage. C’est son signe de deuil. Au retour, à la porte de la ville, on le
lui relève ; dès lors le deuil est fini, on commence à lui parler de se remarier. De même dans la
tribu arabe des Mdàbih.
VIII
MAGIE
Manifestations et apparitions desjnun (1).
Histoires banales, toujours dans le même cycle : les maisons hantées
où l’on entend des bruits de planches tombant les unes sur les autres, et
où l’on conjure le danger par des clous plantés à terre, de la rue,
faïjel (2), suspendue avec du harmel, avec de la sariette et du genévrier
mêlés, srâyer (3) ; bruits dangereux des jnün accompagnant les taches de
sang; poursuites de jinniyât perverses, etc...
Un homme ramasse un soir un chiffon tombé près de sa porte et le
pose sur la terrasse. Dans la nuit il est réveillé par un bruit d’orage,
pluie, tonnerre... Pas une goutte d’eau, tout le ciel est clair. Il se
recouche ; nouveau bruit : « Cela doit être le chat qui essaie de manger la
viande sèche. » Mais pas de chat du côté de la sekvca où l’on serre la
viande. Impossible de dormir car les bruits étranges ne cessent pas. Le
(1) Pp. 187-189.
(2) Identifié par M. Weitz avec la Rula montana. Ce faïjel * toutes sortes d’emplois : on en fait
manger aux. femmes stériles, aux enfants qui ne dorment pas ; on en suspend à la tisegnest des
somnambules dans un nouet contenant aussi harmel, cendre et sel. En toutes ces occasions, il est
mis pour préserver des jnün . Ne pas confondre avec le fjel (ou fijel), sorte de navet qui se
mange. Ailleurs il semble que la rue est appelée fijel ot non faïjel, cf. Ibn el Beitha.ii, Traité des
simples \ f n° 1166 ; Destaing, Fêtes et coutumes saisonnières , in Rev, africaine , 1907, p. 262, note 4,
cite la rue parmi les sept parfums employés en fumigations pour V' Angara; J. Bouquet, Matière
médicale indigène , in Bull . des sc. pharmac ,, janv. 1921, p. 28 donne Fidjel, et aussi Soudab pour
la rue puante, Buta graveolens.
(3) Identifiés par M. Weitz. La sariette, ça 1 2 3 ter, cf. Ibn el Beithàr, n' 1398. Le genévrier qui est
mélangé à la sariette dans le srâyer est le Juniperus phœnicea, fausse sabine considérée comme falsi-
fication du Juniperus sabina L. La sabine vraie se nomme Abhil, d'après J. Bouquet, op. ci/., p. 28.
Sur les divers genévriers marocains, cf. Gattefossé, Les plantes dans la thérapeutique.., p. 111.
LA VIE FÉMININE AU MZAB 89
pauvre homme se terre dans son coin jusqu’au jour, et le matin va jeter
dehors le chiffon, seule nouveauté dans la maison, coupable sans doute
des phénomènes jusqu’alors inconnus. En' effet, il était tout taché de
sang. Par précaution, un tâlçb fit des inscriptions au safran sur trois
clous, que l’on planta à la place occupée par le chiffon.
Un homme avait été condamné à mort et exécuté par l’autorité mili-
taire. Le madrier où il avait été lié était abandonné sur place, taché de
sang. Ce bon bois gaspillé tenta un homme qui le rapporta chez lui. Mais
il y eut la nuit un tel bruit que les voisins crièrent grâce et réclamèrent
leur sommeil. On jeta le madrier dans un puits, il s’agita si bien dans
l’eau que le caïd obligea l’homme à le retirer; le malheureux n’eut la
paix qu’en reportant le bois endiablé là où il l’avait pris, sur le sable.
Les jinnlycit ne dédaignent pas les promenades nocturnes.
Un oncle, heureux du retour de son neveu revenu du Nord, prolon-
geait la conversation. Ils étaient dehors, près d’une des portes de
Ghardala, dans une ruelle allant vers l’oued. Au milieu de la nuit une
silhouette féminine se glissa vers eux jusqu’à les frôler ; elle venait de la
porte, cependant fermée. « C’est une jinnlya , murmura l’oncle, pas de
danger pour moi qui suis vieux, mais gare à toi ! c’est toi qu’elle veut. »
Elle montait la rue, enveloppée dans un kcavli blanc comme de la bougie.
L’oncle et le neveu s’en vont, pas fiers, car ni l’un ni l’autre n’avait de
fer sur soi. Elle, entrée dans une courte impasse, les laisse aller, puis se
remet en marche et les dépasse. Elle paraissait de la taille d’une enfant
de douze à treize ans. Tout à coup, l’apparition s’évanouit avec un bruit
semblable à celui d’un bâton frappant trois fois la terre.
Leur soulagement fut bref. Ressortie on ne sait d’où, elle enfila la rue
habiiée par l’oncle puis émergea de l’ombre en vêtements rouges, sans
bras, avec une tête de lion. Curieusement, ils s’approchèrent jusqu’à en-
viron deux mètres, « pour voir ce qu’elle ferait ». Elle se mit à danser, et
ce faisant, elle s’acheminait vers une toute petite impasse. A peine la rue
se trouva-t-elle libre que toute curiosité fit place à la pensée éminemment
pratique de se sauver pendant que le champ était libre. Oncle et neveu
ne firent qu’un bond chez eux et s’y bouclèrent, sans autre vérification.
90
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Un autre récit est plus singulier. Un jeune homme raconte que
lorsqu’il était enfant, il vit un animal comme il n’en a jamais revu au
Mzab, qui passait dans la maison. Gomme il s’étonnait, son père lui dit:
« Je le connais ; n’aie pas peur, il ne te fera pas de mal. » Il l’aperçut
encore une autre fois dans le jardin. En racontant le fait, il insiste sur
le caractère mystérieux des réponses de son père — mort depuis — qui
semblait avoir un lien avec cetanimal et non le regarder comme un simple
animal domestique. Faut-il attacher quelque importance à ce souvenir
d’enfant, bien que ce jeune homme se soit montré digne de foi en
d’autres occasions P II faudrait du moins rechercher si quelques pratiques
magiques n’emploieraient pas les animaux; nous n’en avons pas trouvé
jusqu’ici. Le lien créé par l’échange du sang- ne semble pas connu. Mais
dans le cas donné, il est bien spécifié qu’il' ne s’agit pas d’un jinn.
Les jnün apparaissent surtout le jour dans les quarante plus longs
jours de l’été, et plutôt la nuit dans les quarante plus longues nuits
d’hiver.
Trois autres jinnlyàt de l’égout (1).
Trois autres jinnlyàt de l’égout sont encore distinguées par leurs
particularités : mkenniyet ed-dfâr, « celle qui a les ongles teints au
henné » ; msuwwaket es-senân, « celle qui a les dents passées au meswâk »
et mhalletet e.s-sa’r, « celle qui a les cheveux emmêlés ...
Précautions contre les jnün, ahl AUâh , « les gens de Dieu (2) ».
Certaines accompagnent le ma'rüf qui consacre la maison neuve et le
forage d’un puits.
Avant de s’installer duns la maison nouvellement construite, on jette
dans toutes les chambres du cerfeuil (3), du henné et du sel pour plaire
(1) p. too.
(2, Pp 130 191.
(3) « Les graines de Cerfeuil sont utilisées au môme titre que celles de coriandre », en méde-
cine marocaine, dit ,1. Gattefossé, Les plantes dans ta thérapeutique indigène, p. 91. En magie moza-
bile, il somble aussi que coriandre et cerfeuil soient employés indifféremment.
LA VIE FÉMININE AU MZAB 91
aux jnün, le sel est probablement mis comme une barrière qu’ils ne fran-
chiront pas.
Les amis viennent féliciter le maître de la maison sur sa nouvelle
construction ; il remercie, offre le couscous, le café, le café au lait. Puis il
égorge un mouton, soit dans Yust ed-dâr, soit contre une colonne, et l’on
asperge de sang les murs et le seuil de la porte. Ce rite semble bien
sacrificiel, car les simples ma'rüf n’offrent rien de semblable (l). Le
mouton est suspendu par les pattes de derrière à deux seddàt , puis
écorché par les nègres, cuit et consommé séance tenante; le foie est
servi avec de l’huile, la peau est salée avec deux mesures de sel. Pour
cette cérémonie, les femmes se mettent en toilette et reçoivent quelques
voisines, mais elles n’ont pas d’autre rôle que de faire la cuisine.
La nuit suivante des tolba viennent dire lùiêt.
Certaines familles l’ont un sacrifice pour l’achèvement des fonda-
tions (2). En entrant dans une maison qui change de propriétaire ou de
locataire, on fait un ma‘rüf, mais pas de sacrifice. Cette distinction est
faite par les Mozabites. Les premiers jours, on dit Hismiilâh à chaque
fois que l’on jette quelque chose à terre, plus tard, beaucoup moins, mais
toujours en jetant de l’eau chaude. Il n’y a pas d’oilrande aux jnün.
Le ma'rüf précède, au lieu de suivre, le forage d’un puits. A l’endroit
où l’on va creuser, on jette de la cendre, des graines de cerfeuil, du
henné en feuilles et du sucre en petits morceaux, puis on égorge par-
dessus tout cela. La viande crue coupée en morceaux est distribuée à
tous les assistants, riches et pauvres, voisins et inconnus. Quand le forage
atteint l’eau, il n’y a pas de cérémonie semblable, mais on tire un coup
de fusil dans le puits.
Voici un remède pour échapper aux jnün des grenadiers, si l’on s'est
mis imprudemment dans leur rayon d’action. La main disposée eu forme
de cornet servant de mesure, on prend trois fois ce qu’elle peut conte-
(1) L’égorgement, mais non le rite du sang, est rapporté par M. Mercier, Civilisation urbaine »
p. 211. En Orient, on asperge de sang la porte et quelquefois les murs. (Jaussem, Coutumes des
Arabes au pays de Moab, pp. 342-343.)
(2) Cf. Mercier, Civilisation urbaine , p. 211.
92
LA VIE FÉMININE AU MZAB
nir de chacun des ingrédients suivants : sel, cendre, chaux, bhür (en-
cens), henné, cerfeuil, sable grillé, clous de girofle, boutons de fleurs
de myrte, tahernennüt , et enfin trois bü qennüdâ, partie renflée de l’os
d’un mouton, aux jointures.
On mélange et on fait un paquet du tout, que l’on met la nuit même
sous son oreiller. Le lendemain on partage en trois; le premier tiers sera
jeté de la terrasse aux quatre points cardinaux, avant le lever du soleil ; le
second tiers est jeté à l’endroit où l’on craint d’avoir été en danger; le
troisième est remis sous l’oreiller pour un certain temps.
La fièvre est-elle attribuée à quelque action des jnün ? Le même re-
mède est employé pour la combattre. En ce cas, le second tiers du paquet
réparateur est jeté à l’endroit où l’on a commencé de sentir la fièvre.
Si quelqu’un, homme ou femme, a éprouvé une violente émotion, à
l’endroit où il a été surpris, on invoque les jnün. Les deux mains à terre,
se touchant, la paume en l’air, on dit :
Les hôtes de Dieu et vos hôtes ,
Les hôtes de mon Seigneur et vos hôtes ,
Nous vous demandons pardon.
Notre seigneur Salomon est notre maître et le vôtre ;
Ne nous faites pas de mal, et nous ne vous en ferons pas.
Aveugles , nous ne vous voyons pas.
Et, sourds, nous ne vous entendons pas.
Nous sommes musulmans vous appartenant.
Ne nous faites pas de mal et nous ne vous en ferons pas (1).
On jette alors à terre du sucre et du henné. Si le remède par malheur
ne réussit pas, on fait au malade des pointes de feu.
Il y a encore un certain nombre de précautions d’usage courant :
Ne pas prendre des dattes la nuit dans le bajü, les jnün entreraient à
la suite de celui qui y est descendu et se serviraient aussi.
(1) Cf, Appendice , texte III, p. 142. Pour « couper l'elTet de la surprise » on se contente parfois
de jeter de l’eau à la ligure, ou de faire manger de la farine délayée dans de l’eau avec du srâyer.
C’est la bouillie appelée rgida , cf. t. I, p. 2G2-2G3.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
93
Ne passe tenir entre la lumière et la gç'ci pendant que quelqu’un mange,
de manière à projeter une bande d’ombre. Les jnün viendraient partager
le repas. Pour qu’ils s’abstiennent, il faut que la gç l a soit tout entière ou
dans l’ombre ou dans la lumière.
Ces jnün sont vraiment de dégoûtants personnages. Si le couscous
entamé est laissé d’un repas à l’autre sans un noyau de datte et du sel posé
dessus, les , jnün viennent en prendre, ils le mâchent sans l’avaler, le
crachent dans la gç‘a, et on se trouve manger ce reste déplaisant. Pis
encore, ne laissez jamais la marmite au feu ou contenant des aliments
qui y séjournent sans la couvrir, ne serait-ce que d’une tizit. Les jnün
profiteraient de votre inadvertance pour venir uriner dans la marmite
quand elle chauffe. Si elle est retirée du feu, elle-même « appelle le mal
en elle ».
Les jnün sont chapardeurs. Ils prennent du bkür el-miskl pendant
les trois jours où il repose (1), si l’on n’a pas placé à la surface un clou
avec un fil vert enroulé. N’aurait-on fait qu’effieurer de la main le pot à
huile, geddüh , le vendredi soir, ils viendraient prendre de son contenu
pour oindre leurs nouveau-nés. Et le jeudi soir, en filant la to‘ma, si
l’on touche le tas de laine cardée, ils viennent en dérober pour faire des
ceintures à leurs femmes.
Il ne faut pas non plus rester debout pour passer le blé ou l’orge au
crible. Cheikh Sîdl ‘Isa, rentrant un jour chez lui, trouve en route des
jnün ayant chacun une poignée d’orge qu’il reconnaît pour sienne.
Gomme il savait leur parler et leur donner des ordres, il réclama son
bien. Mais les jnün de s’excuser : « Ta fille crible le grain debout, notre
devoir était d’aller en prendre. > En effet, mais le cheikh ne fut pas dé-
sarmé. Il leur tendit le pan de sa gandoura, disant en souriant : « Ren-
dez-moi cela tout de même... » et il rapporta son orge au logis.
Ce même cheikh était si instruit de toutes ces sciences qu’il compre-
nait le langage des bêtes. Une nuit il entendit la petite chèvre se plaindre
à la mère chèvre d’avoir une épine cassée dans l’épaule, épine d’une
jrida dont elle avait reçu un coup pour avoir mangé de cette orge criblée.
(1) Appendice, recette n* 2, p. 135.
94
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Sïdï ‘Isa se leva, alla enlever l’épine ; la chèvre le remercia, et de son lit,
il les entendit se réjouir toutes deux.
Importance du livre de Dimiyâti (1).
Les femmes insistent sur l’importance du livre de Dimiyâti. Jamais
une sorcière, sans livres, n’arrivera à la science magique du tâleb qui
peut puiser à cette source. Voici un exemple de ce que font ses
disciples.
L’un d’eux, quelquefois, arrête dans la rue un enfant âgé de sept ans
au plus, dont la paume de la main est entièrement traversée par une li-
gne horizontale. Il le fait entrer chez lui et asseoir. Puis il lui écrit quel-
que chose dans la main, fait une fumigation de coriandre et de benjoin,
lit un certain passage dans Demiyàti. L’enfant, tout à coup, rentre sous
terre. Il lit une autre phrase, l’enfant remonte : les intervalles entre ses
doigts sont devenus comme « cinq » rues où les jnün vont et viennent.
Le but de cette opération n’est pas précisé ; il semble que ce soit une
évocation des jnün utiles au tâleb.
Dimiyâti offre un mystère qui manque aux connaissances féminines.
Les femmes ont bien ces formules assonancées où le sens est à peu près
nul, mais elles s’expriment en phrases construites normalement et nient
que l’emploi de l’arabe ait le moindre caractère ésotérique. Sorcières ara-
bes, elles parlent leur langue tout bonnement ; et celles qui les ont ap-
prises d’elles répètent leurs paroles. Dimiyâti, au contraire, donne des
formules où l’ordre des mots est changé, ainsi on commence par le der-
nier, etc... C’est afin que nul ne comprenne sans être initié.
Les tolba qui possèdent « la science cachée » peuvent guérir ainsi que
les fous les malades possédés par les jnün. Voici une cure accomplie
par l’un d’eux. Il y avait une jeune fille qui ne pouvait parler, ni boire,
ni manger, ni desserrer les mains, ni faire le moindre mouvement ; «elle
était raide comme un morceau de bois ». A la demande de sa mère, un
tâleb sorcier consentit à la soigner, moyennant 125 francs. C’était une
(1) P. 192.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
9Ü
grosse somme pour l’époque, car le fait remonte à plusieurs années. Le
magicien lui écrivit on ne sait quoi sur les mains, sur les bras, un peu
partout. Un vomissement de sang la prit, puis elle put parler. Peu à peu
elle guérit complètement. Un jinn nommé Ferüj qui s’était emparé d’elle
avait été chassé.
Mais les jnün n’acceptent d’obéir qu’à un homme aussi courageux
qu’instruit. Ils s’assurent de la valeur de leur futur maître par un examen
où ils se montrent en effrayantes apparitions. Le candidat en sort, « fou
ou vainqueur », à moins que ce jury d’un nouveau genre se contente de
lui « casser le dos » à force de coups. S’il n’a pas eu peur, ses grades
sont définitivement conquis.
Les sorcières sont soumises à une épreuve de ce genre tellement re-
doutée que beaucoup s’arrêtent avant d’avoir achevé les études qui pré-
cèdent immédiatement la confrontation (1).
Gomme Cheikh ‘Am mi Çâlah, Cheikh Baba Ahmed Abu Sa'ba se chan-
geait en différents animaux. Mais il semble qu’il faisait de son pouvoir
un usage moins louable. Ainsi, après avoir bien recommandé qu’on
l’attendit à la mosquée pour faire la prière, il arrivait enfin, on commen-
çait... tout à coup, il se changeait en vipère et se glissait dans le groupe
des hommes. Etnoi... Quand le jeu avait assez duré, on le voyait repa-
raître à sa place.
Initiation (2).
Une sorcière fait de l’initiation un récit différent de celui qui a été
précédemment recueilli.
(1) Parmi les pratiques de sorcellerie, convient-il de passer sous silence le jal, le présage ?
On emploiele mot en ce sens chez les Beni-Snous (cf. Destaisg, Diction. Beni-Snous, p. 289). L’expii-
■cation en est assez obscure. Tantôt il est présenté comme une simple devinette ou un pi-ux. jeu de
société : Ghaqu » personne choisit un objet pour la représenter, à l’insu de celle qui va parler ;
puis on présente à celle-ci chaque objet, en disant : « Que souhaites-lu pour la bague, le dé, le
mouchoir, etc. ? » Elle fait alors un souhait sous forme de prière ; on espère que le Trône s’ou-
vrira et que Dieu exaucera les voeux pour quelqu’une. Tantôt on laisse entendre qu’il s’agit d’une
prière un peu étrange qui touche à la sorcellerie. Tantôt enfin on emploie idîra l-Jâl comme syno-
nyme de Llühu l-gur'a . En ce sens on raconte que l’on tira au sort quel était le maudit qui arrê-
tait ia marche du bateau où le prophète Jonas s’était embarqué. Et c’est sur cette désignation que
Jonas fut jeté à la mer.
(2) P. 195.
96
LA VIE FÉMININE AU MZ.VB
Pour prendre un premier contact avec les jnün, l’aspirante se lave avec
l’urine de neuf ânes, liquide qui est habité par un certain nombre d’entre
eux. Puis, après s’ètre mise d’accord avec son initiatrice, elle achète un
bouc et l’amène au jour convenu. C’est un dimanche ou un mercredi, pas
le mardi, qui est férié pour les jnün , « ils ne travaillent pas » ce jour-là.
La mo‘allema arrache la corne gauche du bouc, l’emplit de sang et la
pose à terre. Tout près, elle fait une fumigation de benjoin et de coriandre^
mêlé d’un parfum, n’importe lequel. Puis elle engage conversation avec
la corne, ou plus exactement avec les jnün qui y sont logés. Enfin elle
s’adresse à son élève :
« Tu veux apprendre ? Eh bien, achète.
— • J’achète.
— Testent miya has u cuvas wa miya jinniya wa miya hâdern kuriya,
kaleinu beT ajmlya, çeddl ya uliya, hâjtek mardlya ma beïn eç-çbdà wa
l'aslya ma jitï la " ala liazàm ulaserblya. Tu achètes cent has et awas
(espèces de jnün), cent jnün, cent jinniya, cent négresses du Touat par-
lant leur langue. Détourne-toi, ô femme, ton affaire est arrangée en rien
de temps (littéralement : pour ce qui est entre le matin et le soir). Tu
n’es pas venue pour une ceinture ni pour un bol. »
L’achat, es-serya, se complète par le versement, non fictif, d’une
somme d’argent appelée l-kobrâ. L’élève doit encore apporter à chaque
leçon le déjeuner ou le dîner de la mo l allema, et prendre à sa charge le
thé et la lumière.
Après le don de la kobrâ, on égorge un animal, bouc, coq, etc..., au
gré des jnün interlocuteurs de la sorcière. Ils prennent soin d’indiquer
la couleur de la victime choisie. Non seulement la moallema cause avec
les jnün, mais elle les voit. Certains sont beaux, par contre il y en a
d’aveugles, boiteux, teigneux, sans compter les autres infirmes. Elle voit
aussi les swâtin.
L’apprentie magicienne reste alors quarante jours sans prier. Ce
n’est pas tant pour éviter la prière que pour éviter le bismillâh qui fait
fuir les jnün. Après cet intervalle, elle pourra prier quand elle ne tra-
vaille pas avec eux. Si le métier entraîne quelques torts, en effet, ils se-
ront rachetés devant Dieu par les mérites acquis en raccommodant tant
LA VIE FÉMININE AU MZAB
97
de ménages malheureux... Cette apologie pro do/uo ne mentionne pas
ceux que l’on désunit, beaucoup plus nombreux.
L’initiation dure un ou deux mois au moins, un an au plus, selon l’in-
telligence de l’élève, mais aussi selon le degré de science auquel elle as-
pire. Beaucoup s’arrêtent avant la fin, par crainte d'être aveuglées ou
battues par les jnün dans l’épreuve terminale. Les séances sont presque
toutes nocturnes, et accompagnées de fumigations.
Il semble bien que ce récit s’applique à une autre méthode d’initia-
tion, s’adressant à un nouveau groupe de jnün. Ceux du mardi sont, en
effet, bien connus (1), et la tradition ne prête pas à la gent cachée un
repos général à ce jour. Mais les jnün du dimanche ou du mercredi,
comme les autres, sont réputés moins actifs aux jours qui ne leur sont
pas consacrés. Les sorcières s’accordent à assigner le mardi au meurtre
de Caïn. L’une et l’autre méthode ont un rite sanglant, et repoussent
la prière, mais ici la seconde interprétation est évidemment faussée par
le désir- de ne pas s’avouer coupable.
Le présent récit se poursuit par des renseignements intéressants sur
les incantations et la préparation des ingrédients. L’usage de chacun de
ceux-ci s’apprend en même temps que l’incantation qui lui est propre.
Les ingrédients végétaux et minéraux sont communs à des opérations
diverses ; mais les objets de fantaisie, tels que les pierres de l’abattoir
ou la plume de coq, sont plus spécialisés à moins qu’ils ne varient au
gré de la sorcière.
De préférence on réunit les différentes matières communes pendant
le mois de Ramadan. Celles qui doivent être préparées, pilées par exem-
ple, ou moulues, sont .travaillées la nuit du 27. Au marché précédant im-
médiatement V‘ld eç-çglr , on les vend fictivement aux enchères. La sor-
cière a donné une petite somme au crieur, déliai, qui prend le paquet, le
met très rapidement aux enchères, sans dire ce qu’il y a dans cette enve-
loppe d’étoffe. Pendant que tous les acheteurs répètent : « Qu’est-ce que
c’est? Qu’est-ce que c’est? », il l’adjuge, soi-disant, à la propriétaire.
Aussitôt tsebba 1 avec le paquet dans sa main.
(1) Cf. t. I, p. 195, note 1.
98
XA VIE FÉMININE AU MZAB
Le jour de V l id, la sorcière ou quelqu'un de confiance qu’elle a loué
pour la remplacer, se met en face de l’imam pour la prière, faite dans
l’oued, posant les ingrédients dans son l abün ou à terre, devant soi. La
prière finie, pendant que tout le monde s’embrasse et se félicite, le por-
teur isebba ‘ d’un geste inaperçu. La sorcière, qui n’est pas loin, reprend
son bien et, rentrée chez elle, le cache en un paquet suspendu dans un
coin obscur. Rien de salé ne devra se trouver à proximité, et personne
n’y touchera : cela communiquerait du sel et rendrait le contenu inutili-
sable.
Ges ingrédients servent à tous les travaux de l’année. Si la quantité
est insuffisante, on en prépare d’autres qui, faute de prière dans l’oued,
sont portés simplement à celle du vendredi à la mosquée.
Il doit y avoir dans le mélange cent choses différentes. Entre autres,
alâla, Arlemisia campestris , rngül eç-çif, Mentha Gattefossei, za l ter, thym ;
siha, armoise ; sedra, jujubier sauvage ; ltelha, férule; haslslyci, opium (ou
kif) ; za l fran bekri , safran ancien; jawl ahmar, benjoin rouge; bhür es-
süclân ; mesketa, mastic; zebd el-bhar, os de seiche ; dârfelfel , poivre long ;
lisan l l açfür , fruits du frêne ; derrl dkür, clous de girofles mâles ; un mor-
ceau de usergint , Corrigiola telephiifol, une poignée de poivre fin ; U mm
en-nüs, résine ; kuzber , coriandre ; misk, musc ; Bü nafa 1 , thapsia ; çendel
l-ahniar, bois de santal rouge ; tert (1) enta L l-atrüs, herbe mâchée et non
encore digérée, qui se trouve dans l’estomac du bouc, on l’appelle aussi
Bü neffer (? chose repoussante). On ajoute à ces ingrédients plus spé-
ciaux un petit morceau de tous les légumes poussant dans les jardins de
Ghardaïa et de toutes les plantes qui poussent dans le désert.
Les incantations comme les ingrédients s’emploient dans diverses cir-
constances. La sorcière fait cette remarque intéressante : les demandes
s’adressent toujours aux jnün et non pas à Dieu, c’est seulement à la fin
que l’on ajoute, par surcroît (et peut-être pour donner le change à la
cliente) : bgül Allah bgül er-rasül bgül Sldnu Mohammed el-madkür ,
‘rlwunnl ya Rebbl. Par la parole de Dieu, par la parole de l’Envoyé, par la
parole de notre seigneur Mohammed le célèbre, aide-moi, ô Seigneur ! »
(1) Prononcé avec i au lieu de l. Be.iussiek, p. 73, donne ^ tert, le contenu de la panse des
ruminants, l’herbe à moitié digérée ».
U VIE FÉMININE au M3AB
Différentes espèces de génies (1).
Les jnün n’ont pas de demeures communes avec les swâtln. Tandis
que les premiers sont, une gent souterraine, s’aventurant au ras du sol,
les seconds évoluent entre ciel et terre. Les étoiles filantes ne sont pas
autre chose que des swâtln indiscrets, aventurés aux écoutes du quatrième
ciel et chassés par les anges (2). Ils se posent sur ce monde, cependant,
et ce sont eux qui s’emparent des premières gouttes de sang d’un homme
assassiné, imitent le bruit qu’il a fait en mourant et reforment son image-
Tous méchants, et plus méchants que les mauvais jnün , ils sont plus
proches d’Iblis qui n’est pourtant pas tout à fait des leurs. Les sorcières
avouent les invoquer, tandis qu’Iblis ! N’est-il pas le pire de tous, celui
qui n’aide qu’à désunir les ménages? Or, la sorcière à qui l’on parle ne
rêve jamais que de maintenir la paix ou rétablir la concorde.
Remarques sur quelques préparations (3).
Les tnâklr ont tous pour but de produire la désunion (4). Pour rap-
peler un absent on n’emploie donc pas les tncikir el-bïd , borax. A part cela
la recette donnée est exacte, mais elle est incomplète, il faut ajouter:
kerwiya. carvi.
es-sàkta wa l-mesküta (5). (?)
meswâlef fefra ou sâlef el-ferfdr Melilofus speciosa Dur, (6).
(1) Pp. 195-196.
(2) Ailleurs on entend plutôt dire conformémemt à la tradition coranique que Jes étoiles
filantes sont les projectiles lancés par les anges sur les démons.
(3) Pp. 197-198.
(4) Dans la région de Blida, le tenhïr noir seulement. (Desparmet, Ethnogr. trad. Metlidja, in Rev .
africaine , 1927, p. 209 )
(p) Mauciiamp, Sorcellerie au Maroc, p. 241, signale l'emploi de la Sakta en magie. La graine
« qui fait taire » est mêlée à la semoule du couscous tourné par la main du mort, destiné à être
servi par un caïd aux. membres des tribus soulevées. Mais la description de la salda « ressemblant
au basilic, graine noire brillante très petite » ne coïncide pas avec notre échantillon . fruits res-
semblant aux jujubes, contenant des graines d'un brun presque noir. Probablement importés.
(6) Identifié par ÎV1. Maire. Beaussier donne Umm es-$wfllef, saule pleureur (p. 30(5). Ce sens
existe au Mzab.
100 • LA VIE FÉMININE AU MZAB
r —
l^fiabbet tuhta. truffes.
'.:^\_habbet ef-terfâ. tamaris.
fyebb el-jellàb ou jellâba. ricin (1).
poussière du dâr es-sra‘ tribunal d’Alger.
reste d’un plat mangé par les officiers — un plat pour chacun;
de la poussière de la trace de chacun d’eux.
On ne prend pas un fragment de l’étendard de la tribu, mais seulement
un peu de la frange. Quant au bois de la Porte des Forgerons, il ne
trouve pas son emploi ici, mais dans le gâs jeté dans l’eau bouillante (2).
La pâte composée de tout ce mélange peut être préparée à l’eau de
roses aussi bien qu’à l’eau de fleurs d’oranger.
Préparation du gâs (3).
Dans la préparation du gâs, on peut mettre trois ou cinq ou sept
aiguilles. La plume de coq doit provenir d’un coq blanc. Le mélange
doit être pilé non sur unegç'a renversée, mais sur une tebga neuve ; car
il y a des jnün particuliers à la tebga, il importe de les mêler à cette
affaire. L’ustensile doit être neuf pour éviter le sel ; par surcroît de pré-
caution, on interpose un sês bien lavé entre le fond et le mélange à piler.
Le bâton employé pour ce travail n’est pas nécessairement celui d'un
homme méchant, mais plutôt celui d’un homme fort (4).
Si le gâs est employé à l’eau bouillante, il faut prendre garde à main-
tenir le récipient bien clos.
La perle ayant appartenu à une veuve est la perle bleu foncé, unique,
enfilée d’une tourna noire, que la veuve porte en guise de collier. Le
coquillage appelé zaza est encore utilisé en sorcellerie pour les rbâl
(1) Ricinus commuais L. Variété à petites graines que les femmes mozabites et la sorcière arabe
distinguent du hcrwa‘, ricin.
(2) Cf. t. I, p. 202. Rappelons ici que gïs est une erreur, il faut prononcer gâs pour garder
l'assonance avec ras, t. I, Avant-propos, pp. xm-xiv.
(3) Pp. 201-202.
(4) Ces différences secondaires portent à croire que les pratiques varient un peu d une sorcière
à l'autre.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
101
d’homme ou de femme et pour rendre une femme stérile. La veuve
porte aussi quelquefois en collier dix centimètres de chaîne pendant
d’un brin de laine noire ; mais ce bijou n’a pas été mentionné en sorcel-
lerie.
Quant aux cheveux, rognures d’ongles, etc., c’est la personne qui
demande le charme qui doit les fournir. On emploie aussi les poils des
sourcils, ceux de l’intérieur du nez, et le cérumen.
Propriétés curatives de la cervelle humaine (1).
La cervelle humaine a d’excellentes propriétés curatives — on ne parle
pas des autres, qui innocentent moins l’usage. Un homme devenu fou
pour avoir mangé de la cervelle d’hyène a été guéri par l’ingestion de
cervelle humaine. Une femme d’El Goléa, après en avoir pris dans son
café sans s’en apercevoir, a été guérie d’une maladie durant depuis plu-
sieurs années.
Quant à la chair prélevée sur le cadavre d’un âhe, elle servirait de
remède à la syphilis (2).
Formule d'un tnakir (3).
La formule du tnâklr semant la discorde est grandement incomplète.
11 serait dommage d’oublier :
sept cafards, hanfüsât ;
sept souris ;
le noir de fumée de sept poêles (et non de sept marmites) ;
sept dents de carde;
49 grains, pris sept par sept, dans sept moulins habousés ;
de la graisse de porc ;
des crottes de poule noire ;
(1) P. 204.
(2) Bizarre ; le fait n’a jamais été signalé par les femmes énumérant les remèdes. La sorcière
cherche probablement à jeter un voile sur ses préparations les moins hygiéniques.
(3) Pp. 206-206.
la vie féminine au mzab
102
de la poussière d’un tombeau oublié ;
des débris d’acier provenant de chez le bijoutier (1) ;
un morceau de lézard, Los (ai\), tajerdeddimt (moz.);
de la poussière provenant de la fabrication des poteries ;
un morceau de peau de la gerba, senna ;
du sulfate de cuivre, z-zenjâr l-ahder.
Ce tnâklr s’emploie soit jeté sous la porte des personnes à désunir,
soit brûlé dans le feu de leur foyer, soit délayé dans l’eau que boiront
l’homme et la femme.
L’incantation précédemment donnée s’applique à toute désunion,
aussi bien d’un ménage que de parents et d’amis ; mais quand il s’agit de
séparer un homme et une femme, on dit plutôt : Lu ht en-nâr ul-mesmàr
uz-zen/ar u muhh el-fâr. ttlr Ladwci mn ed-dâr flâna bent flâna : «J’ai jeté
le feu, le clou, le vert-de-gris et la cervelle de la souris. Que s’envole
l’ennemie de la maison, Une Telle fille d’une Telle
Les voleurs ne sont pas les seuls à utiliser les vertus soporifiques de
la fumigation à l’ossement humain : les femmes qui veulent sortir la
nuit endorment ainsi leur mari. Son sommeil ne cessera pas avant le
retour ; tout dort dans la maison, jusqu’au chien.
Pour qu’une personne perde confiance en une autre, on fait boire à la
première du sable grillé recueilli dans la trace de la seconde.
Envoûtements (2).
La tamrlda de la grenouille peut être pratiquée soit en gavant l’ani-
mal, soit en lui ouvrant le ventre, ce qui n’amène pas la mort immé-
diate.
Selon ce dernier procédé, la grenouille n’est pas mise dans l’eau. On
introduit dans le ventre ouvert l’amulette, les démêlures et fragments de
vêtements de la personne à ensorceler, un ver de terre vivant, puis on
referme. De temps à autre, on verse un peu d’eau dans la bouche de la
(1) Qui emploie l’acier en fraude, pour le mélanger à l’argent.
(2) Pp. 209-212.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
503
grenouille pour rafraîchir le ver, qui s’agite. L’envoûté sent alors dans
tout son corps une agitation semblable. Il meurt en même temps que le
ver, mais guérit si celui-ci est retiré vivant du ventre de la grenouille ;
quelquefois l’ennemi prend cette mesure de clémence.
Cet envoûtement est une vengeance fréquente, qui fait suite aux
disputes, aux procès perdus, etc... Le prix de l’opération est cinq cents
francs ; certains sorciers acceptent de faire la chose au rabais, pour une
centaine de francs parfois ; mais ils omettent l’indispensable et la per-
sonne ne meurt pas, elle est seulement malade.
La tamrïcla de l’omoplate emploie l’omoplate gauche du cadavre
d’une négresse, ou le cubitus gauche d’un nègre si l’on ensorcelle un
homme. Le tàleb écriL sur cet os une formule que les femmes ne savent
pas (?). Au gré de la rancune, on prolonge plus ou moins la maladie.
C’est évidemment l’envoûtement qui permet le mieux de doser à volonté
les souffrances du patient. En tenant l’omoplate et les ingrédients à feu
ardent nuit et jour, on peut faire mourir le malade en sept jours. Il
mourra après une longue fièvre si on laisse baisser ou éteindre le feu
pour le raviver ensuite. La maladie ne sera pas mortelle si l’on retire à
temps l’ossemeut du feu. En ce cas, on le lave pour effacer l’inscription
du tàleb ; vengeance et fièvre prennent fin.
Le « tuyau » ou cubitus, ja'ha, n’est évidé pour recevoir des ingré-
dients que dans les rbüt d’homme. Dans les rbât de fille, on met la prépa-
ration dans le sabot d’une mule ou des tendons d’autruche ; on fend le
tendon et on introduit le mélange à l’intérieur. El-jerrdya , l’endroit
de la route où l’automobile « court », jouit des mêmes propriétés : si le
petit paquet a été posé là, jamais la jeune fille ne sera demandée en ma-
riage.
Au contraire, la corne de chèvre est bien employée dans les tamrîdât.
C’est elle que l’on glisse dans le tombeau oublié. La personne qu’elle
représente sera dès lors faible, sans appétit, maladive, et mourra quand
la corne sera effritée. Il faut une corne de chèvre noire, contenant, en
plus des matières habituelles, un chiffon noir.
104
LA ME FÉMININE AU MZAB
La descente de la lune (1).
On dit: « faire descendre le croissant », helâl, bien que l’opération
soit réservée au quatorzième jour du mois lunaire, donc au temps de la
pleine lune.
Ce jour-là la sorcière ne mange ni sel ni dattes, mais il n’y aurait pas
d’inconvénient à ce qu’elle mangeât de ces dernières dans les jours pré-
cédents.
Les préparatifs immédiats ne doivent pas être faits dans la lumière
du soleil ni de la lune. On couvre donc l’ouverture de 1 ’ust ed-dâr avec
des sac u pendant toute cette période.
La sorcière fait les grandes ablutions à l’eau et mû tsemmîs, « elle ne
dit pas Bismillâh ». Elle s’habille d’une melahfa blanche, sans ceinture.
Elle tresse la moitié gauche de ses cheveux, laissant l’autre moitié
dénouée, se passe du kohl à l’œil droit, du meswâk sur la moitié gauche
des dents, applique le henné à la main droite et au pied gauche. On peut
commencer par la droite, pourvu que l’alternance soit conservée.
Autour de la pièce elle dispose sept lampes à huile, contenant de
l’huile ordinaire mêlée d’ingrédients magiques, sept tessons de poterie,
sgüf(2) recueillis sur les tombeaux, chacun avec une braise et des ingré-
dients posés à la surface ; ingrédients qui viennent du mélange omnibus
réuni en ramadan. Puis elle place le peigne à carder, inset, sur les
marches de l’escalier qui accède à la terrasse (3). C’est alors qu’elle
invoque les jnün, le soleil et les étoiles. La sorcière confirme que c’est
bien le soleil lui-même, qu’elle invoque et non pas les jnün qui le gou-
vernent, car il aide en agissant sur l’esprit de la personne. De même,
elle s’adresse bien directement aux étoiles, qui aident en empêchant le
repos. Lorsqu’on les voit scintiller très fortement, c’est que quelque
magicien pratique des sorcelleries : sa victime sera fascinée par les
(1) Pp. 213^217.
(2) Même sens à Tlemcen, cf. W. Mahçais, Le dialec'e arahe parlé à Tlemcen, p. 310, sous sqof.
(3) Cf. t. I, p, 213. On assigne aussi au mset un coin d'une petite chambre, ou la tçrrasse
elle-même. Il semble qu’il y ait là un certain lloltemont, peut-être des habitudes différentes.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
105
étoiles et ne pourra pas dormir avant de les avoir toutes comptées et
d’avoir versé autant de larmes qu’il y a d’étoiles.
Le soleil peut être invoqué aussi par la formule suivante :
O soleil , ô petit soleil!
Au nom de mon Créateur , tu montes à l’est
Et le soir tu te couches à l'ouest ,
Suspends-nous dans le cœur d’Un Tel.
Je t’en conjure au nom de Sldi Blâl (1)
Qui t’a fait monter au sommet de la montagne (2).
Comme tu as suspendu les poumons entre les côtes courbes ,
Imprime en lui mon image ,
Lie-le à moi, qu’il n'ait de considération que pour moi (3) /
L’invocation aux étoiles précédemment citée serait incomplète ; voici
le texte entier :
O étoiles! ô étoiles! ô étoiles!
Toutes vous êtes réunies dans le ciel,
Et moi je suis étrangère en ce monde.
Qu’est-ce qui me ferait dormir parmi vous (4) ?
Il pleurera des larmes ( aussi nombreuses) que vous.
Parmi vous sont Jésus, Moïse et notre seigneur Mohammed.
Je vous conjure, et entre nous et vous,
Notre seigneur Scdomon, notre maître, à vous grandes, et petites (5)
Ceci dit, la sorcière enfourche le roseau du métier, et chevauche
jusqu’à la terrasse, redescend dans Vust ed-dâr qu’elle parcourt en tous
sens. Elle siffle, et récite une formule exprimant son attente : le siffle-
(1) Sidi Blal, dit-on, n’a pas de rôle en sorcellerie. Il est nommé ici et quelquefois dans l'incan-
tation du plomb fondu, sans doute en tant que personnage important.
(2) Ceci serait une allusion à la montagne, ou mieux au rocher but du pèlerinage des nègres
de Ghardaïa, où leur tradition situe l’appel à la prière lancé par Sldi Blàl (Cf. supra, p. 45).
(3) Cf. Appendice, texte IV, p. 143.
(4) Ici, ce texte « entier» semble manquer de liaison avec la suite.
(5) Cf. Appendice, texte V, p. 144.
106 LA VIE FÉMININE AU MZAB
ment tournera la tête du personnage. Non seulement elle appelle les
jnün par le sifflement dont l’effet habituel est de les réunir, mais elle
s’adresse à eux : Jnün l-fejri jïbüh fi hejri, « Jnün de l’aurore, amenez-le
dans mon giron. »
Pendant ce temps le mset vient se coigner contre la gç‘a — mais il n’y
pénétrerait pas — ; de l’égout sort un poussin, flilsa, qui n’est autre que
l’une des jeunes filles du milieu de la maison », jinniyüt de l’égout. Et
la lune devient « fine comme une mèche de bougie », se désagrège, et
tombe dans l’eau où elle fait « le bruit du chameau qui grogne ». L’eau
écume, et cette écume, zbüd, se vend beaucoup plus cher que l’eau : une
petite parcelle suffit à amener un résultat. La femme qui en fait manger
à son mari sera dès lors « suspendue dans son cœur comme la lune dans
le ciel ».
Mais l’eau du lavage de la lune est encore très précieuse.
Préservatif contre les effets des éclipses (1).
Lors des éclipses, tous ceux qui voient « diminuer le croissant de
lune » se mettent à frapper sur du fer. Le fer ne s’accorde pas avec les
sorcelleries, et l’on croit que l’éclipse de lune est l’œuvre des sorciers.
Résultats des sorcelleries (2).
Les indigènes affirment qu’il y en a fréquemment ; il semble bien, en
effet, que s’il n’y avait jamais de réussite, le métier tomberait, en discrédit.
Dans nombre d’histoires, le manque de précision ne permet pas le con-
trôle. Quand on raconte que telle femme a chez elle seize assiettes
couvertes d’amulettes, qu’elle en lave une de temps à autre et fait boire
l’eau à son mari qui ne cesse pas d’être fou d’elle grâce à ce renouveau
magique, il est permis de ne pas prêter grande attention.
D’autres faits sont plus étranges, comme celui d’un homme qui n’avait
jamais aimé sa femme et l’a répudiée. Elle habite chez elle, et lui, sans
(1) P. 217.
(2) P. 218.
LA VIE FÉMININE AU MZAB 107
la reprendre, vient très souvent s’asseoir devant le seuil et répète douce-
ment, humblement: « Je t’en prie, permets-moi d’entrer... » Elle refuse
invariablement, se jouant de sa posture humiliée • — et il revient toujours,
comme amené par une force étrangère.
D’autres encore sont vraiment troublants. Nous ne pouvons relater
que l’un d’eux. Une femme de Laghouat était répudiée (1). Sans s’inquiéter,
elle prévient qu’elle laisse ses objets personnels chez son mari, car il
viendra la reprendre le lendemain.
Lui, enchanté du départ, se remarie le jour même avec une femme
qui était sa maîtresse depuis deux ans ; au vu et au su de tout le monde,
il l’aimait beaucoup plus que sa femme. La nuit même, il est pris de
sensations étranges, ne cesse de pleurer au souvenir de l’absente, se
sent la poitrine comme pleine de feu. Il dit à la nouvelle mariée : « Je ne
sais pas ce que j’ai, on dirait que toutes les cloches des Pères sont dans
ma tête. » Elle qui l’aimait vraiment lui répond : « Tu es ensorcelé ;
répudie-moi, je ne veux pas que tu deviennes fou ! »
Bref, dans la matinée selon un récit, deux jours après selon un autre,
il répudie sa nouvelle femme et n’y tenant plus, prend l’auto de Laghouat
pour ramener la première.
Il nous a été impossible de savoir quelle sorcellerie avait joué dans
ce cas, et quels ingrédients avaient été employés.
(1) Sans doute pas de répudiation triple et définitive, sans quoi il aurait fallu qu’elle se rema-
riât avec un autre avant de pouvoir être reprise par son premier mari. Ou bien le départ pour
Laghouat n’a pas été suivi immédiatement de la reprise.
IX
RELIGION (1)
Hiérarchie (2).
Il n’est pas exact que toutes les laveuses soient égales théoriquement.
L’une est bien officiellement supérieure des autres, et généralement elle
a une assistante. Celle-ci est désignée par cette fonction de confiance
pour une succession probable. La supérieure reste en charge jusqu’à sa
mort; un abaissement de ses facultés ne semble pas avoir été envisagé;
en ce cas d’ailleurs, l’assistante la suppléerait.
Celle deMamma Slimân est la sœur du cadi Dawud mort assassiné (3).
Mamma Slimân ne lirait pas les grands traités (fi).
Nous n’avons pas trouvé de renseignements sur la bibliothèque de
Mamma Slimân. Il est certain cependant qu’elle a quelques livres.
D’après un tàleb, pas plus qu’aucune femme elle ne lit les longs traités et
recueils, tels que le Nil, les Qawâdd (5), les Qanütir (6). Cela explique
qu’elle ne puisse statuer sur les pénitences à faire (7).
(1) Cf. ch. ï et ii.
(2) P. 221.
(3) Cf. suj.ra, p. 3.
(4) P. 227.
(B) Kilâb el-Qawâ‘id , Des règles fondamentales, par Isma/il ben Musa el-Djeitalï, dit Motylinsxi, Les
livrés de la secte abadhite, p. 13, et Djebel Nefousa, p. 94-95, note 3. Cité parmi les ouvrages des
Abàdites du Djebel Nefousa. Autographié au Caire, impr. El-Barüniya, accompagné du com-
mentaire d’El-Kosbi.
{6} Du même auteur, autographié à la même imprimerie. « C’est une sorte d’encyclopédie reli-
gieuse et morale qui, à peu près seule parmi les nombreux ouvrages de la secte abadhite, a une
forme quelque peu littéraire, en raison des anecdotes, proverbes et citations diverses qu’elle ren-
ferme. »> (Motylinski, Djebel Nefousa, p. 93, en note.)
(7) Cf. t. I, p. 235.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
109
Assistance aux pauvres (1).
La tribu doit l’assistance à tous ses pauvres, de bonne ou mauvaise
conduite. Mais elle est libre de le faire comme elle l’entend et ceux qui
ont eu une mauvaise conduite notoire sont beaucoup moins secourus
que les autres ; ils restent presque abandonnés. Quant à la charité pri-
vée, elle est libre de s’adresser à qui elle veut.
Les aumônes légales, telles que la zekât et V l asür, ne sont pas données
aux pauvres directement, mais à des gens « pieux et instruits », comme
Mamma Slimân et les tolba.
Nouveau cas d'annulation de la prière (2).
L’essence est-elle pure ou impure ? Mamma Slimân a tranché en
faveur de la seconde opinion, et a ordonné de recommencer la prière faite
avec un vêtement légèrement taché d’essence.
Ramadan (3).
Les ablutions du dernier soir de Sa‘bàn sont considérées comme essen-
tielles : « Si on ne les avait pas faites, ce ne serait pas la peine de jeû-
ner ! » Et ce soir-là on tnange un couscous a dont on se souvient ». Puis
un coup de fusil annonce l’ouverture de Ramadan.
La nuit du 27, où l’on commémore la première révélation de l’ange
Gabriel à Mohammed, tout le monde doit manger de la viande, même les
pauvres. Les enfants de quatre à cinq ans chantent la veille au soir :
Llla lila kblra
Lltandu tefla çgîra
Ydbahha ll'asà.
i Nuit, grande nuit! que celui qui a une petite fille 1 égorge pour son
(1) P. 239.
(2) P. 240.
(3) P. 244
LA VIE FÉBfUJîJPTE AU MZAg
HO
souper ! » C’est-à-dire : que celui qui est trop pauvre pour acheter de la
viande égorge sa petite fille plutôt que de s’en passer !
On mange du couscous, des cacahuètes, on boit du thé jusqu’au
matin. Les laveuses offrent pour elles toutes une gç l a de couscous à la
mosquée. On ne le fait plus cuire chez Marama Slimân comme autrefois
bien que les femmes continuent à se réunir chez elle pour cette nuit. Les
tolba envoient des hommes chercher la gç‘a, les laveuses n’ont pas à se
préoccuper de la faire parvenir.
Depuis le débutdeRamadàn les /hu/unauvaisétaientenchainés, les bons
ayant été chargés de les saisir, de leur passer les fers, f arahât (1), aux
mains et aux pieds, afin qu’ils n’empêchent pas les fidèles de prier. Cette
nuit ils sont lâchés, et garderont leur liberté toute la journée du 27. Pour
revenir parmi les hommes, ils sortent... de dessous la queue des chèvres.
Aussi sont-elles accueillies avec les souhaits de bienvenue les pins res-
pectueux, à leur rentrée du pâturage. On s’empresse de faire brûler sons
leur queue du bkür el-miski, parfum au musc, que les femmes ont pré-
paré à l’heure de la gâïla (2).
En cette nuit solennelle, on voit le ciel s’ouvrir. Certains prétendent
que l’on peut voir jouer les chevaux du paradis, d’autres que tout souhait
fait à eet instant est immédiatement exaucé. Charge à l’appui : une
feinme avait passé sa tête dans une petite fenêtre pour regarder le ciel au
bon moment. Elle se promettait de demander une chevelure aussi abon-
dante qu’une crinière de cheval. La voilà qui se trompe et qui dit « tête »
pour « crinière » ... ô imprudence! immédiatement elle fut dotée d’une
tête de cheval qui ne put jamais rentrer par la minuscule fenêtre. La pau-
vre femme mourut sans avoir pu la retirer...
Le lendemain, jour du 27, est grand jeûne, les enfants de sept à
dix ans, eux-mêmes, jeûnent jusqu’à midi.
L’‘za! eç çglr impose aux Mozabites deux aumônes. La fitra, aumône
(1) Beadssier donne: ferrure, fers d’un cheval {p. 393),
(2) Au Maroc, on se contente d’encenser leurs lieux de prédilection avec sept parfums, auxquels
on ajoute de lu gomme ammoniaque qui délie les chaînes. Car un croit les jnün prisonniers sous
terre jusqu’au 27. (Legey, Folklore , pp. 15-17.)
LA VIE FÉMININE AU MZAP Ui
c!e rupture du jeûne, donnée aux pauvres, leur est commune avec tous
les musulmans. Mais ils doivent encore une sorte de redevance envoyée
aux tolba et à Mamma Slimàn. Ce sont des dattes et du blé (1) offerts en
expiation des repas trop plantureux faits cependant aux heures per-
mises. L’offrande peut être remplacée par un certain nombre de jours de
jeûne supplémentaire.
Ici encore, le ramadan mozabite fait songer au carême chrétien, car le
caractère pénitentiel gardé aux repas nocturnes n’est pas un usage musul-
man. Il est à remarquer que les abstentions du mois de ramadan ne sont
pas une innovation de Mamma Slimàn ni de clin es-salâm. Au contraire, au
temps de Mamma bel Hâjj et de Menna Na‘mara, elles existaient, et étaient
même observées plus rigoureusement qu’aujourd’hui (2). Car on se lasse
maintenant de toutes les contraintes et on n’écoute plus Mamma Sliman.
Le mari et le père, d’accord, décident du temps que la jeune femme
passera chez ses parents. Mais une enfant qui commence à peine à prier,
et en règle générale toute jeune mariée de l’année, devra passer le mois
tout entier hors de la demeure de son mari. Mamma Slimàn y tient beau-
coup affirmant que s’ils restent ensemble, ils rempliront mal les devoirs
du jeûne et l’abstention imposée aux époux. Car le mari ne doit pas s’ap-
procher de sa femme, même la nuit, si elle est toute jeune ; au contraire,
cela lui est permis si elle est plus âgée, il n'y a donc plus de raison de
l’envoyer chez ses parents. Autrefois, sur ce point, on jugeait et on agis-
sait comme aujourd’hui.
Dans le courant du mois, la jeune mariée revient chez elle pour les
fêtes du 9, du 15 et du 27. Le mari qui ne tient plus d’impatience à être
si longtemps sans la voir va frapper la nuit chez les beaux-parents. Ils
(1) 2 litres de chaque; mais est-ce par personne ou par famille? Par famille probablement,
comme la fitra qui est donnée par le chef de famille. D’après Khalxl, la filra « doit se composer
des nourritures le plus habituellement en usage chez celui qui donne [et surtout de celles dont il
se sustentait généralement pendant le mois de jeûne] ». ( Précis de jurisprudence, trad. Perron, t. 1,
p. 451). « Il est de convenance de remettre les aumônes du (itr entre les mains de l'imam, lorsqu'il
est homme probe et consciencieux. [Ensuite celui-ci les distribue aux pauvres et aux indigents] »
( Id ., pp. 454-455).
(2) L'interdiction des mariages en ramadan se retrouve à Marrakech ; mais il en est de même
pendant le mois & u âsüra et les sept jours entre le 24 février et le 4 mars, (Legeï, fiQlklçrç, p, J.38-
139.) Au Mzab, on commence à se marier en ramadan.
112 LA VIE FÉMININE AU MZAB
ouvrent, en se gardant bien des regards des voisins, car cette démarche
est blâmée.
Dans la nuit du 29, quand on commence à voir le croissant nouveau, la
jeune femme revient pour quelques heures. Si son mari désire par trop
l’avoir chez lui pour la fête, on tolère qu’elle reste définitivement. Sinon,
elle doit repartir encore pour un jour et ne rentrer que dans la nuit qui
suit \' l 2 3 id eç-çglr.
Elle revient en grande toilette, accompagnée de sa mère, la négresse
portant un grand plat de couscous. Tout de suite, sur la bàgiya débar-
rassée du couscous, le mari fait déposer de la viande et du blé que la
négresse emporte : c’est un cadeau pour sa belle-mère. A sa femme, il
donne des vêtements ou de l’argent ; plutôt de l’argent, de un à dix dou-
ros, suivant la fortune et l’affection, tandis que son père donne le vête-
ment et sa mère les sucreries, des cacahuètes, de petits cierges. Mais que
va-t-il advenir de ces coutumes après les interdictions de 1927 (1) ?
Le jeûne de ramadan doit être strictement gardé. Un homme qui l’a
violé un seul jour doit jeûner trois mois (2) et nourrir soixante pauvres.
La femme remplace plus tard les quelques jours de jeûne omis lors de
son indisposition périodique.
Pèlerinages superstitieux (3).
Le Mzab ne rend jamais de culte aux tombes des femmes. Il peut faire
à certaines l’honneur d’une qubba ; ce fut le cas pour une femme morte
il y a quelques années sans avoir jamais voulu renoncer au çbahkum
ancien et adopter la salutation de din es-salüm. On aurait vu sur sa tombe
le signe de la sainteté : une lumière autre que le feu follet, tazlCdagt. Mais
aucun ma l rüf , aucun pèlerinage ne s’organise à une tombe féminine.
Outre son origine légendaire, on verra que celui de la tawlawalt est du
genre superstitieux.
Les ma'rüf en l’honneur des cheikhs se font soit à la suite d’une pro-
(1) Sur la suppression des cadeaux en ramadan, et. ch. pp. 24-26.
(2) Deux mois partout ailleurs, d’accord avec Khalil.
(3) Pp. 24-26.
I . \ VII'I l'I’MIN I !•: Ml \UAR
11 ?!
messe, comme on met nu ex-voto dans les r liapel les de chez nous, soit
par obéissance a la coutume Ainsi ne se passe-i-il pus d’année ou l’on
n’offre, une chamelle en niant/ a la lju.liba de Sidi BQ Oedma.
Un autre a un lorl pari uni de paganisme. Il esl, offert sur le barrage de
l’oued, en amont de ( lliardaïa. En l'honneur de qui De la rivière, est-on
tenté de. répondre. ()n ne sait quand, un marabout dont on a oublié le
nom a dit que la rivière casserait le barrage si on Lissail passer une
année, sans offrir la un inii'-ruj (1). En effet, uni' sorte de nielle est ména-
gée dans le barrage, on y fait brûler do l’huile et des taches de sang sont
visibles.
Il ri certain nombre de pratiques sont placées sous la sauvegarde de
quoique pieux person nage, réel ou imaginaire,, afin de faire figure de
pèlerinage. Mais cela n’arrive pas à innoeenlcr le, mélangé puéril et par-
fois malpropre des remèdes de bonne femme avec les rabâchages do la
magie sympathique. Mamma Sliniari sévit île toutes ses forces contre ces
coutumes, mais les femmes dissimulent et ne sont qu’nppu comment sou-
mises sur ce point.
Elles vonl, par exemple, sur le. kéf, au petit trou de rocher « habité d
par Dalla Tugrilt. On jette de la menthe dans le trou, et on verse de l’eau,
beaucoup d’eau. Fuis on offre un beau » ma' ru/, de melon, de ca-
cahuètes, de n/ag/.uga on toute autre, Iriaudise choisie. Et enfin, on con-
sulte les augures du lieu, iiti.ru //// t.-gu.na .‘la jeune fille ou la veuve inté-
ressée se met la bouche toute contre le trou et demande un mari. Dans le
cas oit elle vise un homme déjà marié qui aurait à divorcer préalablement
elle ajoute :
b'raseh i vu llu tta'dnn
‘Af.iefy wutla t/acuc
Amut/ii pnvah!
One ton Ut # ihaiige ru epiues ,
Que ton couscous sc change en gravier ,
Viens, viens!
(1} AMours les mu'ruf sont Mlnrl.s pour obl.onir .soit une I uni Midi on divino di roulement, soit
lu proli*rticM d’nu suint (rf. fc. I p | ». IdO i;L ‘21 T», olM. M emuer, Civilisation urhainr, pp. 90-100).
8
LA VIE FÉMININE AU MZAB
\U
Si Lalla Tugrift lui envoie alors un petit lézard, sûrement elle se
mariera. Mais s’il sort un cafard, tout espoir est perdu. G’est toujours
une question de mariage qui gît au fond de ces histoires.
Cheikh Sidi ‘Isa, sur le kôf de Mélika, offre le pendant de LallaTugrift:
une pierre creuse comme une mdagga. Arrivée sur le rocher, la femme
coupe en quatre une maglüga — les deux coupures formant une croix —
et elle jette un morceau par-dessus son épaule droite, un par-dessus
l’épaule gauche, le troisième comme le premier et le quatrième comme
le second. Elle verse ensuite du lait qu’elle a apporté dans la mdagga du
Cheikh, et tourne avec une pierre allongée figurant le broyeur, en disant :
Rebbi lienïn ferj grlb,
Sa'clï fi fiejrl grlb.
Dieu clément , la délivrance du mal est proche ,
Mon bonheur dans mon giron est proche.
Dès lors les saints protecteurs, ulictn, sont près d’elle, elle peut crier
dans le lait :
Ya sa'di wa rezql hê — /
Arwah, arwah
Frâskem fres ul- l ais meta ‘ l-gç‘a
U ya claw ‘ aïnlya
Arwah meçbah yâ dawl !
O mon bonheur et mon partage , hê — !
Viens , viens !
Votre lit est prêt et le couscous de la gç'a !
O lumière de mes yeux,
Viens, flambeau, ô ma lumière !
Après cette invocation, si un oiseau vient boire du lait, certainement
cette femme se mariera. S’il n’en vient pas, l’espérance n’est pas défen-
LA VIE FÉMININE AU MZAB H 5
due, mais rien n’est sûr. Cheikh Sïdi ‘Isa se montre donc moins dur que
Lella Tugrift...
Après avoir bu trois gorgées de lait, l’intéressée s’en va en priant Dieu
de la marier.
Au puits de el-Heheri, les cérémonies sont déjà moins simples. On y
vénère un wàli qui habite à l’intérieur et que l’on entend tapoter les pa-
rois. Lorsqu’une femme vient l’invoquer, le journalier qui puise doit
s’arrêter et laisser reposer l’eau. La cliente du saint jette dans le puits
une saucisse, kurdâsa (i), de la menthe et de la dslsa. Un moment après,
« elle prie Dieu de voir », et se penche : elle voit l’eau encore frisson-
nante, puis calme et enfin « dure comme une glace », alors parait une
main qui tape sur cette surface sans faire osciller les bords. C’est la main
du wâli, qui va essayer d’arranger le mariage en priant Dieu. Mais com-
ment savoir s’il sera exaucé ?
La femme se retire dans une cabane en terre proche du puits. Là, elle
se peigne (2) et fait une fumigation avec du parfum posé dans une écuelle,
gorfiya. On lui tire la bonne aventure avec le plomb fondu, idetbu l-hfîf .
Enfin elle sort, pose trois maglüga sur une pierre plate, màdün, qui se
trouve près du puits, à la croisée de deux ruelles. Cachée derrière l’angle
d’un des murs, elle guette le passant qui ramassera les galettes. Si c’est
une femme, elle ne dit mot, et ne fait que murmurer tout bas : Yâ Rebbl,
yà Rebbi , bien tristement, car la réponse attendue est négative. Si c’est
un homme, la prière est exaucée... joie, battement de mains, cris : « Je
me marierai, je me marierai ! ! »
Mais Mamma ‘Alï a un pèlerinage encore bien plus compliqué. A
l’avance, on se procure du henné et un parfum quelconque pour fumiga-
tion, devant être donnés par trois femmes portant le prénom de ‘Aïsa, un
œuf pondu le jeudi, puis du blé donné par trois, cinq, sept ou neuf
tribus. Il servira à faire du rfls.
(1) Nom d’unité ; kurdês est le collectif.
(2) D'autres disent qu’elle se peigne au-dessus du puits de manière à y faire tomber quelques
cheveux. Cette question des cheveux dans le puits le don d’éveiller les discussions les plus
animées (cf. t. I, p. 177). Faut-il conclure que la chose se fait et qu’on la nie ?
Hfi LA VIE FEMININE AU MZAB
La veille au soir on applique le henné à la veuve ou à la jeune fille à
marier. Avant l’aube, elle fait une pâte avec de la farine et de l’eau, cuit
une maglüga et, au lieu de la farcir et l’humecter de sauce, elle y glisse
des déchets de laine, des détritus ramassés dans la rue, etc... La déce-
vante galette est refermée et soigneusement dorée.
Maintenant, il faut faire une ablution spéciale. On s’est procuré de
l’eau d’un puits dont la jeune fille n’a jamais bu. Sur une balance, on fait
la tare d’un vase quelconque, md‘ün, et dans le plateau opposé au réci-
pient, on met un gros exemplaire du Coran entier. Jusqu’à égalité de
poids, on versera l’eau dans le mâ t ün. La jeune fille s’en lave tout en-
tière dans les lieux d’aisances. Puis elle va devant un métier où seul le fil
de chaîne, giyâm, est posé, et assez détendu pour que les fils puissent
s’écarter. Elle reste seule, se dévêt, et traverse sept fois le giyâm en re-
venant par le côté droit du métier (1). Ceci fait, elle se rhabille, met dans
son l abün la galette aux balayures èt une mesure, jniârti , de fèves. Elle
sort ; à quelque croisement de chemin elle laisse tomber ses provisions,
puis s’en va directement au rocher de Mamma 'Alï. A la main, elle tient un
ibriq plein d’eau — n’importe quelle eau — et doit le casser en chemin,
à un endroit où il y aura du monde pour la voir. Car la surprise des pas-
sants à ce moment dénouera, s’il y a lieu, le sortilège qui l’empêchait de
se marier, yihell er-rbât. Ainsi fera la déception, l’étonnement, de celui
qui trouvera et ouvrira la galette aux bourriers. Cela fait donc trois re-
mèdes directement contre le rbât employés par la jeune fille seule.
Mais les autres membres de la famille ne restent pas inactifs. Les fem-
mes qui font cortège portent un peigne neuf, un brin de laine verte neuf,
le parfum des trois ‘Aïsa, du tneswàk, du safran, d’autres parfums, un ksâ
rouge, l’œuf pondu le jeudi, le /fis fait avec le blé des tribus, et tout
ce qu’il faut pour le repas d’une mariée. Coiffure, ornementation, vête-
ment, menu, ttrnt simule les préparatifs du mariage.
Arrivées au trou du rocher nommé Mamma ‘Alï, les suivantes pei-
(1 ) A Takroûna. elle passe de dedans en dehors (c’ost-à-dire de la lace rapprochée du mur et
sur laquelle travaillent les tisseuses vers, la face qui regarde h-* centre delà chambre) de la chaîne
détendue, pour rompre le charme de la «ferrure » close dans son enfance par l'opération inverse.
(Cf. Ma.hça.is, Textes arabes dè Takroûna > p. 39.".)
LA VIE FEMININE AU MZAB
117
gnent la jeune fille avec le peigne neuf, jettent dans le trou les cheveux
arrachés et le vieux brin cle laine, attachant la to l ma neuve à la place.
Elles lui passent les dents au meswâk. Puis l’œuf pondu du jeudi est posé
sur le parfum allumé, la jeune fille se place au-dessus, debout, sa robe
formant cloche au-dessus de la fumée du parfum, jusqu’à ce que l’œuf
éclate. Alors seulement on lui fait les dessins au safran sur le front, on la
revêt du ksâ rouge et on la ramène chez elle sans qu’elle prononce une
parole.
Tandis que Mamma ‘Ali a un culte tout en action, la tawlawalt (1) est
invoquée par la parole autant que par le geste ; on lui demande le retour
du mari ou du fils absent aussi bien que la venue du fiancé.
Le pèlerinage se compose de trois visites à la qubba de la petite
Mvallya , faites dans Ja même journée et accompagnées chacune d’un
ma‘ rüf. Le matin, celui-ci se compose de hubza ; à raidi, d ezemmita ; le
soir, de dslsa (2).
La farine qui a servi a faire le pain (3) doit avoir été moulue à l’envers,
pendant que l’on répète :
H ait a fi/i l-umür
Qâleb l-umür
Ba l d l-umür
Qâleb l-umür.
Jusqu'en lui les choses
Toi qui changes les choses
Après les choses
Toi qui changes les choses.
Le matin, on part de bonne heure, afin d’être sur place quand le so-
leil commence à monter à l’horizon. Le long du chemin, la femme récite :
Sebhân qâleb el-qulüb wci qâleb el-qulüb wa qâleb el-qulüb wa qâleb
(!) Cf. la légende, supra, pp. 32-35.
(2) Variante : dst'sa le matin, rwina à midi, couscous te soir.
(31 La dsïsa dans le second récit.
118
LA VIE FÉMININE AU MZAB
qulüb ‘•ibadika min glri u çaldfti u walfi. « Louange (à toi) qui changes
les cœurs, qui changes les cœurs, qui changes les cœurs et qui
changes les cœurs de tes serviteurs sans moi, ni ma bonté, ni mon savoir-
faire. »
Elle continue ainsi jusqu’après son entrée dans la qubba. Là, est une
pierre plate qu’elle retourne trois fois, en disant : Glebt 1 adüya kima glebt
l-hubza fît-tâjin, « j’ai retourné mon ennemi comme j’ai retourné la ga-
lette de pain dans la poêle ». Car la pierre figure la galette. Ensuite, sur
une pierre plate, celle-ci ou une autre, on fait le geste de moudre: Nethan
‘ adüya kima nethan l-gmah, « je mouds mon ennemi comme je mouds le
blé ».
Elle revêt sa melahfa le haut en bas : Reddit bni llya kima reddit
ksâti byiddlya, « j’ai ramené (1) mon fils à moi (ou : mon mari) comme j’ai
ramené mon vêtement avec mes deux mains (2) ». La ceinture est sup-
primée. Alors son bras droit sur la qubba prise pour point d’appui comme
on ferait d’une colonne, elle tourne autour en courant, tgess, et achève
cette course par une culbute, tferkes : Derja ‘ ala derja la tglebnl hâïba yâ
sïdi, « degré par degré tu ne me rendras pas déçue, ô maître ! «
A l’extérieur de la qubba, elle offre le ma'rüf de hubza, puis prend le
chemin du retour en répétant :
Menhu bina Rebbi bih
Qt‘a blya aqta‘ bih
Rebbi hâsib u kafa
Nehh ksâtü u ta‘ rra
Hasbiyâ liait wa n‘am el-ukil
Gir anta yâ Rebbi l-wakil !
Ce qu’il nous a fait, Seigneur fais-le-lui.
Il s’est séparé de moi, sépare-toi de lui,
Seigneur, fais les comptes (3) et cela suffit ,
(]) Ou bien : « Tu as ramené » dans le sens de : « Ramène ».
(2) Supprimé quand on vient demander un fiancé.
(3) Ou bien : le Seigneur fait les comptes.
LA VIE FÉMININE AU MZAB
119
Enlève-lui son vêtement et il sera dépouillé.
Tu me suffis , 6 Dieu , et tu es le meilleur de ceux sur qui l’on compte.
Toi seul , o Seigneur, es l’appui.
En rentrant chez elle, la femme fait de la zemmîta, prie Dieu de nou-
veau et va distribuerce second ma'rüfve rs midi. On peutfaire les mêmes
cérémonies qu’au rocher de Mamma'Alï, ou porter simplement le repas
aux pauvres. Il semble que toutes les pratiques imaginables se donnent
rendez-vous à la qubba de la tawlawalt ; dans les autres récits, il y a une
certaine fixité, ici les épisodes se multiplient, chacune des conteuses a
quelque chose à ajouter, et signale encore que d’autres font davan-
tage.
Au pèlerinage du magreb, cependant, il n’est plus guère question que
du ma'-rüf ; la fatigue de la journée doit commencer à peser. Tout le
monde s’accorde à dire que, pour la dsisa ou le couscous, toujours la fa-
rine doit être moulue à l’envers. S’il s’agit d’une jeune fille à marier, ce
n’est pas elle qui moud, mais sa mère ou sa sœur.
Ces dernières ont encore un rôle dans ce qu’on pourrait appeler
Y extra du pèlerinage : les pratiques annexes accomplies sur la tombe du
Mozabite voisin d’éternité de la petite tawlawalt. La mère ou la sœur de
la j eune fille à marier s’emplit la bouche avec de l’eau avant de partir de
chez elle ; elle doit cracher cette eau seulement dans la petite qubba pla-
cée au-dessus de la tête du Mozabite. Elle supplie Dieu que le mari désiré
vienne comme cet homme et la roumiya sont venus du pays des Roumis.
Puis elle met son coude trois fois dans trois endroits différents de la
flaque boueuse. Enfin on suspend à la qubba deux saucisses, kurdes,
contenant chacune une corne de mouton et reliées par un fil ; on les
suspend par le milieu du fil en disant : 'Allaq qelb sa‘dt kima ‘ alleqt
l-kebda urriya, « Suspends le cœur de mon bonheur comme j’ai suspendu
le foie et le poumon. » Ces rites peuvent s’accomplir à l’une quelconque
des trois visites.
Après les prétendus pèlerinages, il y a les pratiques qui ne se récla-
ment d’aucun patron, et ne demandent pourtant l’intervention d’aucune
sorcière. Pour obtenir le retour du mari absent, on faille zra 1 meta 1 tiqe-
120
LA VIE FÉMININE AU MZAB
bllin ÿl), le grain des tribus ». De l’orgo donnée par douze tribus est
réunie dans un hornri entièrement noir, et l'on fait une bonne maglüga
à la farine de blé. Le soir, à l'heure où les chèvres reviennent du « pâtu-
rage •■, soit dans l’oued, soit dans la rue, on étend devant elles le homri ,
et toutes de se précipiter sur l’orge... pendant que le berger mord dans
la maglüga. L’emploi du voile noir suggérera à l'absent que le pays où il
se trouve est tout noir et triste ; le spleen le travaillera si bien qu’il va
bientôt décider de revenir au M/ab près de sa femme. Le don de la
maglüga est un bienfait qui incitera le berger reconnaissant à prier pour
le retour désiré. Mais comment explique-t-on le recours aux chèvres ?
C’est la coutume, es-sira.
Bref, avec ou sans pèlerinage, nous sommes là en plein domaine de
magie sympathique, mais cotte fois sans intervention malfaisante ni in-
cantations mystérieuses. La différence est. intéressante à noter puisque
les Mozabites se livrent sans intermédiaire à ce genre de pratiques et
réprouvent le reste. Ces promenades rituelles ne sont pas les seules, il y
en a, dit-on, encore un certain nombre, mais sans changements notables
dans les cérémonies.
Il importe de souligner l’absence d’égorgement de poules noires ou
autres, ce qui est la caractéristique des coutumes d’origine nègre. Les
noirs ont le monopole de l’opération et la chose reste rare. Tout animal
égorgé par les Mozabites est distribué aux pauvres — ajoutons que le
petit nombre des poules les fait conserver précieusement. Les pratiques
en faveur ne jouissent d’aucune tolérance de la part des laveuses, qui les
poursuivent au contraire avec ténacité, comme les autres coutumes ber-
bères disparues au cours des cinquante dernières années. Enfin, elles
restent réservées à des journées exceptionnelles, et ne pénètrent pas in-
timement la vio des femmes comme il arrive en tant de pays d’Islam.
(1) Formo berbérisée tic <nibàtl
X
VIEILLESSE ET MORT
Vieillesse (1).
Le sort des femmes âgées est assez différent selon le passé fami-
lial. Elles sont toujours recueillies par quelque descendant, mais les
mêmes sentiments ne les entourent pas toujours. Lorsque plusieurs répu-
diations ont disloqué la famille, chaque groupe d’enfants honore sa
mère, sans doute, mais leur affection, leurs intérêts, leurs pensées sont
plus partagés, et la vie de la pauvre femme s’en ressent.
Rares sont les mariages uniques, cependant on en cite quelques-uns
et l’on remarque quelle heureuse vieillesse ils procurent. Une femme
charmante, restée veuve après quarante-cinq ans de mariage, est comblée
d’attentions par les enfants restés au Mzab et de cadeaux par ceux qui
sont dans le Nord. Ils lui écrivent de ne pas se fatiguer, de laisser péri-
cliter les jardins plutôt que de se priver, etc...
Dans une autre maison, où habitait une aïeule de grand âge, on trouve
un jour les femmes de la famille devant un énorme tas de laine, d’un
quintal environ. Les filles, petites-filles, nièces, toutes sont là. Pour une
fête? Non, pour confectionner un matelas à leur « mère ». « Elle a tou-
jours été bonne pour nous, nous lui rendons ce qu’elle a fait. Très pro-
bablement chacune avait mis du sien dans l’achat de la laine.
Un tel trait révèle non seulement de la reconnaissance, mais le sen-
timent d’un fort lien familial.
(1) P. 250.
122
LA VIE FÉMININE AU MZAB
Testament ( 1 ).
Le premier testament se fait quand la jeune fille commence à prier,
si elle n’est pas déjà mariée. Dans le cas contraire, plus fréquent, elle
doit le faire avant la naissance de son premier enfant.
Si le testament précède le mariage, c’est le père qui demande aux
tolba de venir l’écrire ; ils viennent deux ou trois ensemble ; l’un tient la
plume et les deux autres, ou l’autre et un membre de la famille, servent
de témoins. Chacun reçoit quatre, cinq ou dix francs pour ses honoraires.
On refait ce testament quand la situation de fortune change, soit par
perte, soit par gain notables.
C’est là que sont prévus les prix du linceul, des ma'rüf, etc... Il est
assez étrange que le sentiment de la solidarité familiale s’arrête au lit de
mort : si le mort n’a pas prescrit lui-même ces œuvres de dévotion, et
prélevé sur sa succession les sommes nécessaires à leur accomplisse-
ment, les siens ne sont pas tenus d’y pourvoir. Ils sont tenus de lui assu-
rer des funérailles rituelles convenables, oui, mais il semble bien qu’en
cela même on se retranche derrière le devoir de chacun d’y avoir pourvu
d’avance. Sinon, comme témoignage d’une extrême et rare affection, une
famille même riche, ne fera pas à l’un des siens l’aumône d’une nuit de
récitation coranique sur sa tombe... Les enfants, seulement, le font assez
souvent pour leur père. Mais aucun blâme ne s’attacherait à leur abs-
tention.
Si quelqu’un vient à mourir dans l’extrême pauvreté, ceux de sa
fraction, a l sîra, et parfois des voisins qui désirent faire une bonne œuvre,
se cotisent pour les différentes cérémonies des funérailles. Ils donnent
une petite somme, un douro par exemple.
De très pauvres gens préfèrent souffrir de la faim plutôt que de ne
pas réserver quelque argent pour leur ensevelissement, ou tout au moins
un bijou qui sera vendu dans ce but. Gela peut devenir un sujet de dis-
pute dans le ménage, le mari voulant voir vendre le bijou pour en con-
vertir la valeur en pain et en couscous présentement mangé, tandis que
(1) P. 251.
LA VIE FÉMININE AU MZAB 123
la femme résiste, disant : « Et après ? ce n’est pas lui qui donnera pour
m’ensevelir ! »
A la mort d’une personne, tout, absolument tout ce qui lui apparte-
nait doit être vendu, et le montant de la vente versé à la succession, de
sorte qu’il ne peut être question de garder des souvenirs d’un mort.
Les vêtements eux-mêmes n’échappent pas, ni les ustensiles de cuisine,
ni les poules du poulailler. Dès que le corps est sorti, les tolba ou Vukll
vérifient et mettent sous clé jusqu’au partage. Luxe de précaution car
tout le monde sait ce que chacun possède, depuis l’or jusqu’au nombre
de gç‘a ; la réprobation s’attache à qui voudrait dissimuler, va jusqu’aux
quolibets, aux surnoms, etc...
Les testaments contiennent parfois des clauses d’une singulière pré-
cision, telles que celle-ci, très courante, en l’honneur du vendredi :
donner aux pauvres les dattes de tel palmier ou les raisins de telle vigne
tous les jeudis soir, lllat el-jumira... Il est de règle de laisser toujours
un legs aux personnes que l’on a pu peiner (1).
Ensevelissement (2).
Quand la malade entre en agonie, fel-mamât, on tient au-dessus
d’elle, comme voile léger, un pan de turban, lulifâya , que l’on laisse assez
éloigné du visage pour ne pas augmenter la gène de la respiration (3).
Trois ou quatre femmes restent auprès d’elle. Si elle est aimée de Dieu,
elle sait alors le moment auquel elle mourra; le sentant venir, elle
demande pardon de ses fautes, fait appeler ses enfants qui viennent
s’asseoir auprès du lit.
La femme qui tient la lahfdya encourage la mourante : Mâ thâfls,
Rebbl mllh, Rebbi wâhacl... « N’aie pas peur, le Seigneur est bon, le
Seigneur est un... » Et ce que sa piété lui suggère, mais en mots très
(1) Dans la région de Marrakech « à l’heure de la mort, si on est conscient, on doit pardonner
à ses ennemis tout le mal qu’ils vous ont fait et leur demander pardon du mal qu’on a fait soi-
même ». (Leget, Folklore, p. 163.) Cette coutume est inconnue à Fez.
(2) Pp 251*252.
(3) Au Maroc, cette coutume pour but de rendre la mort facile... »» L’àme ne voyant plus les
gens en pleurs, abandonne le corps sans souffrir ». {Legey, Folklore, p. 163.)
LA VIS FÉMININE AU MZAB
brefs. Les voisines et amies viennent pour revoir encore une foie celle
qui va les quitter.
Une légende se raconte sur la mort. Aussitôt que la vie s’est arrêtée,
l’âme sort. Si la morte était bonne et a bien vécu, l’esprit, rüh, s’échappe
par la narine droite, « comme une sauterelle verte (1) qui saute jusqu’au
premier ciel ». C’est-à-dire le ciel bleu que l’on voit. (Entre chacun des
sept cieux, ajenncc, pl. ijinnuvin (2) ou ijennuan (moz.), il y a la même
distance que de la terre au premier ciel.) Au contraire si elle était mau-
vaise, l’esprit sort par la narine gauche, < comme une sauterelle noire,
et saute en enfer ».
Aussitôt ce bond dans l’autre monde, qui fixe déjà son sort, l’âme
revient auprès du corps, mais pas dedans comme lorsqu’il était vivant.
Elle reste tout le jour de la mort et passe la nuit dans la tombe. Dieu
arrange les choses pour que l’âme ait toujours le temps de revenir avant
l’arrivée des laveuses ; au besoin, il envoie quelque incident pour les
retarder en route. C’est grâce à cette présence de l’âme, qui communique
encore un peu avec le corps, que les laveuses peuvent parfois savoir, en
regardant le visage, si l'âme est sauvée ou damnée. L’opinion courante
leur reconnaît ce don de discernement, mais on dit aussi que Dieu seul
peut savoir le sort de l’âme. Il permet quelquefois que le mueddin voie
en rêve le mort, qui lui dit : And, bel-lar , « Je suis dans le bien ». Songe
qui peut aussi survenir dans l’esprit des tolba endormis sur la tombe
où ils devaient prier. On vérifiera le présage en surveillant la tombe ; si
c’est un lieu sanctifié, une lumière y apparaîtra. Plus sensés, d’autres
disent qu’un excellent signe est l’acceptation de la mort par l’agonisant.
Lhamdullüh , b 'git nmüt, « Louange à Dieu, je vais mourir ! Voilà une
parole de prédestiné.
Un visage calme fait supposer que l’àme ne souffre pas. On raconte
que l’ange Gabriel vient auprès des bons pendant leur agonie, et, pour
(1) Sous la lorme d’une abeille, dit-on au Maroc (Legey, Folklore, p. 161) et un peu partout
dans les légendes des musulmans orthodoxes.
(2) ft. Basset donne le pluriel ijennôuan. (Zenalia du Mzab, p. 48, Paris, Leroux, 1892) ; Moty-
linski, idjenouen (Djebel Nefousa, p. 127), et Biarnvy, ijennuan , nnployé, scmble-L-il, dans la seule
expression « les sept cieux »; (Élude sur les dialectes... du fi if. p. 76.)
LA VIE FÉMININE AL MZAB
m
leur éviter dé souffrir au dernier moment, leur fait flairer une pomme :
l’âme s’échappe quand s’exhale cette respiration parfumée.
Aussitôt après la mort, une des femmes présentes, qu'elle soit voisine,
amie ou parente, étend et redresse les membre?, dispose soigneusement
les mains et les pieds, ferme la bouche et les yeux où l’on passe une
goutte d’eau ; mais elle ne touche pas aux cheveux. Un peu d’eau doit
enlever l’urine. On place alors la morte sur une couverture propre, et on
la recouvre d’un ksâ propre. Dès lors, nul ne peut l’embrasser ni lavoir,
excepté les laveuses.
Si la mort a lieu la nuit, et que l’on ne puisse donc emporter le corps
aussitôt, on lui met sur le ventre un tamis, siyür (ar.) bsyur (moz.), un
couteau et du sel. Sans cela, au retour de son âme, elle prendrait une
forme étrangère, visage humain à oreilles d’âne, etc. (1) et ferait con-
naître elle-même si elle est sauvée ou damnée. Les Mozahites semblent
avoir de la répugnance à donner cette explication, certaines la nient et
disent : le tamis est ainsi posé pour faire du poids (?) afin que le ventre
ne gonfle pas (2), le sel pour conserver ; le couteau ?On ne sait pas, c’est
une coutume, slra.
Les bijoux sont ôtés avec précaution par les femmes qui ferment les
yeux du cadavre. Pour sortir les bracelets, on évite de ployer la main, on
appuie le bijou sur une pierre et ou le fait éclater en frappant la partie
supérieure avec une autre pierre. Los helhal sont retirés doucement, on
ne les brise pas.
Dans un: boutique, on va acheter l’étoffe du linceul, sorte de toile de
coton appelée kittân (3), en petite largeur, qui suffit à former l’espèce
de sac où le corps sera enveloppé. L’étoffe doit avoir au moins neuf cou-
(1) Ct. t. I, p. 187.
(2) Khaxil recommande de posera quelque chose de pesant » dans ce but ; les commentateurs
expliquent : « une pierre, un sabre »... ( Précis de jurisprudence, trad. Perron, t. I, p. 295),
(8) On spécifie bien que kittân ne désigne pas la toile de fil — du moins actuellement. D’après
Beaussier, p. 680, ketlân signifie lin, toile de lin, toile en général. Dozy, II, 444, lin. Mais
Destaimo, donne coton en dialecte berbère, Diclionn. Beni Snous , p. 273, sous « pièce » avec le sens
de « pièce d'étoffe de colon «tandis que « le coton » se ditgien [id., p.79). Il n’y a pas de toile de
fil dans les boutiques mozabites. Le coton est préférable au lin pour les linceuls, « parce que le
Prophète fut enveloppé dans trois linceuls en coton » (Commentateurs de Khalil, Précis de juris-
prudence, trad. Perron, t. I, p. 297). Bokhaeu, p. 409, rapporte le fait.
LA VIE FÉMININE \l ! MZAB
126
dées, et davantage si le mort l’a fixé dans son testament. Les riches font
acheter plus qu’il ne faut, et rendent au besoin le reste au marchand.
Les pauvres mesurent avec un fil, pour prendre juste le nécessaire ; il
semble qu'il y ait pour eux une tolérance qui permette d’abaisser le
minimum de neuf coudées. Lorsque l’on veut rappeler quelqu’un à la
réalité et lui faire sentir la vanité des choses d’ici-bas, on lui dit : Terfed
gîr es-serb ul-kittcïn, i tu no porteras que les épines et la toile. » En
effet, nul parmi eux, n’emporte autre chose dans la tombe.
On prépare sur une tcbga tout ce qu’il faut pour l’ensevelissement :
argile, tüb (ar.) taberci (moz.) (1), laine, épines de palmier, parfum et
linceul, kiffan. Ainsi les laveuses auront tout sous la main.
Elles ne tardent pas à arriver, accompagnant Mamma Slimàn. Celle-ci
vient assez généralement, sauf au cas où la morte a mauvaise réputation,
ou en temps d’épidémie s’il y a trop de morts. Cependant elle ne lave que
dans les familles qu’elle aime particulièrement ; ailleurs elle se contente
d’assister.
Les cinq laveuses récitent la nlya Gsel el-meyyit et font l’ablution de
sable, limïm. Puis l une se met près de la tète de la morte, peigne
les cheveux et les pose en paquet à sa droite, donc à la gauche du corps.
Une autre se plaçant aux pieds, fait Vistinjâ. Elles regardent s’il n’y a
pas d’écoulement et vérifient, à l’aide de tampons de laine pour la bouche,
le nez et les yeux, à l’aide de morceaux de tüb pour les autres parties ;
on emploie sept, neuf ou onze fragments. La moindre trace d’humidité
fera supprimer le lavage, car l’eau augmenterait l’écoulement (2). On se
contente alors de bourrer de laine le nez, la bouche, toutes les ouvertures
du corps (3); maintenant on tend à employer l'ouate hydrophile.
S’il n’y a pas trace d’écoulement, on place le corps sur la planche appe-
lée magsel ; il va être lavé dans la tizfrit , derrière un rideau (4) ou dans
(1) Tüb est un terme générique ; l’argile nommée tiigeUis, dont on fait les galettes appelées
ticellatiriy est une espèce cle tüb.
(2) C’est, dit-on, la seule raison, ce qui annule celle donnée t 1. p. 221-222.
(3) Se fait pour tous les morts chez les Bédouins d’Vrabio, pour conserver lo corps pur, disent
les uns, pour empêcher les jnun de s’en emparer, disent les autres. (Jalssen, Coutumes des Arabes,
p. 97.) Le coton aromatisé doit être appliqué, mais non introduit, dit Iyhalil, Précis de jurispru*
dence, trad. Perron, t. I, p. 300.
(4) Les morts de l’oasis ne sont pas lavés chez eux, maïs dans le looal réservé à cet usage
I . \ VIE FÉMININE AU MZAB
127
l’une des petites chambres noires où l’on allume une lumière et dont on
ferme la porte. Personne de la famille n’assiste. Les quatre laveuses
lavent, ou bien les unes présentent aux autres 1 ’ibrïq, etc... Ensemble
elles récitent les sourates Yclsin et et les Rangs ». Quand elles ont fini
elles disent avec toutes les personnes de la maison la prière sur le Pro-
phète.
Se plaçant deux à la tête et deux aux pieds, elles posent le corps sia-
le linceul, et replient celui-ci sur le corps ; un côté est cousu, l’autre seu-
lement épinglé avec des épines de palmier (1). Que la morte ait été bonne
ou mauvaise, l’épine piquée au niveau du nez se changera en scorpion (2) et
mangera l’œil droit. Mais si l’âme est sauvée, le scorpion s’arrêtera là et
chassera les cafards qui arrivent en quantité, «peut-être dix litres »,de
sorte que les vers, seuls, dévoreront le cadavre.
Par-dessus le linceul, on revêt la morte du ksà ou hambüz , ihambu-
zuhâ. Puis les laveuses sortent le corps de la maison pour le porter sur
la civière ; elles le font alors passer au-dessus d’une fumigation d’en-
cens. Ce rite ne s’adresse pas aux jnün, mais bien aux bons anges, qui
aiment l’encens, comme tous les bons parfums, tandis que les mauvais
plaisent aux swâtïn (3). Les laveuses se passent de l’eau sur les mains ;
mais Mamma Slimàn, de retour chez elle, se « lave » encore avec des
dattes (4).
Le corps posé sur la civière, les hommes l’emportent au cimetière.
Les femmes, qui ne suivent jamais le cortège, restent à la maison ; elles
écoutent Mamma Slimàn qui se met à prêcher, wa‘d, dans la tizfrit dont
on a retiré le rideau. Elle dit ce que Dieu a prescrit ou défendu, puis
annonce les excommunications. Dès que le corps est sorti, on offre un
premier ma'rüf de pain et de dattes dans la maison ; c’est le « repas de la
auprès de chaque cimetière. Pour la récente épidémie de typhus, on avait aménagé une seconde
chambre, les hommes étaient lavés dans Tune, les femmes dans l’autre. On ne lave jamais les
morts au local d’ablutions de la mosquée.
(1) Cf. t. I, p. 251.
(2) Non en cafard, comme il avait été dit précédemment.
(3) Il est connu cependant que l’encens et plusieurs parfums agréables sont employés en sorcel-
lerie. Khalil dit qu’il « est dans l’esprit de la religion... de brûler des parfums ou aromates »
auprès des corps. { Précis de jurisprudence , trad. Perron, t. 1, p. 297-298.)
(4) Les dattes de mauvaise qualité servent au Mzab à nettoyer.
LA. VIE FÉMININE AU MZAB
tombe », 'a,èâ l-qeber. On donne du couscous aux porteurs. Mamma Slimân
se retire ensuite avec les laveuses. Les femmes se laissent aller à pleurer.
Jusque-là elles ont dû retenir leurs sanglots, car, en entrant, Mamma
Slimân les fait taire et menace de repartir sans que le corps soit lavé si
on n’obéit pas. Les Mozabites, même dans l’abandon qui suit le départ
des laveuses, pleurent toujours avec peu de bruit, contrairement aux
Arabes.
Les hommes suivent la civière, sans que les parenls proches aient une
place rései'vée dans le cortège.
Au cimetière, deux d’entre eux, fils, frère ou oncle, se plaçant l’un à
la tête l’autre aux pieds, couchent la morte dans la tombe. On recouvre
de terre, en laissant un intervalle qui permet de saisir le hawli et de le
retirer. On ne le laisse pas, en effet, dans la tombe, mais on le place sur
le corps, pour dissimuler celui-ci davantage, en le descendant dans la
fosse. On achève de couvrir de terre — plus exactement de sable — et
de pierres plates, mâdün (1).
Un tàleb s’approche, loue Dieu et récite la sourate Yâsln en tournant
sept fois la main au-dessus de la tombe, isebba 1 (2). Puis il récite les pa-
roles que la morte devra répondre tout à l’heure à l’ange. Il ajoute plu-
sieurs fois Allâhu akbâr ! Dieu est grand, et, à la fin, Mohammed rasül
Allcih. Mohammed est l’envoyé de Dieu. Puis après les quatre takblr
sans prosternation, tout le monde se retire. Parfois quelqu’un aimant par-
ticulièrement la morte reste encore un instant.
Dans la tombe. Ma l 2 3 4 rüf; visites au cimetière (3).
Quant à la morte, déposée en terre, si elle est aimée de Dieu, sa
tombe devient large comme une maison, racontent quelques femmes. Mais
si elle est damnée, les bords se resserrent et la pressent, au point que
« l’estomac et les intestins sortent par le gros orteil (4) !
(1) Pour le reste des cérémonies, cf. I, I, p, 252.
(2) II est singulier de retrouver ici ce geste si fréquent dans les cérémonies entachées de
magie.
(3) P. 253.
(4) Variante marocaino : la terré se resserre sur tes méchants « jusqu’à ce que la première
LA VIE FEMININE VL \IZ.\li
lâK
Comme en toute terre d’Islam, on dit au Mzab que le mort doit faire sa
profession de foi à l’ange qui vient l’interroger ; mais les paroles sont
particulières. Lorsque l’ange appelé menkür pose au mort enterré la
question : Quel est ton Dieu ? », le damné répond : ,, Je n’en sais rien, i
Mais le prédestiné dit : Allah huwa Rebbï u Mohammed en-Nabl , l-qoran
i/nàni u l-islâmu dini wa l-ka'batu qiblall (l) l-nuuninin ahwüï ul-küfirin
a'dat wa l-ibâdiya dini. « Allah est mon Seigneur, Mohammed est le
prophète, te Coran ma foi, l’Islam ma religion, la ka'ba (mon) orienta-
tion de prière, les musulmans mes frères, les infidèles mes ennemis et
l’abàdisme ma religion. » Ainsi, le mort, dans sa tombe, doit se dire
musulman abàdite ; la remarque en est intéressante. Les femmes adver-
saires de la réforme ne manquent pas de dire qu’il s’agit là non de la
nouvelle dm es-salâm, mais bien de l’ancienne religion du Coran expli-
quée par les Abûdites. D’autres identifient précisément avec celle-ci la
din es-salâm , à juste titre.
Pendant cette première nuit, la plus pénible, car la morte manque de
l’habitude d’ôt.re morte, les tolba requis par le testament, trois le plus
souvent, vont réciter sur la tombe. Avant le jour, une femme va prévenir
l’âme que le jour se lève. Elle l’appelle par son nom et le nom de sa
mère (2) : Ya ('Aïsa) beat (Sîha) mabrûk el-manzel ! « ù ‘Aïsa, fille de
Sïha, la demeure est bénie ! »
L’àme est encore auprès du corps lorsque, ce même jour, les femmes
vont porter la marque sur la tombe ; mais sans doute se rend-elle compte
incomplètement de ce qui se passe, car elle se demande pourquoi tout ce
monde vient à la fois, tandis qu’elle aurait plus de plaisir à voir chacun
goutte de lait qu’ils ont tétée de leur mère sorte par le bout des ongles et le bout du nez ». (Lei.ev .
Folklore, p. il.)
(1) Los femmes expliquent en donnant le sens: la ka'ba est au sud En réalité, celle-ci est
au Sud-Est de Ghardaïa ; elles semblent s'orienter au Sud-Est pour prier.
{'2 Ceui se fait, partout, prescrit par le hadith : « Lorsque l’un de vous meurt et que vous aurez
aplani la terre sur lui, que l’un de vous se tienne au cher et de sa tombe et dise : ô Un Tel, fils
d’Une Telle... S’il ne sait pas qui est sa mère, il l'apparento à sa mère Eve » (c’est-à-dire s’adresse
à lui par les mots : ô fils d'Ève). Aç-Çafflri, Nu:hat al majâlis, 1, p 88, éd. 1 300). Jausse.v rapporte
la mémo coutume (Coutumes palestiniennes, l.A 'aplouse et son district, p. 336, Paris, Geuthner, 1927.
Lave donne une version légèrement différente . «O servant of God! O son of e bandmaid of
Godl... ■> (Modem Eiiyptians, II, p. 306, éd. 1816],
9
130
LA VIE FÉMININE AU MZAB
séparément. Pour exaucer ce souhait, les très proches parents viendront
quotidiennement pendant quarante jours. Après la visite collective de la
famille, l’âme quitte le corps.. Elle reviendra encore passer auprès de lui
les troisième, septième, quinzième et quarantième jours ; puis seulement
une fois chaque année; exception faite du jeudi soir à l’aube du samedi (1).
Elle passerait ce temps chaque semaine auprès du corps ; les Mozabites ne
semblent pas très fixées sur celte dernière donnée. Si elle était reçue
assez communément ailleurs, elle expliquerait l’habitude musulmane de
la visite des cimetières le vendredi (2).
Il est souhaitable que la famille se rencontre avec l’âme, aussi les
jours de sa visite au corps sont-ils ceux que l’on a choisis pour offrir les
ma rüf sur la tombe. Le troisième jour, on distribue de la dsisa ; le sep-
tième de la kesra ; le quinzième du bersüses, couscous avec fèves et
viande; le quarantième du rfis, des dattes, du beurre, on mélange même
du sucre avec le rfis dans la gç'a pour qu’il soit meilleur.
Ce sont ces «aVü/'dont le montant est prévu par le testament. Si le
mort ne laisse pas d’argent liquide, les fonds sont avancés par l’ukïl, et
remboursés sur le produit de la vente des vêtements, bijoux, basse-cour,
etc... Si cela ne donne pas assez, le mort se passe de l’œuvre propitia-
toire que sa pauvreté lui interdit, puisque la famille n’est tenue à aucune
addition.
Pour leur père les enfants donnent généralement un ma' rüf , mais il
est indépendant de ceux-ci, sans date et sans menu fixes. A chaque anni-
versaire annuel, la famille en offre très généralement un autre, et les
amis tiennent à y prendre part en apportant du pain et des dattes.
Le jour de la çadaqa, le ma' rüf est plus important. On achète quatre
à cinq moutons, dont un sera obligatoirement partagé entre quatre tolba,
(1) On rie s explique pas pourquoi, dans res conditions, on dit qu’elle ret ient une seule l’ois par
an.
(2) Au Maroc, on croit que l’à.ne revient ohaque vendredi à la tombe. Les autres lois elle rond
visite i sa maison de jadis, non au corps. (Lkubï, Folklore, p. 161-U12, ItU.) Les Mozabites, au con-
trai i e, attachent moins d'importance au retour au logis. Cependant on raconte que, dans ia nuit du
jeudi au vendredi, les parents morts reviennent chez leurs enfants pour voir si lout est bien en
ordre, notamment ,i ia taclctt rs| dans les lieu*, d’aisances, si Vibriq est rempli d'eau pour les
ablutions, elc...
LA VIE FÉMININE AU MZAB
13 1
ceux que l’on voudra choisir, et le reste entre les parents el amis. On
donne à chacun un morceau nommé tazreft, et de la cercuga. C’est une
sorte de sauce au pain émietté jeté dans la marmite ; elle ressemble à la
sauce du couscous, et accompagne les mêmes légumes. On distribue trois
à quatre quintaux d’orge, ou de grain quelconque, en donnant deux litres,
meddln, à chaque personne, les dernières s’en passent s’il n'y en a pas
assez, mais on ne diminue pas la ration individuelle. Ce ma'rüf familial
est tout différent de ceux que l’on offre aux pauvres au cimetière (1).
Il arrive que l’âme ne se trouve pas au jour dit auprès du corps car
Dieu envoie parfois des morts qu’il a bénis à la Mekke ou en d’autres
lieux. Impossible donc de revenir en temps voulu, car le Mzab n’imagine
pas que l’âme hors du corps puisse être délivrée des conditions jusque-là
imposées par la matière à laquelle elle était liée. Dieu délègue alors un
ange pour recevoir la visite à la place du mort en congé ; et l’ange ra-
contera tout à celui-ci lors de son retour, disant : « Un tel t’a apporté
ceci en cadeau, hadiya. Ainsi l’ange a besoin d’être sur place pour
savoir ce que font les hommes : on ne le conçoit pas sans matéria-
lité.
En arrivant au cimetière, à quelque jour qu’il vienne, le visiteur salue
toutes les tombes : Es-salâm ‘ alaîkum , y a l-qubür. Antumu (sic) fi dnr el-
haqq wa and fi dar l-qhor. Antuma (sic' 1 2 sâbiqin wa and men lâhigin. La
Allah lia llâh l-'-alim ul-hartm , la Allah ilâ llâh l- ‘ ail u l-'adim, la Allah i/o
llüh rabb es-samawati ma l-ardi wa huiva Rabb ei-'ars el-‘adim. Le salut
soit sur vous, à tombes ! Vous êtes dans la maison de la vérité et nous
dans la maison de l’erreur. Vous êtes ceux qui précèdent, et je suis
parmi ceux qui suivent. Pas d’autre Dieu que le Dieu savant et généreux;-
pas d’autre Dieu que le Dieu haut et magnifique ; pas d’autre Dieu que le
Dieu maître des cieux et de la terre ; il est maître du trône magni-
fique.
En se retirant, ildit en regardant la tombe : Fe s-oenia yà nür{2) ! felard
yâ niir fel-ard el-qubür. Tfeddalt ‘ alïltum , yà ahl l-qubür. Ahl l-feddâl
(1) Au Maroc le repas de çadaqa est offert aux pauvre*)) le jour où l'on quille le deuil. (Legey,
Folklore, 169.) La date n'esi pas aussi fixée chez les Mozabitcs.
(2) Yà jouerait ici un simple rôle d’interjection.
13-2
LA VIE FEMININE \l MZÀB
iin-sahdityL'i la ülâh ilâ llâh u Mohammed rasûl Allah! fa Dans le ciel il y a
une lumière ; en terre, de la lumière, dans la terre les tombes. Je vous ai
honoré, ô habitants des tombeaux ! Famille de l’Excellent, témoignez qu’il
n'v a d’autre Dieu que Dieu et que Mohammed est envoyé de Dieu. •
\1) Pour athadu, la forme classique étant contaminée par la forme vulgaire préfixe noun de
la première personne.
APPENDICE
RECETTES DE CUISINE
Deux seulement à ajouter à la liste précédemment dressée.
1- — Gllda, plat de viande qui se fait pour la nuit du jour de l’an, ras el-
1 âm , et pour celle du 15 du mois de Sa‘bân.
On fait cuire ensemble dans la marmite :
viande séchée ;
sucre ;
blé ;
orge;
belbâli.
hemç
zrodiya (1) (ar.) tifsnag ikkorn (moz.) (2)
lehyet es-sih, la barbe du vieux
kllla
teifâsa (ar.), tiarfesl (inoz.)
râs el-hanüt.
fèves pilées.
2. — Zerêza , sorte de pâtisserie que l’on donne aux enfants, filles et gar-
çons, pour le repas du soir, pendant leur premier jeûne de Ramadan.
(1) Id. chez les Beni-Snous, cf. Destaing, Diction. Beni-Snous, p. 57.
(2) R. Basset donne ti/esnâht pi. tifesnâh (Zenatia du Mzab, p. 44) et Motylinsri, lefisnegt ,
pl. tefisnâg, de l’arabe sefnârîya (Djebel ISefousa, p. 1 26), ctB/ARNAY, tifsnah [Notes d’ethnograph : c y j). 245).
(3) Cf. supra, pp. 35-36.
pois chiches cuits ;
pois chiches crus ;
carottes séchées ;
mousse de chêne (3) ;
lait séché (cf. t. I) ;
truffes ;
épices ;
134
LA VIE FÉMININE AU MZAB
La pâte se compose de :
klila ;
dattes ;
beurre ;
blé, moulu avec du cumin et grillé dans la poêle ;
clous de girofle, drlrlya.
Le magdüd (cf. t. I, p. 261, recette n° 4) se mange le matin du Milüd
et pour les fêtes de la naissance.
PARFUMS
1. — I/'uhdn.
Une grande quantité d ’usergint mélangé de takernennüt est pilée,
puis moulue dans le moulin à blé, et enfin tamisée.
L ’ifuhûn est fait avec la farine qui a passé à travers le tamis. On la
met un instant dans la poêle, sur un feu très doux. Ensuite on la mélange
avec quelques clous de girofle, drlrlya , une jointée très pleine de pat-
chouli et une autre de roses séchées. On replace le tout sur le moulin.
Mais avant de remettre la meule courante, on enroule autour de son axe
un flocon de laine cardée, lîga, trempée dans le beurre et l’essence de gé-
ranium. Au tourner de la meule, la compression fait tomber des goutte-
lettes parfumées dans le mélange à moudre. Celui-ci, déjà desséché en
grande partie par la cuisson, forme une poudre " fine comme de la pous-
sière ».
On en saupoudre la poitrine des morts, hommes et enfants, y compris
les fillettes, mais on ne l’emploie jamais aux funérailles des femmes. Au
jour de la circoncision on en saupoudre la tète des garçonnets, et au
jour des noces, les henâbls de la mariée. Les Arabes se contentent de ta-
kernennüt arrosé d’essence de géranium.
Tout ce qui est resté sur le tamis va servir à une seconde préparation.
On mélange cette farine plus grossière que la première avec lo parfum
LA VIE FÉMININE AU MZAB
135
nommé zabda ou zbed (1), du safran, du musc, du bois d’aloès, 1 üd-qmâri ,
des dattes et enfin de l’encens, bhür. On obtient ainsi un parfum destiné
aux fumigations, un bhür (2).
2. — L-bhür el-miskï.
On pile ensemble ‘üd el-qmâri , usergint, misk, zübda, za‘frün bekri,
puis on mélange le tout à la purée de dattes appelée l-mrisa, en brassant
fortement dans la gç‘a. On dépose la pâte dans un récipient quelconque,
ma l ün, où elle doit reposer trois jours, « comme le 'arïs dans la hajba
après quoi elle sera mise en boîte.
Pendant ces trois jours, on évite les larcins des jnün en déposant sur
le parfum un clou autour duquel un fil vert est enroulé.
Le bhür el-miskï se fait pour les mariages.
3. — Ma\jün.
Pâte de couleur orange très sèche et s’effritant au moindre contact
quand elle est restée quelque temps à l’air.
Trois ou quatre morceaux d 'usergint sont un peu grillés au feu du
foyer, puis écorcés au couteau. Avec beaucoup de pétales de roses, du sa-
fran ancien, quelques boutons de fleurs de myrte et quelques clous de
girofle, on les met sur la meule du moulin. Gomme dans la préparation
de Vifuhân, une liga parfumée est placée autour de l’axe de la meule
courante. Cette fois, la laine a été trempée dans la zabda, ou V'ater el-
lubân( 3), encens, ou V L ater el-wardi ou le musc. Ce dernier a été préparé
différemment du musc solide que nous avons rencontré dans plusieurs
recettes. Ces quatre parfums sont achetés à 1 état liquide.
La farine obtenue est mise en boite et c’est au moment de s’en servir
que l’on en fait une pâte, ma l jün, avec de l’eau. On prépare la quantité
|1) Cf. t. I, p. 136, note 2. Parfum tiré de la civette.
( 2 ) Bhür est un nom générique, et s’emploie en particulier pour désigner le parfum par excel-
lence des fumigations : l’encens.
(3) Gf. Ibïï el Beithar, Traité des simples , n 0D 1974 et 2012 ; vrai nom de l’encens, tandis que
bhür le désigne sans avoir ce sens propre.
136
LA VIE FÉMININE AU MZAB
que l’on veut, et pour appliquer la pâte sur les cheveux, on prend une
goutte d’huile au bout du doigt que l’on passe ensuite dans la pâte.
C’est un parfum réservé à la chevelure. Tous les vendredis, on en met
en arrière de la coiffure, près du hambüs. Le troisième et le septième
jours des noces, on l’applique en avant, sur les cheveux qui vont former
les kenàbls.
Dfer ou dfâir.
Farine, composée de :
1 kgr. de takernennüt .
50 gr. de drlrîya
25 gr. de senbel.
50 gr. de ùasüli.
50 gr. de clryâga ou ed-dàïq wal-mdüq
20 gr. de qemmàm .
5 gr. de hezàma (2) ou hzdm
ward
boutons de fleurs de myrte ;
clous de girofle ;
nard ;
patchouli ;
Casuarina torulosaDryand(i);
lavande ;
pétales de roses.
Le mélange est moulu chez les Mozabites, qui en préparent une
grande quantité à la fois et conservent la farine d’une année à l’autre.
Les Arabes, plus pauvres, préparent chaque semaine une petite quantité
et se contentent de piler les ingrédients au mortier.
Le jeudi soir, un peu de poudre est jetée dans une qedüya d’eau, et se
trouve prête pour la coiffure du vendredi matin.
Nous avons laissé à cetle recette la forme différente sous laquelle elle
nous a été donnée : une indication de poids précise remplace les « join-
tées », « poignées », « pincées ». C’est aussi là un signe d’évolution.
(1) Identifié par M. Maire.
(2) Ibn el Beïtuab, n° 791, donne lavande spica et spécifie que la plante est bien cpnnue en
Algérie sous le nom de Hozâma. J. Ga i'tfi ossé donne Kzqma et ftzema pour une drogue constituée
par des. fleurs de lavande importées de Franco. {Plantes dans la thêrapeulique.J., p. 101.) A noter que
dans une prononciation figurée par tes seules lettres de r.dphabet français, If lient le milieu entre
K .et R,
LA VIE FÉMININE AU MZAB
137
Pour reconnaître si les ingrédients achetés sont de bonne qualité on
les éprouve avant de commencer la préparation. S’ils « font fechch ■>,
i/essu, en tombant sur les charbons, ils ne valent rien. S’ils sont bons ils
se consument sans bruit, et le fragment détaché pour l’expérience a été
« dur comme une planche » à casser.
TEXTES
I
(Ancienne nîya précédant la prière ).
Kerrebeg ajd a babaok selniatiok listihaqadiok
Je m’approche de toi, ô mon Père, avec mon intention pour mes besoins
As zallag okkozet er-reka l 2 àt n jar tzalla
Je te prie quatre rek l a d’entre les prières (de midi)
Adusa (1) sisent errahmatets usig sisent udemiok
Je donne par elle, ta miséricorde, je donne par elle mon visage
Lilqiblet del-ka' abet di Mekka di l-heram
Vers la direction de la ka‘ba dans la Mekke du lieu saint
Nalfard afred. tent gifi habbiku
Les obligations imposées à moi par ton ami (2)
Stafctes d tafit narsulec
Sous ta (protection) et sous (celle) de ton envoyé
Rebbl inni ‘ alemtu suân u lialemtu nef si
Mon Dieu, certes j’ai su ce par quoi j’ai lésé mon âme
(1) Variante : Ajjeyeg, je laisse.
(2) Mohammed.
LA YIE FÉMININE AU MZAB
Fa eg/er li fa innahu là yagfer dnubl illà enta
Donc pardonne-moi, car nul ne pardonne mes péchés sauf toi
Subfrânaka, Allâhumma wa bihamdika tabàrek esmuka
Louange à toi, ô Dieu, et par ta louange que ton nom soit béni
Wa t'alâ mejduka u là ilàh gîruka
et que soit exaltée ta gloire. Et (il n’y a) pas de Dieu autre que toi
‘‘Aüdu billàhi min Sitàn er-rajim. Allâhu akbàr
Je me réfugie en Dieu de Satan le lapidé. Dieu est grand.
II
(Le tahiyyêt, texte arabe.)
Et-tahiyyêt el-mubarakdt Allah. Çallawat tayyibatu (n) (1).
Salutations bénies de Dieu. Bénédictions excellentes [sur Moljammed].
Salàm l 2 alâ n-nabl u rahmat Allah wa barakatuliu .
Salut sur le prophète et la miséricorde de Dieu et sa bénédiction.
Salâm ‘ qlind wa'ala ‘ibàcl Allah eç-çalihln.
Paix sur nous et sur les serviteurs dé Dieu vertueux.
Asahdu anna lü ilàh ilia liait wahdahu la sarika lahu.
Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu seul, pas d’association en lu
Wa anna Mohammed i abduhu wa rasül Allah
et que Mohammed est son serviteur et l’envoyé de Dieu.
Ashadu l-jennala haqqu (sic)ff'û! n-ndr haqqu
Je témoigne (que) le Paradis (est une) vérité et le feu une vérité.
Wa l-müt haqqu wa 1-baU haqqu
et la mort une vérité et le jour de la résurrection une vérité.
W assola âtiyatan la riba film '•and Allah
Et (que) l’heure (du jugement) vient, pas de doute à son sujet chez Dieu (2)
(1) Nous laissons ces phrases sous la forme où elles ont clé récitées.
(2) C'est-à-dire : Dieu la connaît.
LA VIE FÉMININE \li MZAB
Wa nab‘atu mn el-qobür. Es-salâmu ‘ alîkum
et nous ressusciterons des tombes. Salut sur vous
Mikâïl, Isrûfil , Jebrâïl, Aznli'l. • Alihim ççalôt ussalâm
Michel, Israfil, Gabriel, Azraïl. Sur eux prière et salut
«/ma 1 el-’anbiya ul-hafada /ami 1 a
tous les prophètes et tous les anges (1).
(1) Cette dernière phrase sorait parfois omise.
III
(. Invocation pour apaiser les jnun.)
Didf Allah u diafkum
Les hôtes de Dieu et vos hôtes .
Didf Rebbi u diafkum
Les hôtes de mon Seigneur et vos hôtes
Hânü tâyibïn likum
Nous voici vous demandant pardon.
Sidnâ Slimün hâkem finit u fikum
Notre seigneur Salomon est notre maître et le vôtre.
Md lehalkunâ md nahalkukum
Ne nous faites pas de mal, nous ne vous ferons pas de mal.
A 1 nui mû nsüfukum
Aveugles nous ne vous voyons pas.
U Lors ma nsem l ükum
Et, sourds, ne vous entendons pas.
Rend muselmîn likum
Nous sommes musulmans pour vous.
Ma tahalkunâ mii nahalkukum
Ne nous faites pas de mal, nous ne vous ferons pas de mal.
IV
{Autre invocation au soleil.)
Ya sems ya semsiya
0 soleil, ô petit soleil !
Bismi hâlqï tetla'i gebliya
Au nom de mon Créateur, tu montes à l'est (1).
U tetmessi garbiya
Et tu te couches le soir à l’ouest.
‘ Allaginâ fi gelb flan
Suspends-nous dans le cœur d’Un Tel.
Dkelt ‘ali/c w ‘alâ Sldi Blâl\
Je t’en conjure au nom de Sidi Blâl
EUi talla'ak '■alâ râs ej-jbel
Qui t’a fait monter au sommet de la montagne (2)
Kima 'alleqti r-riya bein ed-dlü ‘ el-mahniya
Comme tu as suspendu les poumons entre les côtes courbes.
Cewwàrü lïya ‘ aqlü liya ma ira’ gir liya
Imprime en lui moi (3), lie-le à moi, qu’il n’ait de considération que pour moi.
(1) La qibla de la Mecque est au sud-est. Les femmes mozabites disent habituellement que qibla
désigne le sud. Cf. supra, p. 129.
(2) , Ceci serait une allusion à la montagne, ou mieux au rocher qui est le but du pèlerinage
des nègres de Ghardaïa, et où leur tradition situe l'appel à la prière lancé par Sïdi Blâl.
(3) Cette dernière phrase a dû être récitée incomplètement.
V
(. Invocation aux étoiles , complétée.)
Ya n-njum yà n-njum yà n-njum
O étoiles, ô étoiles, ô étoiles !
kullkum antum mejmü l 2 ïn fi s-samd
Toutes vous êtes réunies dans le ciel
u and grïba tahtkum
Et je suis étrangère au-dessous de vous.
Ma ireggedni (1) ‘ andlium
Qu’est-ce qui me ferait dormir parmi vous ?
Ibkl dmü ‘ kifkum
Il pleurera (2) des larmes comme (aussi nombreuses) vous.
fikum ‘Isa u Müsâ u sidnâ Mohammed
Parmi vous Jésus et Moïse et notre seigneur Mohammed.
Dhel ‘ alïkum u beïna u betkum (sic)
Je vous conjure, et entre nous et vous
Sidnâ Solcïmûn hâkem fikum kbirkum u çgirkum
Notre seigneur Salomon; votre maître, à vous grandes et petites.
(1) C'est-à-dire •: personne n'est là pour me bercer comme a fait ma mère.
(2) Celui qu’il s’agit de faire revenir en lui rendant la vie insupportable là où il se trouve.
PETIT VOCABULAIRE DES TRAVAUX DE LA LAINE
Corrections (Pp. 317 et 319).
grand bassin pour le second la-
vage de la laine
rincer erzem (moz.).
tirer la laine de la tinzest
rnâj'el v ar.) et non mâjn
hell ^ar.)(i)
kelb s) et non hleb) et-tinz-est
x
Additions.
partie inférieure de la chaîne
juste à la taille
les dessins du tissage, en général
déteindre
fil d’or
beige très clair, presque blanc
beige, couleur de chacal
beige foncé
tn'rgifa jar.)
marbiC l-qadd
rgem
fseh
arnanzenan anoz.'
tinegt (moz.)
dïbi
ahmer.
{1} Erzem et hell ont l’un et l’autre le sens d'ouvrir.
10
INDEX DES MOTS A HA B ES (D
1= et A, I, U.
Abadiya , 9 et ibâdiya, 129.
£6n] 6m, 118.
Aliîr, 6.
Ahwâï, 129.
Ihwân, 56.
['dn] mueddin, 33, 56, 124,
'Ard, 131.
[’sm] tsemmïs, 104.
Allah, et lldh, 10, 11, 12, 76, 77, 78, 90,
98, 128, 129, 131, 132.
Yallâh, 62, 118.
AUâhumma et llâhumma, 11.
Laümmamîn, 55.
Umm es-swâlef, 94.
Umm en-nâs, 75, 98.
Imam, 56.
U mur, 117.
Imâtn, 129.
[’m nj muminin, 129.
Ahl Allah, 90.
Ahl ed-diwân, 38, 10.
w' = B.
Bahrïya, 40.
Bhür, 92, 135.
Bhür es-Südàn , 75, 98.
Bhür el-miski, 93, 110, 135.
Bhür en-nabi, 75.
Behnûg, 86.
Bid'a, 23.
[Br’] tebria, 3, S, 18, 23, 25, 59.
[Brg] ibriq, 116, 127.
Bersvses, 73, 130.
Berk, 28.
Baraka, 46, 75.
[B r k] mabrük, 129.
Bezîma, 54, 69, 73.
Bessasiya, 67.
Basüli, 136.
ligit, 124.
Beqla, 86.
Bâgiya, 64, 112.
Belbâli, 133.
Bendïr, 43.
Bü‘awd, 11.
Bu qennûdâ, 92.
BU neffer, 98.
Bù nâfa‘, 98.
Lbiêt pour el-’abiyât, 17, 52, 53, 73, 74,
78, 91 .
j et Û = T.
[T b t\ lelbelë, 52.
Taht, 12.
{1} Suivant l’ordre des racines arabes. Cet index et le suivant ne comprennent pas : 1° les
mots employés dans les textes transcrits accompagnés de leur traduction littérale; 2* ceux qui
figurent en regard du mot français correspondant dans le vocabulaire des travaux de la laine;
3 B les noms propres et les titres d’our rages.
148
INDEX DES MOTS ARABES
Tuhta, 100.
Tert pour lerl , 98.
Terjâsa, 133.
Tenklr et inâkïr, 99, 101, 102.
[ Twb ] ttüb, 28.
.lahïm {el-), 81.
Jarra, 55, 63.
Jerbïya, 61.
Jerid,. unité : je rida, 46,47, 60, 62, 67, 93.
Jerràya, 103.
Ja‘ba , 103.
Jellüb, 100; jellâba, 42, 87, 100.
[J l s] mejlis, 15.
Jmâm, 67, 116.
Jmâr , 45.
Jma'a, 27.
Jumu'n , 123.
Jami‘a, 11.
JamVan, 11.
Jammalîn, 34.
Jinn elj/mn, 38, 39, 40, 41, 12, 49, 51, 78,
82, 88, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98,
99, 100, 101, 106, 110, 126, 127, 135.
innîya , pl. ât, 40, 88, 89, 90, 96, >106.
lenna , 33.
Jenàn , 8.
Janàïz , 13.
Jehaimam, 31.
Jôuu, 39, 40, 75.
Jdwi alirnar, 98.
\J y’\ jibenna, 13 ; jïti,, 96 ; jîbüh, 100.
Hebbi e(. habibi, 31, 73.
Hebbin, 86.
Ijabbet tuhta, 100.
Hebb el-jellàb, 100.
llabb er- resâd, 81.
Ilabbel el.-terfa, 100.
Ijatîya , 46.
Ijajba, 16, 60, 61, 65, 135.
Hejrl, 106.
Iladja, sous la forme hajja, 84.
[H r g] yihanqu, 77.
Harâm , 8, 32.
\lj r m ] mehênna, 16, 18, 21, 45.
Ilarmet, 51, 88.
Hazâm, 96.
Hazzâmiya, 61, 72.
Ilüsib, 118.
IJaçâç, 113.
Ilutamah (el-), 31.
Ijafada, 11.
Haqq, 131.
\H k m] mhakma, 3.
[H II] yihell, 116.
[ H m d\ Ihamdu llàh, 10, Tl. 124.
Hamida, 1 1 .
Hamriyât, 73.
Hemç, 133.
[II m r] mahammça, 59, 60, 64.
Henîn, 114.
Henna, sous la forme henné, 17, 32,
73, 75, 81, 8.1, 90, 92, 104, 115, 116.
[7/n’j mhenniyet, 90.
Hanàbel, 55.
lianes, 13, 72.
Hait, 96.
Hüt, 74.
Hürâl al'ayUn pour al-hâr al-in , 30.
Hawli, 68, 89, 128.
llamya, 31.
[H y y[ lahhyyél, 7, 10, 80.
£=H.
Hubza, 35, 117, 118.
IJelmal el-Qurân, 31, 56.
Hâlem, 54.
IJddem, 21, 9G.
lledem en-ndr, 30.
Hdrej et liarej cd-dln, 77.
Ilerivu’ 100.
INDEX DES MOTS ARABES
iïezama , h:am et hozâma, 13(1.
[H z n] mahzen , 29, 55.
Hett, 61.
Rat/y/i , R,
Ijotba, 7.
m, us.
Helhâl, 15, 45, 72, 125.
[H l II mnlUiîtïn, 6; mhalleiet , 90.
HIVa , 76. "
Halq , 43.
Hambïïz, -16, 68, 127.
[H m 6 z] ihambu^uhâ, 127.
Homri, 17, 120.
Hammâs, 20, 21, 25, 26.
HanJ'üs, 21; hanjusât, 101.
Hannàga, 54.
Hàiba, 118.
/)m;, 54.
Hu(, 58.
Hir, 124.
Hiyàla, 84.
[//tu/j, ihâfïs, 123.
//wna, 16.
zi et z — D
Dhüi, 75.
Derbaki i, 73.
Derja, 118.
[O r . 9 ] medersa, 22, 56.
Dnn, 83.
Drirlya, 36, 134, 136.
Derri dkâr, 98.
Dslsa, 47, 51, 39, 60, 64, 115, 117, 119,130.
[D q q\ mdagga, 60, 114.
Deglel nür, 74.
Déliai, 97.
Dindïin , 43.
Dâ' 1 , et pl. diyâr, 57, 78, 102, 131.
Dâr es-sra‘, 100.
Dur, 18.
Dira, 61.
[D tu r] idlru, 95, 113.
Diwan, 38, 40.
149
Dm es-salâm, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 14, 16, 63,
111, 1-12, 129.
[a b h] ydbah, 109.
j-= R
[i-." y] tnirâya, 76.
Ras, 20, 100.
Rds el-hanüt, 133.
Rds el-hanes, 15, 72.
Ràs el-‘am , 133.
Rabb cl Relnd, 4, 11, 26, 27, 43, 85, 98,
114, 115, -J 18, 123, 129, 131.
Rhet., 73.
Rbâl, 100, 103, 116.
[R ht marbül, 63.
Rtem, 60.
Rjeh, 74.
[R j n] merjen, 44, 46, 55
Rejja pour reja, 20.
Ratihàla, 34.
[Rhm] yirliamu, 78.
Rahma, 34, 43, 62.
Rahim , 62.
Rahmân, 62.
[R d d] reddiL 1 1/
Rasül, 98, 12/ 132.
Resma, 18.
[R dy] mardïya, 90.
Rtel, 53.
[R‘6] lar'ebs, 64.
Rgida, 46, 92.
[R fd\ terfed, 126.
Rfls, 53, 64, 115, 116, 130.
[R g d] regedt, 34.
Rak a, 7, 10, 11, 79, 80.
Ramadan, 5, 24, 25, 79, 97, 109, 110, 111,
1-12,' 133.
Rdh, 11, 124.
RTimlya et roami, 3, 17, 23, 32, 33, 34, 119.,
Rwïna, 42, 117.
[Rwh\ arwah, 113, 114.
Rlya, 119.
150
INDEX DES MOTS ARABES
j — z
Zâbda ou zbed, 135.
Zbüd, 106.
Zebd el-bhar, 98.
Zerbiya, 53, 55, 78.
Zrodîya, 133.
Zerêza, 58, 133.
Zrd‘, 45, 59, 119.
Zerrï‘et l-kittân, 83.
Za‘ter, 98.
Za'fran, sous la forme safran, 17, 89, 116,
117.
Za'fran bekri, 98, 135.
Zekât, 109.
Zemmïta , 117, 119.
Zemmarât, 30.
Zamdn, 6.
Z-zenjdr l-ahder, 102.
[Z w b\ mozablya, 37.
[Z wj] tezïïji, 62.
Zâd, 78.
Ziyâra, 19, 76, 77.
Zawâtïya, 65.
ZU l‘abu, 84.
cT = S
Sabhàn et sabhâna, 11 ; sebhân, 117.
Sabih, 11.
[S 6‘] isebba‘, isebb‘ü et tsebba ‘, 50, 53, 64,
97, 98, 128.
Sâbiqin, 131.
Sebnîya, 42.
[Sj d] nesjuda, 11.
Sajad, 11.
Soudab, 88.
Sder, unité: sedra, 60, 98.
Serb, unité: serba, 69, 126.
Srâyer, 88, 92.
S«‘dt et sa'da, 34, 114, 119.
Sa‘dân , 113.
Sa‘ïr ( es -), 3 1 .
Sfina, 74.
Sefndnya, 133.
Saqar et saqqara, 31.
Sqof, 104.
Sàkta (es-) wa l-mesküta, 99.
Sikkin, 34.
[S l fl meswalef fefra ou sdlef el-ferfd
99.
Salâm, 2, 4, 11, 131. Cf. dm es-salâm.
[S i m] Islam, 32, 120, 129.
[S l m] meselmin, 40.
Sami‘a, 11.
Sema, pl. Samawât, 131.
[S m w] Bismillâh, 62, 91, 96, 104.
Sanna, 55.
Sendn, 90.
Senbel, 136.
[S w k ] meswàk, 53, 86, 90, 104, 116, 117.
[S w k] msawwuket, 90.
Sîret et stra, 49, 120, 125.
Siyàr, 125.
[S y f] bessïf, 43, 84.
SU 7, 57, 64.
J = S
Sejert Meriem, 84.
[S d d] iseddu, 73.
Seddât, 55, 91.
Starba, 25.
Serbiya, 96.
Sra‘, 100; srl'a, sara et sarl‘a, 6, 56.
[S r f] meserfa, pl. àt et msàrîf, 63, 69.
[s ry] lesteri, 96.
Serya, 96.
Sitân, 8, 42 ; pl. swdtln , 96, 99, 127.
Sa‘bân, 10, 79, 109, 133.
Sa‘r, 90.
Sguf, 104.
Skàra, 44, pl. skâïr, 55.
Sekwa, 55, 88.
Serina, 102.
Snhndn, 12.
|.S h d], ashadu, 132.
20. 87, 100.
INDEX DES MOTS ARABES
Smuâfa, 41.
Sïha, 98.
Slh, 56.
son : tch — G
Cereuga, 131.
Cembïr, 53, 86, 87.
Cenîf, 60, 65.
^ = Ç
Çbàh, 2, 96, 112.
[Ç b h] meçbah , 114.
[Ç h 6] açhâb, 35.
Çber, 83.
Çeddi, 96.
Çdâr el-mirëya, 76.
Çadaqa, 130.
Ça‘ter, 88 .
Çglra, 109 ; eç-çgür , 55.
Çoff, 4.
Çalahi, 1 18.
Çalli el çallu, 73, 80.
Çalàtï, 1 1 .
Ç-Çendel. l-ahmar, 98.
Çâ‘, 65, 67.
(jA e t i
Derb el iderbu, 115.
Derb es sems, S6.
Dfer ou dfâïr, 136.
D far, 90.
Dtunmàn, 26.
Dohr, 32.
Daiu, 114.
Diya‘, 84.
Diyaga eu ed-dciiq wal-mdUq, 136.
J* = T
Tblba , pl. tubibât, 41, 80.
Tebga, V \.'ibâg, 16, 24, 53, 60,73, 100,
126.
15
Tbel, 43.
Tâfin , 118.
[T b 1 ] atahlü, 6 .
[T h n] nethân, 118.
Tarahdt, 110.
Terfâ, 100.
To‘ma , 54, 61, 93, 100, 117.
Tefla, 109.
[T l b] yalleb, 20.
Tàleb, pl. Tolba, 3,3, 6, 13, 14, 15, 16, 23,
26, 27, 28, 33, 42, 52, 54, 86, 89, 94,
103, 108, 109, 110, 111, 122, 123, 124,
128, 129.
TUb, 126.
Tiyâb, 83.
' faïfet , 42.
\T w !] ilutumal, 26.
[T y r] Itjr , 102.
‘lbâd, 11S.
‘Abün, 98, 1 10.
‘ Adda , 86.
‘Adtva, ‘ adïïya , a‘dâX, 102, 118, 129.
[‘j c] mo‘ji;nt. 78.
‘Ajm'iya, 96.
[‘j n] ma‘jïin, 133.
‘ \u~ts 133.
‘Ars, 131.
[‘rf\ ma‘ruf, 5, 20, 27, 33, 38, 39, 42, 43,
44, 46, 47, 51, 62, 80, 90, 91, 112, 113,
1 17, 118, 119, 122, 127, 128, 130, 131.
\‘r y] ta'rrn, 1 18.
1 Azzâüd , 30.
‘ Isâwa , 42.
‘Asür, 109.
‘As'üra, 7 4, 75, 76, 111.
‘Asïra, 05, 122.
‘Isa, 33.
‘Asa, 109, 128.
‘A&ya, 96.
‘Are, 32.
Ater el-lubân, 135.
152
INDEX DES MOTS ARABES
L-‘ater el-wardi, 135.
‘Adim, 11, 131.
'A frit, 78.
‘Agüb, 62.
‘Aqïda, 9.
‘Agreb, 21.
‘ Aql , 51.
* ‘Allaq et ‘alleql, 119.
‘AHm, 131.
[‘/ m] mo'allem et mo'allema , 58, 96.
‘Ait, 131.
‘Omr, 26.
‘Ançara, 88.
‘Am, 75, 133.
l Awunni , 98.
‘Ayb, 35.
7d, 12.
‘Id eç-çÿïr, 21, 25, 97, 98, 110, 112.
‘Id el-Jitr , 5.
7ri el-kbir , 26, 75, 76.
[7 s] i‘ts, 43.
‘Aïs, 113, 114.
‘Ayyâsa, 52.
‘Aïn, 50, 52, 114.
t= Ù -
[G ci ci] magdüd , 78, 134.
Griba, 32.
[G r b] maijreb , 33, 119.
Gars, 83.
Gorrâf, 43, 46.
Gorfiya , 115.
[ÿ r /J me Ù re f> 19. 20.
Gsei, 126.
[G s /] muguet . , 126.
[G s s] /ç/eAS, 118.
[G s y] mijâsî et mtgâH, 30.
G fer, 11.
Glïda, 79, 133.
[G t q\ maÿluga, 51, 113, 114, 115, 116,
# 120 .
Gnmbn:, 16
Gunjaya , 20.
Gaïta, 16, 24, 30.
j = F.
Fabur, 41.
Fâtha, 47 , 55.
Fejr, 106.
Fjel ou /yei, 88.
Fêhl, 61.
Ferj, 111; ferj Allah, 76.
Ferüj, 39.
Fer dd s, 33.
[P r z] iferzu, 59.
[F r s] ij'erresü, 73.
Fras', 113, 114.
Fard et /erd, 55.
Furqân, 9.
[Fr/fs] Iferkes, 118.
Fransï, 85.
[F s s'] ifessu, 137.
[F d /] Ifeddalt, 131.
Feddàl, 131.
Filr et fitra, 5, 110, 111.
Fa'ala, 31.
Fqlh , 54, 55, 56.
Dâr felfel, 98.
Felfla, 79.
Fltlsa, 106.
Fâkya, 44.
Flâna, 52, 102.
Fumm, 13.
Für, 102.
Fül, 93.
Faijel , 51, 88.
J = Q et G
ÇaOfca, 34, 112. 113, 117, 118, 119.
Qchrr, pl. qubür , 128, 131.
Qibla , 12'.).
Qu bail y 120.
Gcddüli , OH.
INDEX DES MOTS ARABES
Qaddïis, 11.
Gerba, pi. gerb, 55, 102.
Grlb, 114.
Qoreîs, 6.
G ur'a, 95, 113.
Qer'üya, 136.
Qerqabü , 43.
Geçba, 53.
Gç‘a, 22, 41, 56, 75, 93, 100, 106, 110, 114,
123, 130, 135.
Qt l a et aqta', 118.
Çf en, 125.
Quttâya, 54.
Glebt, 118.
Qâleb, 117.
Qelb, pi. qulüb, HT, 118, 119.
GelmUna, 87.
Qemmârn, 136.
Gombri , 38, 43.
Gmah, 118.
Qo’iiârt, 46 ; ‘uct qmâri, 135.
Qânüm, 24.
Gndiva, 38, 41, 42.
[Q.h r] sous la forme qhor, 131.
Qâïd et qâïda, 37, 60, 62.
Qawrji, 22.
Qut, 44.
Ga‘, 80.
Gïïl, 98.
Qïïm, 17.
Giyâm, 116.
[Qru m] maqâm, 45, 76.
Gai la, 27, 53, 110.
d = k
Kebda, 119.
Kebir et keblra , pl. k abâra, 38, 44, 56, 109.
Akbar, 11, 12, 128.
Kobra, 96.
[A b r] takbîr, 128.
Kebnt, 51.
Ketfa, 75.
Killàn et kettân, 83, 125, 126.
Kohl, 51, 86, 104.
Kurdâsa, coll. kurdes, 115, 119.
Kernàsa, 60.
Karvn, 131.
Kerwiya, 99.
Kuzber, 51, 98.
Keskês,- 60, 74.
Ksd, 16, 17, 49, 116, 117, 118,125, 127.
Ka‘ba, 10, 75, 129.
Keff, 52.
Kiffân, 126.
Kâfir, 74, 129.
Kaj'a, 118.
KHla, 46, 133, 134.
Kelha, 98.
Kalemu, 96.
Kambus, 69, 136.
Kambusa, 69.
Kamàl, 11 .
Kemmun, 53.
Kânün, 42.
Kenâbis, 69, 134, 136.
Kurîya, 37, 46, 96.
Kâs, 55.
KUsa, 55.
J = L
Lbïha, 88.
Lbert, 55, 59.
Lubân, 135.
Lbüya, 84.
Lahfâya, 123.
[L h. /] melahja, 61, 69, 70, 104, 118.
Lâhigin, 131.
Lehyet es-sîh, 36, 133.
Lisàn Vaçfûr, 98.
Lazâ, 3t.
Lah, 75.
Lüht, 102, et iïühu, 95.
Los, 102.
Luqma, 79.
[G w m] nlüms, 31.
Liga, 134, 135.
Lila, 109, 123.
•154
INDEX DES MOTS ARABES
f = M
Miya , 96.
Mahh, 102.
Meddïn, 131.
Mâdün, 115, 128.
Morr, 83.
Mrisa, 135.
Uessüs, 85.
Misk, 98, 135.
Meskela, 98.
Msd, 2.
Mset, 68, 104, 106.
Meççàça, 83.
Md‘ün, 116, 135.
MgTU eç-flf, 98.
Mleh(el) el-hayy, 84.
Mlïh, 123.
Malâïkat, 11.
[ M l fe] mamluk et mamïüka, 39.
Md, 13, 43.
\Mu> t] nmiïl, 124.
[M tu (], marnât, 123.
Ueyyll, 126.
j.= N
Nabi, pl. ’anbîya, 11, 73, 78, 129.
|A r b 1] inebbets et tenbets, 52.
[N b r] minbar, 6.
Nejjâsa, 31.
[N j 1] Menjel, 76.
[AT j «i] istinjâ, 126.
Nehh, 118.
Nahü, 56.
[/VdZ] mendü, pl. menàdil, 53, 55, 56.
Nzel, 6.
f N z l] manzel, 129.
[IV s y] nensâs, 34.
N'am, 118.
Nafs, 80.
Neqta, 52.
Negroât, 80.
[IV k r] menkur, 129.
Nàr, 102.
Nur, 131.
[IV w y] nenivâ, 11.
Ntya, 3 j 7, 9, 10, 11, 12, 13, 126.
* = H
[Hbl] mahbiïl, 59.
Hadiya, 131.
[H r w l] yehrwal, 58.
Hasmya, 98.
Helâl, 104.
Hâwiyah (el-), 31.
j = W et U
Wujh, 32.
Wâhad, 123.
Uda‘, 54.
Ward, 136.
Wardi, 135.
Uzir, sous la forme vizir, 16, 60, 63, 65.
Ust ed-dâr, 4, 8, 29, 36, 55, 63, 73, 91,
104, 105.
WâsUl, 57.
Ucif, pl. uçfàn, 37, 45, 47, 60.
Wadd‘, 12, 13.
Wa'd, 7, 15, 127.
Uktl et i vakll, 118, 123, 130.
Uld, 47.
Uld kebbâla, 74.
[W l d] mllüd, 78, 134.
Walfi , 118.
Walla, 113.
[IV l y] nwdlïs, 34.
Wâli, pl. aliân, 114, 115.
Waliya, 34, 117, et ulîya, 96.
Wahmi, 1 1 .
o - Y
[Vdd] byiddîya, 118.
INDEX DES MOTS BERBÈRES ET DES MOTS EMPRUNTÉS
ET BERBÉRISÉS «>
Abersa, 81.
Abhil, 88.
Abianu, 75.
Agennûn, 72, 73.
Agunja, 20.
Ajâïz, 74.
Ajenna, pl. ijinniwin , ijennaan, et idje-
nouen, 124.
Akerbus, 74.
yllâ/a et alala, 84, 98.
Amliyâni, 72.
Arajem, 56.
Atrïïs, 98.
situas, 96.
‘Aytgr, 58.
Ba/u, 92.
Begbeg, 20.
Bsyâr, 125.
Cardest, pl. ticurdasin, 76, 79.
D/er ou dfdïr, 136.
Ganja, 20.
<)âs, 100.
Bas, 96.
l'azzaben, 56.
Idalin ( dîn idalin), 5.
idlilen, 55.
Ifahan et ifuhhàn, 53, 18.4, 135.
Jkkorn, 133.
Imesorda, 56.
Inettll ou en-ntïl , 83.
Iwâsu, 60.
Izazaren, 54.
Kimenna, 57.
Krâmet , 54.
il/its, 57, 58.
Obgém, 72.
Sacu, 104.
Tabehnukt , 86.
Taberci, 123.
Tacelell , ticellatin, 126, 130.
Tahamt, 16.
TaimTvn, 12.
Tajerdeddimt, 102,
Takernennïït, 92, 134, 136.
Takuril, 37.
Tamawdil, 87.
Tamrïda, 102, 103.
Tamsult, 53.
Tarbagit, 20, 72.
Tarba'it, 54.
Tastait, 51 .
Ta<a, 84.
(1) Classés selon l'ordre de l’alphabet français, adopté dans le tome I, sans tenir compte des
modifications apportées par les caractères pointés. Pour les mots cités, l’orthographe des auteurs
a été conservée.
156
INDEX DES MOTS BERBÈRES ET DES MOTS EMPRUNTÉS
Tawlawalt, 32, 34, 112, 117, 119.
Tazerzaït, 84.
Tazlülagt , 112.
Tazreft , 131.
Tekkàya, 49, 85.
Telia, 87.
Tfsnah, 84, 133.
Thaslith, 20.
Tiarfest, 133.
Tibaqbaqïn, 43.
TifCilin, 64.
Tihallüfin, 18, 65.
Tigardisln, 75.
Timm, 7, 12, 13, 32, 126.
Timsebkin, 17.
Tiqehïlin, 119.
Tismsin, 7.
Tisenlmusni, 15.
Tisegnest, 84, 88.
Tisred, 61.
Titgellis, 126.
Tizarnin, 7.
Tizfrit, 55, 126, 127.
Tizit, 93.
Unzar, 20.
Usergint, 98, 134, 135.
Uzgar, 57, 58.
Zaza, 100.
INDEX DES MATIÈRES
Pages
I. — Là RÉFORME RELIGIEUSE 4
^ Réaction contre les infiltrations berbères, 1. — Le salâm canonique,
% — Assassinat du chef de l’opposition, 3. — Transmission légendaire de la
religion du salàm, S. — Rôle d’Atfies, 7. — Sens général de la réforme,
9. — Modifications dans les formules et les altitudes de la rak'a, 10. — Les
ablutions, 12.
U- — La réforme religieuse ( suite ). — Les laveuses des morts luttent contre les
COUTUMES BERBÈRES. 14
Lutte contre les coutumes féminines, 11. — Souvenirs sur les coutumes
berbères, le « sermon » d’‘Ammi Sa‘id, 13. — Débuts de la réforme, 16. — Té-
nacité de Mamma Slimân, 17. — Suppression du rite de demande de la
pluie, 19. — Persistance du rite de demande du vent, 20. — Réforme lin-
guistique, 22. — Un échec de Mamma Sliman, 21. — Elle supprime les
cadeaux en RamadâD, 21. — Signes d’évolution laxiste, 26.
III. — Quelques légendes mozabites 29
Sur Notre Seigneur Jésus, 29. — Les parents sauvés parles mérites de leur
fils, 30. — La tawlawalt l-griba, 32. — Gomment les musulmans ont eu la
permission d’épouser quatre femmes, 31. — L’origine de la ( mousse de
chêne », 33.
IV. — Coutumes nègres encore en usagf, . 37
Organisation sociale des noirs au Mzab, 37. — Le cliwân des jnün, séance
magique, 38. — Les danses nègres, 12. — Ma‘ruJ offert aux noirs pour
obtenir la pluie, 13. — Fête de Sîdi Blâl, patron des noirs, 15. — L’enfant
vendu aux noirs, 16.
SUPPLÉMENT AU TOME 1
II. — Naissance.
Fête du troisième jour, 19. — Berceau. Remède aux larmes, 50. Lien du
158
INDEX DES MATIÈRES
£ Pages
maillot, 50. — but de la succion de la date, 50. — Coupe des cheveux et des
ongles, 50. — Date de la fêle pour l’heureux avenir de l’enfant, 51.
III. — Enfance. 52
Remède contre le mauvais œil, 52. — Circoncision, 52. — Hetmat el-
Qurân, 54. — Punition abolie, 56. — Éducation des fillettes, 57. — L’arabe
classique chez les fillettes, 57. — Règle du SIg, 57. — Nom du jeu de la
cavalcade, 57. — Deux autres jeux d’enfants, 57. — Rupture du jeûne, 58.
IV. — Mariage . 59
Préparatifs pour les grands mariages, 59. — Iiajba et vizirs, 60. — Signi-
fication de substantifs, 61. — Coutumes de la veille du mariage, 61. — Toi-
lette et transfert de la mariée, 61. — Souliers du marié, 63. — Annonce de
la consommation du mariage, 63. — Cadeaux culinaires. Réceptions, 64. —
Collecte et frais de la noce, 65. — Préservatifs contre le mauvais œil dans la
coiffure de la mariée, 65. — Pains en cadeau, 65. — La jeune femme
nourrie par sa mère, 66.
V. — Jeunes femmes . 61
Quelques gestes, 67. — Vocabulaire et psychologie, 67. — Superstition
relative au insel, 68. — Port du voile, 68. — Coiffure, 69. — Boucles
d’oreilles, 69. — Cas d’annulation de la prière, 69.^— Occasions de toi-
lette, 70.
VI. — Rêves maternels . 71
Pas de nouveaux renseignements.
VIL — Les joies et les peines 72
Premier retour au pays, 72. — V'dsüra, 74. — Emploi du mouton de
l icl el-kblr, 75. — Ez-Ziyàra, 76. — Le milüd, 78. — Fête pour le 15 du
mois de sa‘bân, 79. — Exercice de la médecine, 80. — Usage de la ventouse,
81. — Le chat et le chien dans le traitement des rhumatismes, 8t. —
Quelques remèdes, 83. — Remède pour faire revenir le lait, 85. — Emploi
de l’eau de roses, 85 . — Prophylaxie de la tuberculose, 85. — Encore quelques
remèdes, 85. — Veuvage, 86.
VI II. — Magie . 88
Manifestations et apparitions des jnün , 88. — Trois autres jinniyàt de
l'égout, 90. — Précautions contre les jnün, 90. — Importance du livre de
Dimiyâti, 94. — Initiation, 95. — Différentes espèces de génies, 99. —
Remarques sur quelques préparations, 99. — Préparation du gàs, 100. —
Propriétés curatives de la cervelle humaine, 101. — Formule d’un tnâkïr,
101. — Envoûtements, 102. — La descente de la lune, 104. — Préservatif
contre les effets des éclipses, 106. — Résultat des sorcelleries, 106.
IX. — Religion
108
Hiérarchie, 108. — Mammn Sli/nan ne lirait pas les grands traités, 108. —
/
INDEX DES MATIÈRES
Assistance aux pauvres, 109. — Nouveau cas d’aunulation de la prière,
109. — Ramadan, 109. — Pèlerinages superstitieux, 112.
X. — Vieillesse et mort
Vieillesse, 121. — Testament, 122. — Ensevelissement, 123. — Dans la
tombe. Ma'rüf ; visites au cimetière, 128.
APPENDICE
Recettes de cuisine
Glïda, 133. — Zercza, 133.
Parfums
ljuhan, 134. — L-bhûr el-mislâ, 135. — Ma l jun, 135. — Üfer ou dfaïr, 130.
Textes arabo-bérbères avec traduction littérale
I. Ancienne nlya précédant la prière, 138. — li. Le tahhiyct, texte arabe, 140.
— III. Invocation pour apaiser les jnân, 142. — IV. Autre invocation au soleil,
143. — V. Invocation aux étoiles, complétée, 144.
Petit vocabulaire des mots concernant le travail de la laine
Index des mots arabes disséminés dans le texte
Index des mots berbères disséminés dans le texte . ■ _ . ^
Index des matières Vï Q ■
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7176-32. — Tours, Imprimerie Arkaoi t et V .